Les negro spirituals ou gospels sont des chants religieux populaires ou cantiques des Noirs d'Amérique. Comme les poèmes liturgiques du latin médiéval, auxquels ils ressemblent, ces chants font partie du patrimoine poétique de tout le peuple chrétien. C'est à la Bible, et surtout au livre de l'Apocalypse, que les spirituals empruntent leurs volées d'anges. Les choeurs séraphiques qui traversent ces sermons lyriques rivalisent avec ceux de Giotto ou du bienheureux Fra Angelico en peinture : grandes flammes terribles ou charmantes, oiseaux paradisiaques, étincelles ou flocons célestes. Ces chants cherchent à isoler l'image de l'ange dans sa pureté cristalline :
Si Tu ne peux pas venir, Parmi ceux qui Te réclament, Mon Dieu, envoie ton ange, Qu'il vienne chercher mon âme, Qu'il me ramène aux cieux, Aussi vite que Tu peux, Mon Dieu !
Si Tu ne peux pas venir, Consoler nos malheurs, Mon Dieu, envoie ton ange, Envoie-le à minuit, Envoie-le au matin Envoie-le quand le jour se meurt Seigneur ! |
Si Tu ne peux pas venir Pour guérir nos misères, Mon Dieu, envoie ton ange, Envoie-le sur l'éclair, Envoie-le dans le tonnerre, ... Aussi vite que Tu peux, Mon Dieu !
Si Tu ne peux pas venir, Si Tu es vraiment trop loin, Mon Dieu, envoie ton ange, Pour qu'il soit ton témoin, Pour qu'il soit notre sauveur, Au milieu de ceux qui pleurent, Seigneur ! |
Des trois archanges, Michel et Raphaël, dans leurs rôles respectifs de juge, de guerrier et de guide, sont regrettablement absents. Gabriel, lui, ne nous apparaît pas comme le messager de l'Annonciation, mais comme un musicien. Nous le trouvons dans beaucoup de ces poèmes enjoués où la troupe des anges, à laquelle se mêle de plein-pied celle des fidèles, est assimilée à une sorte de fanfare céleste :
Oh ! passe-moi ma trompette d'argent
Gabriel !
Passe-la-moi ! Jette-la-moi !
Lance-la d'en haut du mieux que tu peux !
Oh ! passe-moi ma trompette d'argent,
Mon Dieu !
Je ne suis pas allé au Paradis, mais on m'a dit
Que ses portes sont plaquées de perles et que ses rues sont pavées de rubis !
Si le salut éternel, ça pouvait s'acheter à prix d'or,
Tous les riches vivraient et tous les pauvres seraient morts.
Mais si tu veux, comme un chacun, entrer au Ciel,
Aime autrui comme toi-même, traite ton voisin du mieux que tu peux !
Le Paradis est fréquemment dépeint sous l'aspect d'une cour de récréation, peuplée et "surveillée" par les anges :
Quand je m'installerai dans le grand Ciel bleu,
Je m'en vais danser, je m'en vais marcher
A droite, à gauche, tout comme je veux.
Les anges ne pourront pas m'empêcher.
Je vais discuter avec le bon Dieu,
Je vais causer avec Jésus Christ,
Je vais Lui dire ce que j'ai dans l'esprit...
Dans une aubade chantée par des Noirs rentrant à la plantation après une nuit de prière, les anges ne sont autres que la bande des chanteurs eux-mêmes, mis en joie par les grâces reçues... et peut-être aussi par des boissons terrestres !
Le jour se lève ! Oh ! voilà les anges ! Regarde par la fenêtre ! Oh ! voilà les anges ! Jette l'oreiller !... La couverture !... Appelle maman !... Appelle les morts !... |
Et les vivants !... Regarde : Il vient !... Dedans sa gloire !... Regarde par la fenêtre !... A l'Orient !... Lève-toi bien vite !... Portier, regarde ! Oh ! voilà les anges ! |
(à suivre)
André Charlebois, o.s.b.Extrait de la revue
"L'Ange Gardien", mars-avril 2004.
.