« Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 18, 10) |
L'un criait à l'autre et disait : « Saint, saint, saint est Yahvé des armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire » (Is 6,3).On retrouve dans plusieurs passages de la Bible cette exaltation par les anges de la gloire du Dieu trois fois saint dans ce qui apparaît comme une prière liturgique. Très tôt l'idée s'est imposée que la liturgie angélique est le modèle de celle de l'Eglise ici-bas, et que, depuis la résurrection du Christ, la liturgie du Christ et celle de la terre ne font qu'une (cf. Vatican II, Lumen Gentium, 49, 50), rassemblant dans la même communion d'adoration et de louange la création tout entière :
C'est toujours l'univers tout entier qui participe à la louange de Dieu ; or le ciel des anges n'est-il pas la partie la plus spirituelle de l'univers ? Aussi jamais l'hymne des anges ne pourra disparaître du culte de l'Eglise. Car c'est lui qui donne à la louange de l'Eglise la profondeur et la transcendance qu'exige le caractère de la Révélation chrétienne. (Erik Peterson, Le livre des Anges, Paris, Desclée de Brouwer, 1954, p.57)La tradition affirme que, déjà au V° siècle, Proclus (+ 447), disciple de saint Jean Chrysostome et patriarche de Constantinople, a reçu d'un ange le conseil d'introduire le Trisaghion dans la liturgie. De nombreux mystiques qui ont été admis à contempler le monde angélique, ont exprimé leur émerveillement face à la prière des anges, tant ils étaient impressionnés par sa grandeur et sa beauté. Ainsi sainte Mechtilde de Hackeborn :
Elle les voit, telle une muraille lumineuse, défendre l'Eglise. Ils chantent l'union de son âme avec Jésus, tandis que Melchisédec touche la harpe : « Louons le Roi des rois, Dieu Un et Trois, qui t'a choisie pour son épouse et pour sa fille ! » (Dom Besse, Les mystiques bénédictins, des origines au XIII° siècle, Paris, Desclée de Brouwer, 1922, collection "Pax", vol. VI, p.214).Que dire alors des non-initiés qui, parfois, auront surpris quelque écho de cette louange ! La legenda du saint florentin Filippo Benizi (1233-1285), prieur général des Servites de Marie, relate qu'à sa première messe, le 2 juin 1259, les fidèles entendirent au moment de l'élévation un chant si sublime qu'ils furent ravis en extase durant quelques instants : un chœur d'anges entonnait le Trisaghion. Par ce signe, le Ciel ratifiait la décision qu'avaient prise les supérieurs du jeune religieux de l'ordonner prêtre malgré ses réticences. En effet, il s'estimait trop insignifiant pour être davantage qu'un frère lai. Plus tard, il refusera énergiquement la mitre, puis la tiare.
Les anges qui sont toute clarté sont, eux, ébranlés par le service des œuvres humaines qui sont aussi œuvres de Dieu ; ces œuvres de dévotion sont présentées aux anges à la face de Dieu. Les anges ne cessent de les considérer, ils en offrent à Dieu le suave parfum, en choisissant ce qui est utile et en rejetant ce qui est inutile. (Sainte Hildegarde de Bingen, Le livre des œuvres divines, Paris, Albin Michel, 1982, p. 149)Pour sainte Hildegarde, c'est la première mission des anges auprès des hommes. Mais elle revêt les formes les plus variées, et se traduit par des interventions très pédagogiques. Lorsque le bienheureux Ladislas de Gielniow (1440-1505), provincial des franciscains observants de Pologne, institua dans sa communauté un nouveau chapelet composé de huit Pater et de 72 Ave, ses frères rechignèrent quelque peu : c'était davantage que la prière classique, était-il nécessaire de s'encombrer de dévotions surérogatoires ? Ils changèrent d'avis quand, s'étant réunis pour le réciter la première fois, ils entendirent des chants angéliques leur donner la réplique. Qu'auraient dit les bons moines aujourd'hui, quand le pape a ajouté récemment cinq mystères de lumière aux quinze mystères traditionnels, portant à 200 le nombre des Ave !
Ma fille, regarde, et tu verras la procession qui se prépare pour la fête de ton père saint Augustin : c'est celui qui marche en tête. Et les deux qui le suivent immédiatement sont saint Nicolas de Tolentino et saint Guillaume.Au terme de ces liturgies célestes dont elle était rendue participante, il lui donnait l'eucharistie, en disant : « Lève-toi et viens, ma fille, recevoir l'auguste sacrement que t'envoie le Seigneur ! »
Je me rappelle une nuit où je suivis la servante de Dieu qui se rendait au chœur pour la récitation des matines. Le corridor et les escaliers étaient plongés dans l'obscurité, et pourtant je vis une lumière extraordinaire qui la précédait, jusqu'à ce que nous fûmes arrivés au chœur. Je lui dis : « Alors, Maria Passione, vous vous promenez ainsi sans lumière la nuit ? Il pourrait vous arriver quelque désagrément, vous pourriez tomber ! » Elle répondit avec simplicité : « Ne craignez rien : nous avons à nos côtés notre ange gardien qui nous guide. » J'interrogeai : « Passione, quelle était cette lumière qui vous a précédée jusqu'au chœur ? » Elle se contenta de sourire, sans répondre; Je fus convaincue que c'était son ange gardien qui l'accompagnait et la conduisait. (Domenico Frangipane, La serva di Suor Maria della Passione, della Crocifisse Adoratrici di Gesu Sacramentato (1866-1912), San Giorgio a Cremano, Suore Crocifisse Adoratrici di Gesu Sacramentato, 1949, p.169)L'ange gardien l'éveillait aussi la nuit pour les matines :
Toujours à propose de l'ange gardien, je demandai un jour à la servante de Dieu comment faire pour m'éveiller à l'heure précise, afin de remplir mes obligations. Elle me répondit : « Oh, ce n'est pas bien difficile. Avant de t'endormir, récite trois Gloria Patri à l'ange gardien, en lui précisant l'heure à laquelle tu souhaites être réveillée le matin ! » En vérité, j'émis quelques doutes sur l'efficacité de cette démarche, mais elle m'y encouragea avec fermeté. De fait, dès ce jour et maintenant encore, lorsque j'adresse à Dieu trois Gloria Patri en union avec mon ange gardien, je m'éveille à l'heure précise que j'ai indiquée à celui-ci. (Ibid., p.169-170)Padre Pio avait recours à un procédé comparable :
La nuit encore, au moment de fermer les yeux, je vois descendre le vole et s'ouvrir à moi le paradis ; et, apaisé par cette vision, je m'endors en un sourire de douce béatitude sur les lèvres et un calme parfait sur le front, attendant que le petit compagnon de mon enfance vienne m'éveiller, afin qu'ensemble nous entonnions les louanges matinales au Bien-Aimé de nos cœurs. (Padre Pio de Pietrelcina, Epistolario I, op. cit., p.308, lettre du 14 octobre 1912)Il n'écrit pas qu'il voyait alors son ange gardien, ni surtout qu'il le voyait depuis sa tendre enfance, comme l'ont insinué à tort certains auteurs.