, 1901.
Les Anges dans le Nouveau Testament
Avec amour, nous parcourons les pages de la Bible, le Livre unique,
Biblos, le Livre par excellence, le Livre que rien ne remplace et qui au besoin remplace tout, le résumé divin de tout savoir nécessaire ici-bas.
Nous avons glané, en ses pages inspirées, les faits et gestes des Anges parmi les hommes, et c'est ainsi que le monde ancien a passé sous nos yeux. Un monde nouveau paraît déjà ; partis de l'Eden, nous entrevoyons le Calvaire.
Sur notre route, nous avons rencontré les Anges ; nous les avons vus familiers de nos premiers parents, familiers des patriarches et des prophètes, des peuples et des rois ; nous les avons vus ministres de colère et de vengeance parfois, plus fréquemment messagers de paix et d'amour.
Ils ont annoncé le Messie, le Rédempteur promis au monde coupable, à l'Humanité déchue. Les temps sont accomplis, une aube nouvelle va luire, l'Amour succède à la Crainte, le Désiré des Nations va faire son apparition dans le monde. Les Anges vont-ils abandonner leurs messages de colère ou d'amour entre le ciel et la terre, parce que les Cieux, jusqu'alors fermés, s'ouvrent maintenant aux hommes ? Non certes, car Dieu, loin de retirer ses bienfaits, les multiplie de jour en jour davantage.
Jamais les Anges n'apparaissent aussi fréquemment à l'humanité, qu'au moment où le vieux Testament est sur le point d'être déchiré. ...
A suivre...
L'Ange Gardien – Mai 1901 – pp. 3-6
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Le Précurseur du Messie
Aux jours d'Hérode-le-Grand, roi de Juda, Zacharie, prêtre selon l'ancienne loi, servait dans le temple de Jérusalem. Son épouse, choisie parmi les filles de la famille d'Aaron, s'appelait Elisabeth. Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant sans reproches dans la voie des commandements et préceptes du Seigneur.
Mais une joie manquait au foyer de ces deux justes, joie sans laquelle toutes les autres laissent errer une ombre de tristesse, une peine secrète sur le front des époux et des épouses. Ils n'avaient point d'enfants et, déjà avancés en âge, ils avaient même perdu tout espoir d'obtenir de Dieu ce doux fruit de leur union.
Or, un jour, pendant que la foule priait au seuil du temple, Zacharie pénétra dans l'intérieur pour offrir l'encens au Seigneur, et pour accomplir les fonctions sacerdotales qui lui étaient échues par le sort, selon la coutume établie entre les prêtres. Tout à coup, un Ange radieux lui apparut debout à la droite de l'autel des parfums.
A cette vision, Zacharie fut troublé, saisi d'effroi. Mais l'Ange lui dit : « Ne crains point, Zacharie, car ta prière a été exaucée : Elisabeth, ton épouse, te donnera un fils, et ce fils, tu l'appelleras Jean. Il sera pour toi un sujet de joie et d'allégresse ; beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira point de vin, ni de buisson enivrante : il sera pénétré de l'Esprit de Dieu, dès le sein de sa mère. Il convertira un grand nombre d'enfants d'Israël au Seigneur, leur Dieu ; il marchera devant Lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, les incrédules à la prudence des justes, de manière à préparer au Seigneur un peuple parfait. »
Zacharie répondit à l'Ange : « A quoi pourrai-je connaître cela, car je suis vieux, et ma femme, elle aussi, est avancée en âge. »
Alors l'Ange ajouta : « Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu ; j'ai été envoyé pour t'annoncer cette bonne nouvelle. Et voici que tu seras muet, parce que tu n'as pas cru à ma parole, jusqu'au jour où arriveront ces choses qui s'accompliront en leur temps. »
La foule, au dehors, attendait le lévite et s'étonnait de son retard prolongé. Lorsqu'il parut enfin, il ne pouvait parler, et la foule comprit qu'il avait eu une vision dans le temple.
Son ministère accompli, Zacharie retourna dans sa maison, et bientôt son épouse, ayant l'assurance qu'elle serait mère, bénit le Seigneur qui lui accordait cette grande grâce tant désirée.
Le huitième jour après la naissance de l'enfant, les voisins et les amis, qui s'étaient réjouis avec Zacharie et Elisabeth, se réunirent pour la cérémonie de la circoncision et l'imposition du nom. Ils l'appelaient Zacharie, comme son père.
- Non, dit la mère, il se nommera Jean.
Les amis objectaient que ce nom n'avait jamais été porté par aucun des membres de la famille, et ils faisaient des signes au père, pour connaître sa volonté sur ce point.
Zacharie, demandant ses tablettes, écrivit : « Jean est son nom. » Au même instant, sa langue se délia et, à haute voix bénissant Dieu, il répéta : « Jean est son nom. »
Le nom de Jean signifie agréable à Dieu.
Un grand étonnement, un religieux effroi s'empara des assistants et, dans toute la montagne de Juda, s'épandit le bruit de ces merveilles, et tous ceux qui en eurent connaissance en gardèrent le souvenir dans leur cœur, se disant : « Que sera cet enfant ? La main du Seigneur est sur lui. »
*
* *
Que sera cet enfant ? Il sera la lumière préparée par lieu lui-même à son Christ.
Certes pour éclairer ses pas, le Christ n'avait nul besoin d'un secours étranger ; il n'avait qu'à paraître en nos obscures régions pour les inonder de sa lumière. Il a voulu qu'il en fût différemment, et comme l'étoile du matin annonce le rutilant soleil, il a voulu que le précurseur l'annonçât lui aussi, le Soleil de Justice.
Un enfant vient au monde. Sa naissance est rarement environnée, aux yeux des hommes du moins, de ces étonnantes merveilles que nous admirons au berceau de Jean le précurseur. Aux yeux des hommes, disons-nous, aux yeux charnels, car si nos yeux étaient ouverts, nous verrions sans doute qu'au jour où un père chrétien accomplit une œuvre excellente, œuvre d'action ou de prière, l'Ange est là, messager de Dieu.
O chrétien fidèle, ta prière est exaucée. Dieu comble les désirs, il en dépasse la mesure. Toi aussi, comme Zacharie, tu seras père, et l'enfant que le ciel te promet sera lui aussi la lumière que Dieu prépare à son Christ ; il sera prêtre. Peut-être à le voir à sa naissance, dans ses premières années, aux précoces lueurs d'une vive intelligence, voisins, parents, amis, augureront de lui de belles destinées.
Il sera, le bel enfant, avocat disert, écrivain charmeur, orateur puissant, brillant poète, général glorieux. Peut-être arrivera-t-il, et par son seul mérite encore, à présider aux destinées de son pays.
Si Dieu l'a marqué de son signe, écartez ces présages flatteurs pour le monde.
- Arrière cela, il sera prêtre ! dira la mère.
- Il n'en fut jamais dans la famille ?
- Il sera prêtre, dira le père à son tour ; il sera la lumière de Dieu, il sera grand devant le Seigneur, il sera grand par ce caractère sacerdotal.
Cette grandeur; beaucoup l'ignorent, la méconnaissent, la nient avec force blasphèmes au besoin.
Il est bon de la rappeler de temps en temps, même au prêtre qui, sous le coup de l'humiliation injustifiée de l'ignoble calomnie, serait peut-être tenté de l'oublier parfois.
Que le prêtre soit humble, qu'il soit bon, qu'il aille jusqu'aux extrêmes limites de l'humilité, de la bonté, mais qu'il n'oublie pas sa grandeur. Qu'il s'incline vers les âmes, mais jamais ne se laisse abaisser par elles et au-dessous d'elles ; qu'il ne laisse jamais humilier en sa personne, la majesté du Christ, dont il est l'ambassadeur dans le monde.
Parmi les fils des hommes, il n'en est pas de plus grand... que le prêtre du Christ !
L'Ange Gardien – Juin 1901 – pp. 39-43
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L'Ange Gabriel et l'Annonciation
En allant de Jérusalem vers le nord de la Palestine, on aperçoit, des dernières cimes de la Samarie, une petite ville au loin, comme un point blanc sur les hauteurs escarpées qui dominent la plaine de Jisréel. Ses maisons grises, carrées, à toits plats, s'étayent sur le versant oriental de deux collines séparées par un ravin. A l'est de la ville, un vallon où jaillit une source. Le ravin et la vallée se rejoignent dans une petite plaine, gazonnée au printemps, desséchée en été, devenue l'aire où les laboureurs foulent aux pieds des bœufs le blé et l'orge, et vannent leur grain au vent du soir. Oliviers, figuiers, nopals aux larges feuilles toujours vertes, amandiers et citronniers, entremêlés de cyprès noirâtres, expliquent le nom de Nazareth, la ville fleurie.
Ce nom, à peine connu, va devenir célèbre en tous lieux, parce que là va s'accomplir un acte qui dominera le monde et les siècles, qui aura sa répercussion dans l'éternité tout entière.
Là, vit une jeune fille de la race de David. Son père, mort déjà, s'appelait Joachim ; sa mère, encore en vie, s'appelle Anne. La jeune fille a seize ans. Renonçant aux doux espoirs de la maternité, à la glorieuse espérance de toute fille de Juda, elle a voué à Dieu sa virginité. Cependant, suivant la coutume juive, elle a été promise et fiancée depuis peu, à un homme nommé Joseph, de sa propre tribu et son plus proche parent, destiné à recevoir son héritage. La cérémonie de l'introduction dans la maison de son mari n'est pas encore célébrée, elle vit chez sa mère, préparant son trousseau, comme les jeunes filles de son pays.
Un jour, elle voit apparaître sous forme humaine et entrer dans sa maison, Gabriel, l'Ange de Dieu.
- Je vous salue, Marie, pleine de grâces, dit le messager céleste, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre toutes les femmes.
Ces paroles troublèrent la Vierge se demandant quelle pouvait être cette salutation.
- Ne craignez pas, ô Marie ; continua l'Ange, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera appelé le fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin.
- Comment cela se fera-t-il ? dit Marie à l'Ange.
L'Esprit-Saint surviendra en vous ; c'est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Elisabeth, votre parente, a conçu elle aussi dans sa vieillesse, car il n'y a rien d'impossible à Dieu.
- Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole, répondit alors Marie.
L'Ange s'envola jusqu'au pied du trône de l'Eternel, emportant le consentement de la Vierge, qui devait faire le bonheur du monde.
Une vierge concevra et enfantera un fils, avait dit le prophète. Les temps sont arrivés, le mystère est accompli. L'auteur des lois de la nature a suspendu ses lois ; « la virginité et la maternité s'unissent dans une même créature » un Dieu va naître. C'est le Messie qui vient sauver le monde.
Adorons le divin Sauveur, devenu le Fils de l'Homme, l'Emmanuel, le Dieu avec nous, unissant la nature divine à la nature humaine, dans une seule personne, la personne divine.
Bénissons la très douce Vierge qui, s'inclinant devant le message de l'Ange, prononce ce
Fiat, cet acquiescement qui fait d'un Dieu, notre frère, le chef de la famille devant qui s'ouvrent les portes de l'héritage céleste, héritage fermé jusqu'alors à l'humanité déchue, désormais ouvert à l'humanité rachetée, régénérée.
N'oublions jamais ce mystère de l'Annonciation que l'Eglise a pris soin de nous rappeler plusieurs fois chaque jour; en nos prières et par l'
Angelus.
Le matin, lorsque tout dort encore, une voix s'élève et sonne le réveil des villes et des campagnes ; c'est la voix de la cloche sainte, c'est l'
Angelus qui nous invite à répéter les paroles du mystère de l'Annonciation.
L'
Angelus, au début du jour, rappelle les paroles qui ont réveillé le monde endormi du sommeil de la mort et du péché.
Au milieu du jour, la cloche sonne de nouveau l'
Angelus, rappelant que l'Ange de Dieu est venu au milieu du temps, à la ligne de partage des siècles. L'Annonciation sépare les siècles de l'ancien Testament, des siècles du Testament nouveau.
Le soir, lorsque pèse sur nous le poids du jour, l'
Angelus sonne encore et nous invite au repos. Il sonne le repos de la nuit tranquille après le travail, le grand repos dans les bras de la mort, le doux repos au sein de Dieu, dans les siècles des siècles.
Hélas ! ce pieux usage tend à s'affaiblir, sinon à disparaître, en maints endroits. La cloche sonne toujours, mais sa voix n'est plus comprise, n'est plus écoutée.
Les villes ont oublié d'abord ce pieux usage de l'
Angelus. La voix de la cloche, au sein des villes, ne descend pas de la tour aérienne jusqu'au sein des places publiques, où l'étoufferait le tumulte des foules ; elle s'envole, mélancolique et tendre, vers le calme infini des cieux.
Au sein des campagnes où cette voix résonne sur les champs et sur les prairies, sur les coteaux et dans les vallons, plus rares se font, de jour en jour, les chrétiens sans peur qui, s'appuyant sur leur instrument de travail, pieusement se signent, et dévotement répètent les paroles de l'Ange Gabriel à Marie, de Marie à l'Ange Gabriel ; les paroles qui, mieux que toutes les chartes, mieux que toutes les
Déclarations des droits de l'homme, annoncent le véritable affranchissement des peuples !!!
L'Ange Gardien – Juillet 1901 – pp.75-79
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L'Ange Gabriel et Saint Joseph
Marie, la plus pure des Vierges, était fiancée à Joseph. Or, avant qu'ils eussent habité ensemble, Marie avait reçu la glorieuse ambassade de l'Ange qui lui avait annoncé qu'elle allait devenir la Mère de Dieu.
Devenu son époux selon la loi, ignorant encore le mystère de 1'Incarnation du Verbe et par là même l'origine divine de la maternité de Marie, Joseph, homme vertueux par excellence, eut une incertitude poignante, une perplexité douloureuse concernant son épouse, qui cependant lui paraissait toujours un prodige de candeur et de sainteté.
Dans cette rude épreuve qui torturait son âme, Joseph résolut de ne pas retenir Marie sous son toit, et de la renvoyer secrètement, afin de ne point jeter d'ombre sur sa vertu.
Comme il se disposait à cette triste séparation, et qu'il dormait sur sa couche solitaire, l'Ange du Seigneur lui apparut en songe ; « Joseph, fils de David, dit l'envoyé céleste, ne craignez point de prendre avec vous Marie, votre épouse, car ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils auquel sous donnerez le nom de Jésus, car il sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés. »
Or tout cela arriva, afin que fût accompli ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète disant : « Voici que la Vierge concevra et elle enfantera an fils, à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-a-dire Dieu avec nous. »
Par la vision et les paroles de l'Ange, Joseph connut l'ineffable mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu, et à quel honneur céleste il était appelé. Ses craintes douloureuses se changèrent en une sainte joie ; il était devenu époux par le cœur, et il ne songea plus qu'à prendre soin de Marie et de son divin Enfant.
De ce texte des saints Evangiles, il est permis de tirer de profondes leçons.
Le soupçon, le hideux soupçon nous atteint parfois à l'endroit même de ceux que nous aimons de l'amour le plus ardent. Faut-il se laisser entraîner par ce soupçon, amener sans retard une rupture éclatante ? Ne nous hâtons pas d'agir en ce cas, sachons d'abord réfléchir et prier, prier surtout. Imitons saint Joseph.
L'Ange de Dieu porte à Joseph la lumière, détruit à jamais ses soupçons et lui rend la douce paix du cœur. De même, notre Ange gardien, céleste conseiller, nous dirigera dans nos actions et nous évitera des regrets, des remords peut-être qui plus tard attristeraient notre âme, si nous avions agi sans sagesse et par violence.
A notre demande, à notre prière, notre bon Ange répondra ; il nous parlera dans la veille ou dans le sommeil, parmi les préoccupations du jour ou dans le calme silence des nuits. Si nos soupons sont fondés, il nous le dira, et alors il nous dictera clairement, comme à Joseph, la conduite à tenir.
Si nos soupons n'étaient pas fondés, notre bon Ange nous le dira aussi et, avec une joie toute céleste, il nous montrera que les apparences seules étaient contre notre frère.
Le manteau de Joseph entre les mains d'une prétendue victime pouvait paraître une preuve péremptoire et cependant Joseph était innocent : les apparences les plus graves ne couvraient aucune réalité. Dieu permettait cette épreuve pour augmenter les mérites d'une âme qui lui était particulièrement chère.
Il en sera de même pour notre frère injustement accusé. Nous aurons la joie de le constater, le bonheur de lui rendre justice et de pouvoir l'aimer encore en l'estimant. Nous saurons même, s'il est utile, travailler sans retard à sa réhabilitation, et défendre avec courage son honneur calomnié. Quelle que soit alors l'opinion des hommes, nous saurons la braver, pour accomplir un devoir de charité, si par la voix de son Ange, Dieu nous a dit d'agir de la sorte. A\u mérite de la charité, nous ajouterons ainsi le mérite d'une prompte obéissance aux ordres de Dieu.
N'oublions pas que la promptitude à donner grandit sans mesure le mérite de l'aumône. Et quelle meilleure aumône que de soutenir de tout son pouvoir envers et contre tous, notre frère injustement accusé ?
L'Ange Gardien – Août 1901 – pp.111-113
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Les Anges de Noël
Il y a dix-neuf siècles, un soir du mois de décembre, - le mois de Tebet des Juifs - de nombreux voyageurs se pressaient dans la petite ville de Bethléem de Judée. Le khan du village - le diversorium - était encombré.
Deux voyageurs arrivaient, les derniers sans doute et peut-être plus fatigués d'un plus dur chemin, un homme, dans la maturité de l'âge, une jeune femme, son épouse, sur le point d'être mère. Leur vêtement très ordinaire et leur humble attitude disaient assez qu'ils étaient pauvres. L'homme s'appelait Joseph ; la jeune femme, Marie.
Ils ne purent trouver de place ni dans les maisons particulières, ni dans le caravansérail occupé ; ils durent chercher un abri précaire dans une grotte aménagée en étable, aux flancs de la montagne calcaire qui sert de base à la ville de Bethléem. C'est là que la jeune femme mit au monde son fils premier-né, à minuit, sans autres témoins que Joseph et les Anges.
La petite ville endormie ne se doutait pas de la naissance de Celui qui, mieux que le roi David, devait immortaliser son nom, devait sauver le monde !!!
Au pied de la colline, dans la plaine où Booz possédait les champs d'orge et de froment que glanait Ruth la Moabite, plusieurs bergers gardaient leurs troupeaux. Or, pendant que ces bergers veillaient, une clarté céleste les inonda soudain. Un instant effrayés, ils osèrent pourtant regarder bientôt et ils virent debout, devant eux, un Ange du Seigneur.
Cet Ange leur parla : « Rassurez-vous, leur dit-il, je viens vous annoncer la nouvelle d'une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né dans la cité de David, un Sauveur qui est le Christ, l'Emmanuel. Vous le reconnaîtrez à ce signe : il repose, enveloppé de langes, dans une crèche. »
Au même instant, se joignit à l'Ange un chœur d'esprits bienheureux qui ensemble chantaient : « Gloire à Dieu dans le ciel, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté ! »
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… Gloire à Dieu dans le ciel, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !
Les pauvres pâtres, appelés par les Anges au berceau de l'Enfant-Dieu, durent chanter aussi ces douces paroles, comme sans doute les rois de l'Orient que guidera l'étoile miraculeuse.
Gloire à Dieu, disent les Anges ! Que n'apparaissent-ils encore, ces esprits bienheureux, visibles à nos yeux de chair, dans leur radieuse beauté, pour nous faire entendre à nouveau cette parole : Gloire à Dieu !
Gloire soit rendue à Dieu au sein de notre société qui, dans son fol orgueil, se divinise elle-même, oublieuse de Celui dont elle tient tout.
Gloire à Dieu au sein des villes et des campagnes, parmi les humbles, bouviers ou pâtres, travailleurs de tout noble outil, ouvriers de la matière, ouvriers de la pensée. Il en est tant qui oublient Dieu et la gloire qui lui est due, même à la campagne où Dieu paraît plus évident encore, au sein de la création plus belle, moins déformée.
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! Paix à tous les travailleurs qui peinent, qui suent le long du jour, pour manger un pain précaire, pour donner à leur famille la quotidienne provende !
Paix aux ouvriers du commerce et de l'industrie, engouffrés dans ces vastes magasins, dans ces usines immenses, sans un moment de répit, même le dimanche que tous devraient posséder en toute liberté.
Paix aux ouvriers de l'intelligence. Que leurs pensées conçues dans le calme puissent éclore dans une douce et sereine tranquillité, au lieu d'être pressées, écrasées, anéanties dans l'inquiétude et le tumulte.
Paix à ces hommes de bonne volonté surtout qui, oubliant eux-mêmes sur cette terre, se dévouent à toute noble cause, à la cause du peuple particulièrement, par l'éducation chrétienne des enfants.
Paix à ces hommes plus proches de Dieu par l'esprit de sacrifice qui les fait se donner à leur œuvre tout entiers, sans arrière-pensée, comme le Crucifié du Golgotha, leur divin modèle.
Quel crime ne serait-ce pas d'obliger ces hommes, ces religieux à se disperser, à chercher sous d'autres cieux une patrie nouvelle - qui ne sera jamais la patrie, la terre de nos pères, la France !
Paix à ces hommes ! Qu'ils puissent poursuivre sans obstacle la réalisation de leur œuvre féconde ; promouvoir à la fois la gloire de Dieu et la gloire de la France !
L'Ange Gardien – Septembre 1901 – pp.145-148
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L'Ange de l'exil
Après les bergers venus au berceau de l'Enfant-Dieu, du fond de l'Orient accouraient les Mages, guidés par l'Etoile mystérieuse. Arrivés à Jérusalem, en toute ingénuité et candeur, ils demandent où est né le roi des Juifs.
Hérode s'émeut, mais, en fin politique, ne laisse pas percer cette émotion. Les docteurs de la Loi répondent à la question des Mages. C'est à Bethléem que naîtra Celui qui doit régir Israël, son peuple.
Hérode est fixé. Que les Mages cherchent le nouveau-né et, une fois qu'ils l'auront découvert, qu'ils le préviennent ; il ira à son tour lui offrir ses hommages...
Les Mages trouvent le Nouveau-né, lui offrent leurs présents ; mais, avertis en songe des perfides desseins de l'Iduméen Hérode, ils s'éloignent secrètement sans le prévenir.
Quelques jours se passent ; Hérode se voit joué. Dans sa déception, dans sa rage folle, il fera mourir tous les enfants de Bethléem et des environs. Ainsi le Nouveau-né ne saurait échapper ; il sera englobé dans l'universel massacre.
Dieu se rit, quand il lui plait, des desseins du méchant. Le faible Nouveau-né échappera aux coups du roi puisant. Durant la nuit, un Ange apparaît à Joseph : « Lève-toi, dit-il, prends l'enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu'à ce que je te parle, car il arrivera que Hérode cherchera l'Enfant pour le faire mourir. » Joseph s'étant levé prit 1'Enfant et sa mère durant la nuit et s'enfuit vers l'Egypte, où il resta jusqu'à la mort d'Hérode, afin que s'accomplit la parole du prophète : J'ai rappelé mon fils de l'Egypte.
Quel est l'Ange qui apparaît à Joseph ? qui conseille et guide apparemment la fuite vers le pays de l'exil ?
C'est le même Ange, sans doute, qui a parlé à Zacharie, père de Jean le Précurseur, le même Ange qui 1'a rassuré, lui, Joseph, dans ses incertitudes touchant la Mère de Jésus, le même encore qui avait annoncé à Marie que, sans détriment pour sa virginité, elle serait la Mère du Fils de Dieu, le même aussi qui, environné d'esprits bienheureux, parlait naguère aux pauvres bergers, leur annonçant la bonne nouvelle de la naissance du Sauveur...
C'est l'Ange Gabriel, le messager de la Rédemption, le dépositaire du secret de la génération temporelle du Verbe ; c'est Gabriel la Force de Dieu.
Et cependant cette Force semble inquiète et troublée. L'Ange apporte la crainte ; il semble, dit saint Pierre Chrysologue, que la terreur ait saisi le ciel avant que de se répandre sur la terre.
« Pourquoi ? si ce n'est, nous dit Bossuet, pour mettre à l'épreuve l'amour et la fidélité de Joseph qui ne pouvait pas n'être pas ému d'une manière fort vive, en voyant le péril d'une épouse si chère et d'un si cher fils.
Etrange état d'un pauvre artisan qui se voit banni tout à coup : et pourquoi ? parce qu'il est chargé de Jésus et qu'il l'a en sa compagnie. Avant qu'il fût né, lui et sa sainte épouse vivaient pauvrement mais tranquillement dans leur ménage, gagnant doucement leur vie par le travail de leurs mains, mais aussitôt que Jésus leur est donné, il n'y a point de repos pour eux.
Cependant Joseph demeure soumis et ne se plaint pas de cet Enfant incommode qui ne leur apporte que persécutions : il part, il va en Egypte, où il n'a aucune habitude, sans savoir quand il reviendra dans sa patrie, à sa boutique, à sa pauvre maison.
On n'a pas Jésus pour rien, il faut prendre part à ses croix ! »
*
* *
Cette simple et magnifique parole de Bossuet :
On n'a pas Jésus pour rien, il faut prendre part à ses croix s'applique bien aux victimes de la persécution actuelle.
Lorsque survient la croix, l'épreuve, Dieu n'est pas loin, c'en est la marque. Mais parce que Dieu, en qui l'on espère, n'est pas loin, parce qu'il est là, Lui, notre refuge et notre force, on peut se laisser aller à toutes les espérances.
Oui, on peut nourrir de saintes et douces espérances, quand on considère comme fut déçu le cruel espoir de l'hypocrite Hérode. « Les politiques, ajoute Bossuet, seront éternellement le jouet de leurs propres précautions que Dieu tourne comme il lui plaît ; il faut que tout ce qu'il veut s'accomplisse, sans que les hommes puissent l'empêcher, puisqu'il fait servir leurs finesses à ses desseins. »
Les Hérodes modernes seront eux mêmes le jouet de leurs propres précautions. Le Seigneur peut envoyer son Ange - Gabriel, la Force de Dieu - et les victimes seront arrachées aux bourreaux, et les bourreaux passeront comme passait Hérode, en quelques mois, et les fugitifs, les exilés reverront la patrie, comme la sainte Famille revit Nazareth, la ville fleurie. Les proscrits d'aujourd'hui reviendront demain, et la France épandra les fleurs sur leur chemin, voie triomphale.
Plus violente aura été l'épreuve, et plus éclatant sera le triomphe !!!
L'Ange Gardien – Novembre 1901 – pp.219-222
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L'Ange annonce la fin de l'exil
Après la mort d'Hérode, l'Ange du Seigneur apparut pendant le sommeil à Joseph, en Egypte : « Lève-toi, dit-il, prends l'Enfant et sa Mère et va dans la terre d'Israël ; ils sont morts ceux qui en voulaient à la vie de l'Enfant. »
Joseph se levant prit Jésus et Marie et vint dans la terre d'Israël. Mais apprenant qu'Archélaüs régnait en Judée à la place d'Hérode, son père, il craignit d'y aller et, averti de nouveau par l'Ange, pendant son sommeil, il se retira en Galilée.
Hérode est mort. L'Ange aussitôt apparaît à Joseph, lui fait part de cet événement. « Lève-toi, lui dit-il, lève-toi ! » Il connaît la docilité de Joseph, il sait que Joseph n'hésitera pas.
En effet, à la parole de l'Ange, Joseph qui avait pris le chemin de l'exil, la terre étrangère, reprend, à cette même voix et avec la même promptitude, le chemin de la patrie, de la terre d'Israël. Il sait sûrement, l'Ange l'ayant affirmé, qu'ils sont morts ceux qui en voulaient à la vie de Jésus.
Est-ce à Joseph seul que l'Ange du Seigneur parle en toute circonstance, et dicte la conduite à tenir ? Non, il parle aussi à chacun de nous.
Mais nous n'écoutons pas toujours cette voix céleste, nous n'y répondons pas avec la prompte obéissance de Joseph. Nous préférons même ne pas entendre cette voix qui nous apporterait des ordres onéreux ; nous l'étouffons parmi les bruits du monde extérieur, parmi les tumultes de nos passions et de nos convoitises. Si nous écoutions cette voix de l'Ange commis par Dieu pour nous guider ; si, pour écouter cette voix douce et sainte, nous faisions taire un instant les préoccupations de la terre ; si nous nous retirions des vains bruits du monde ; si nous faisions cesser en nos âmes troublées le tumulte de nos passions, de nos désirs mondains, nous entendrions sans doute la voix de l'Ange, nous l'entendrions aussi nette, aussi distincte que l'entendait Joseph, le doux gardien de Jésus. Alors, nous serions, à l'exemple de Joseph, dociles à ses indications, à sa direction ; nous règlerions sur elle nos actes, nos pas et notre repos, la veille et le sommeil, en un mot, toute notre conduite, et nous éviterions ainsi bien des mécomptes, bien des tristesses, bien des malheurs.
Guidés par l'Ange, avec Joseph nous garderions Jésus ; nous le garderions, et il nous garderait à son tour. Il nous ferait, ce doux Jésus, purs et sereins tous les jours de la vie ; il nous ferait ces jours, souvent maussades et tristes, aussi beaux, à quelque différence près, que les jours éternellement radieux de la patrie céleste. Avoir Jésus, n'est-ce pas la posséder déjà, dès ce bas-monde, cette idéale patrie ?
Mais écouter la parole de l'Ange ne détruirait pas notre initiative personnelle, n'annihilerait pas notre jugement pratique, cette prudence même qui nous fait écouter la voix de l'Ange sans nous empêcher cependant de nous décider par nos seules lumières, si la voix de l'Ange ne se fait pas entendre encore. L'Ange attend peut-être de nous cette initiative pour l'encourager, la corroborer de son assentiment.
Joseph prit l'Enfant et sa Mère et revint dans la terre d'Israël, mais apprenant qu'Archélaüs régnait en Judée, à la place d'Hérode, il craignit d'y aller.
L'Ange a tracé les grandes lignes. L'heure a sonné, dit-il, de quitter la terre d'exil, de revoir la patrie. Mais il n'a pas dit où Joseph devait se fixer avec la sainte Famille : il laisse Joseph à sa prudence personnelle, se contentant de lui dire bientôt que ses vues sont bien les vues de Dieu, qu'il fait bien d'abandonner l'idée d'aller en Judée, où l'Enfant courrait trop de dangers sous la domination du cruel Archélaüs, qu'il est préférable de se diriger vers la Galilée, où règne Hérode Antipas, bien différent de son père et de son frère.
Que la conduite de Joseph, conduite approuvée par l'Ange, nous soit une leçon, à d'autres égards encore. Joseph sait, à n'en pas douter, que le divin Enfant commis à sa garde possède la puissance infinie, qu'il a dans sa frêle main d'enfant, à son service, prodiges et miracles. Cependant Joseph, même avec la présence, la protection de l'Ange qu'il sent à ses côtés, même avec la certitude de la puissance du divin Enfant, recourt aux mesures de prudence.
Est-ce manque de foi ? Non, certes. Seulement il sait que si Dieu met à notre service le miracle quand c'est nécessaire, indispensable, il ne nous donne d'ordinaire le miracle qu'en dernier ressort, lorsque nous avons épuisé les moyens, les ressources de la prévoyance humaine.
« Aide-toi, le Ciel t'aidera. » Croyez au miracle, demandez-le avec la foi la plus vive ; mais ne négligez aucun des moyens mis naturellement par Dieu à votre disposition pour opérer votre œuvre en dehors des lois du merveilleux.
Combien parmi les meilleurs qui oublient, ce semble, cette règle si simple, l'oublient ès affaires privées, et plus encore ès affaires publiques. A voir leur situation particulière si triste, la douloureuse situation aussi de la France, ces âmes redisent, dolentes : « Un miracle seul peut nous tirer de cet abîme ! »
Pour accorder le miracle, Dieu veut plus que les cris : Seigneur!... Seigneur !... Il veut
notre action.
Quand, sous l'oeil de Dieu toujours, nous aurons épuisé les moyens ordinaires - moyens surnaturels d'ailleurs par quelque endroit, venant de Dieu et rapportés à Dieu - alors Dieu avant éprouvé, épuré, activé notre foi par la constatation même de l'impuissance humaine, saura, s'il est nécessaire, opérer le miracle que nous demandons et qui nous semble nécessaire pour rendre la paix et la prospérité à notre patrie.
L'Ange Gardien – Décembre 1901 – pp.255-258
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La tentation de Jésus et les Anges
Jésus, plein de l'Esprit de Dieu, quitte le Jourdain et se dirige vers le désert, où il y demeure quarante jours, dans le jeûne absolu, dans la solitude complète.
Ce temps écoulé, il a faim. Alors le Tentateur s'approche : « Si tu es le Fils de Dieu, dit-il, commande à ces pierres de devenir du pain. »
Jésus lui répond : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Le démon le transporte dans la cité, et le déposant sur le faîte du temple : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; Dieu a commandé à ses Anges de te prendre en leurs mains, pour que tu ne heurtes pas la pierre du chemin. »
- Il est écrit, réplique Jésus : « Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. »
Le démon le transporte ensuite sur une haute montagne, et lui découvre un fantastique panorama, les royaumes du monde, leur éclat et leur gloire : « Tout cela est à toi, si tombant à genoux, tu m'adores. »
- Retire-toi, Satan, dit Jésus, il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et ne serviras que lui seul. »
Le démon, trompé dans son attente, quitte Jésus pour un temps ; et les Anges qui, invisibles, assistaient à ces scènes diverses, se manifestent maintenant, s'approchent de Jésus et le servent.
Au début de sa vie publique, Jésus prend le temps de se recueillir, de faire pénitence. Il souffre la tentation pour nous indiquer le moyen de 1a vaincre.
Au début d'une année, d'une année de vie publique à des degrés divers pour la plupart d'entre nous, dociles à l'impulsion de l'Esprit qui nous fut conféré au baptême, accordé avec des dons surabondants à la confirmation, sachons nous recueillir, faire le désert autour de nous, sachons nous mortifier, prier, jeûner et prévoir, sachons prévoir la tentation qui nous arrivera sans tarder.
Tentation de paresse et d'inertie ! Le démon, par un artifice singulier, nous dira peut-être : « Vous jeûnez, vous priez ; vous avez la foi vive et forte ; Dieu pour vous fera des miracles. A votre prière, les pierres elles-mêmes deviendront du pain. En d'autres termes, sans peine, ni travail, tout vous viendra à souhait. » N'est-ce pas la tentation du démon aux catholiques du temps présent ? Maintes fois, ouvriers du bien, ils sont moins actifs que les ouvriers du mal. Est-ce parce qu'ils ont Dieu pour leur venir en aide en temps opportun ?
L'homme, certes, n'aboutit pas seulement à ses fins par son activité personnelle ; mais Dieu a voulu que d'ordinaire, à la confiance en sa miséricordieuse bonté fût jointe l'activité personnelle. Dieu nous vient en aide, quand malgré nos efforts, impuissants, nous nous manquons à nous-mêmes. Hors de là, sauf de rares exceptions, il veut notre collaboration active, ardente à l'œuvre que nous entendons faire avec Lui et pour Lui.
Dans nos œuvres, agissons comme si le résultat devait dépendre de notre seule action, tout en reconnaissant que notre action serait vaine sans la miséricordieuse coopération de Dieu.
Deuxième tentation, tentation de folle confiance : se jeter en bas du faîte du temple avec la conviction que les Anges nous recevront dans leurs mains !
Combien qui, sans craindre leur faiblesse, se jettent inconsidérément dans l'occasion du péché avec l'espoir téméraire d'un secours extraordinaire et miraculeux !
Combien qui entreprennent dans l'ordre de Dieu des œuvres extraordinaires, mais négligent d'employer à la réussite de ces œuvres l'activité, la diligence proportionnée au but à atteindre et qui naïvement s'étonnent de l'échec, de l'effondrement de leurs grandioses illusions ! C'était tenter Dieu qui nous demande notre plus active collaboration, tous nos efforts pour atteindre le succès.
Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ! Troisième tentation, tentation d'orgueil.
Le démon nous élève sur la montagne, nous montre les œuvres extraordinaires à accomplir. Nous ne sommes pas faits, insinuera-t-il, pour les œuvres ordinaires, les besognes terre-à-terre : laissons cela aux pauvres et simples d'esprit. Ayons un autre idéal, sortons de la vie commune, les œuvres les plus considérables ne sont pas au-dessus de nos moyens. Au besoin, nous pourrions dominer, tout diriger dans une très grande sphère d'action. Les chefs que Dieu a mis à notre tête pour nous guider et nous conduire sont manifestement au-dessous de leur tâche : substituons-nous à eux et attribuons-nous la mission de prendre en main le gouvernail à leur place.
Sans nous en douter, nous tombons à genoux devant le démon de l'orgueil. Soldats disciplinés, nous eussions, demeurant dans le rang, combattu le bon combat, contribué pour notre humble part au succès de la lutte, tandis que hors du rang, contre toute discipline, nous compromettrions l’issue du combat, le succès commun et plus souvent encore notre propre salut.
De l'orgueil déçu, froissé, il n'y a qu'un pas facile à franchir pour arriver à la révolte, à l'apostasie. C'est l'histoire de maintes défections douloureuses.
Pour cette année qui s'ouvre devant nous, pour les années que peut nous réserver l'avenir, nous recueillant sous le regard de Dieu, proposons-nous de combattre, comme Jésus a combattu au désert, les tentations de paresseuse inertie, de téméraire confiance, de fol orgueil.
Le démon sera vaincu, et les Anges qui, invisibles, assistent à la lutte, se manifesteront à nous par leur céleste intercession pour faire triompher notre cause particulière, personnelle, et la cause générale du bien à laquelle chacun de nous, selon ses faibles forces, dans sa sphère modeste, doit apporter sa contribution.
L'Ange Gardien – Janvier 1902 – pp. 292-296
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Messores Angeli !!!
Le semeur sème son grain. Sur son chemin, tombe une partie de la semence. Elle est foulée aux pieds, les oiseaux du ciel la dévorent.
Une autre partie tombe sur un sol pierreux et lève bientôt, mais le soleil la dessèche et la brûle ; elle n'a point le suc de la terre pour la rafraîchir, pour la fortifier, et elle meurt en germe.
Une autre partie est jetée au milieu des épines, qui l'étouffent peu à peu dans sa croissance ; elle ne donne pas de fruit.
Une autre enfin tombe en bonne terre ; elle pousse, elle grandit ; elle fructifie selon l'espoir du semeur. Les graines donnent vingt, soixante, cent pour un.
Écoutez encore ! Un homme avait semé du bon grain dans son champ. Pendant que ses serviteurs dormaient, son ennemi vint, sema de l'ivraie parmi le pur froment.
Quand la semence eut germé, monté, l'ivraie parut.
« Maître, dirent les serviteurs, n'aviez-vous pas semé du bon grain ? D'où vient l'ivraie ?
- Mon ennemi a fait cela, répond le maître.
- Voulez-vous que nous l'arrachions ?
- Non, reprit le maître, car en arrachant l'ivraie, vous pourriez arracher le froment aussi : Attendez la moisson. Alors vous recueillerez l'ivraie et la mettrez en gerbe pour la brûler, puis vous amasserez le pur froment et l'enfermerez dans mes greniers. »
*
* *
A ses apôtres, à ses disciples attentifs, curieux, Jésus explique ses paraboles.
La semence, c'est la parole de Dieu. Le semeur, c'est celui qui répand cette parole.
La semence tombe le long des chemins.
Il est des hommes qui entendent la parole divine, et ne veulent pas s'en pénétrer. Satan - 1e Mauvais - a vite enlevé cette parole semée en leurs cœurs, de peur qu'ils ne croient et ne soient sauvés.
La semence tombe en terrain pierreux, germe, lève et meurt.
Il est des natures inconstantes qui écoutent la parole de Dieu avec joie et y restent dociles quelque temps ; mais au soleil de l'épreuve dardant sur elles, cette parole meurt vite dans leur âme.
La semence tombe parmi les épines.
Il en est qui écoutent la parole de Dieu avec amour ; mais l'étouffent bientôt, aux vains bruits du monde, au tracas des richesses, au tumulte des affaires, aux suggestions des passions.
La semence est tombée en bonne terre.
Ce sont ceux qui écoutent la parole divine, l'accueillent avec un cœur bon, excellent, la comprennent, la méditent et la font fructifier en toute patience.
… Après la bonne semence, le semeur de bon grain.
Ce semeur, c'est le Fils de l'Homme ; le champ, c'est le monde ; le bon grain, ce sont les enfants du royaume ; l'ivraie, les fils de Satan, et l'ennemi qui l'a semée, c'est l'Ennemi, le Mauvais.
Le temps de la moisson, c'est la fin du monde.
Les moissonneurs, ce sont les Anges.
Messores angeli.
On cueille l'ivraie pour le feu. Ainsi, à la fin des temps, le Fils de l'Homme enverra ses Anges, qui enlèveront de son royaume les ouvriers d'iniquité et de scandale pour les jeter dans la fournaise, l'inextinguible fournaise, où sont les pleurs et les grincements de dents.
Les justes, au contraire, resplendiront comme des soleils dans le royaume du Père céleste...
Le bon grain a été semé en nos âmes. Nos âmes ne se sont-elles pas endurcies comme le sol du chemin, n'ont-elles pas été obstinément rebelles à la parole divine ? Ne sont-elles pas la terre pierreuse qui reçoit la semence et puis la laisse mourir, ou peut-être la terre aux herbes folles, aux épines inextricables qui étouffent la semence ?
Non, nos âmes sont meilleures ; la semence y peut germer, lever, mûrir, aux chauds rayons du soleil de justice.
Mais que de fois l'infernal Ennemi endort notre vigilance et sème la maudite ivraie dans notre âme !
A toute heure, nous devons veiller, prier, agir, pour garder la parole de Dieu et la faire fructifier en nos cœurs.
Nous devons la garder, la divine semence, pure de toute ivraie, c'est-à-dire des maximes du siècle, des accommodements aux opinions courantes, du vague sentimentalisme religieux, la déplorable illusion en nos jours de beaucoup de chrétiens, de beaucoup de chrétiennes surtout, se réclamant à toute heure d'un Evangile où Jésus-Christ ne saurait reconnaître ses fidèles disciples.
Nous devons la garder pure cette parole et la mettre en pratique en toute patience, non pas seulement dans les circonstances extraordinaires très rares, mais dans les actes ordinaires, dans les ennuis quotidiens, les épreuves obscures où pour vaincre nous n'avons pas le stimulant de l'orgueil - ivraie encore - qui se mixe si facilement aux grandes choses, aux actes héroïques ou prétendus tels.
L'héroïsme d'ailleurs n'est pas seulement dans les actes extraordinaires ; il est aussi dans les actes les plus ordinaires de la vie, héroïsme obscur et plus méritoire encore. « Mon héroïsme à moi, c'est d'être où je suis, où Dieu m'a placée » disait naguère une énergique enfant qui, sans éclat, sans regret ni plainte, sacrifie à ses parents inconscients : les joies de sa jeunesse, les espérances d'un modeste avenir.
Le monde ne la connaît pas cette enfant, mais Dieu la connaît, et il suit d'un œil de complaisance et d'amour, son obscur héroïsme, qui est l'héroïsme des âmes humbles où germe, lève et grandit la pure semence, la semence sans ivraie, qu'au jour de la moisson, recueilleront en leurs bras, pour l'offrir à Dieu le Père, les Anges, célestes moissonneurs.
L'Ange Gardien – Février 1902 – pp.327-331
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L’Ange de la piscine probatique
La fête des juifs était proche. Jésus revint à Jérusalem et se rendit à la piscine probatique, la piscine aux cinq portiques, appelée en hébreu Bethsaïda.
Sous les portiques passaient, gisaient, mêlés, confondus, les malades les plus divers, aveugles, boiteux, paralytiques ; tous, avec une égale impatience, attendaient le mouvement des eaux, car, à certains moments, l'Ange du Seigneur descendait dans la piscine, et l'eau s'agitait, bouillonnante. Alors, le premier malade descendu dans la piscine était aussitôt guéri, quelle que fût son infirmité.
Or, il y avait là un paralytique privé de l'usage de ses membres. Depuis trente huit ans, il attendait, plein de foi, sa guérison. Jésus le vit gisant sur son grabat. Il s'approcha :
- Veux tu, lui dit-il, veux tu être guéri ?
- Seigneur, dit le malade, je voudrais certes être guéri, mais lorsque 1'eau s'agite et bouillonne, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine salutaire. En vain je m'efforce de m'y précipiter, un autre me prévient et il est guéri.
- Lève-toi, lui dit Jésus, prends ton grabat et marche.
Le malade, instantanément guéri, se redressant, prit son grabat et s'en alla.
Elle existe toujours la Piscine salutaire, au sein de la nouvelle Jérusalem, au sein de l'Eglise catholique ; elle existe toujours la piscine où s'évanouissent les maux et tares de l'âme. C'est le sacrement de baptême.
Heureux ceux qui l'ont reçu ! Heureux ceux qui sont restés fidèles aux engagements et promesses de ce baptême ! Qu'ils remercient Dieu de la grâce qui leur a été faite préférablement à tant d'autres dont le front n'a pas été, ne sera jamais baigné de cette eau salutaire ! Qu'ils prouvent leur reconnaissance à Dieu, en ménageant pareille grâce à leurs frères moins favorisés.
Il n'est pas donné à tous de quitter sa famille et son pays, d'aller évangéliser les infidèles ; mais à tous il est facile d'aider, par des prières, tout au moins, le missionnaire qui, loin de sa patrie, loin des siens, donne sa vie pour procurer à quelques pauvres inconnus cette grâce qui leur ouvrira le ciel.
Ce missionnaire injustement calomnié, on peut, on doit le venger devant ses calomniateurs. Lui, tout entier à sa tâche sublime n'a pas le temps de répondre à ces lâches attaques. Ces calomnies d'ailleurs n'iront peut être pas jusqu'à lui ; il les ignorera toujours. Ceux qui lancent contre lui ces paroles de haine se garderont bien d'aller eux-mêmes les porter où le missionnaire répand sa parole d'amour. Il leur en coûterait trop sans doute ! Les calomniateurs se sentent plus à l'aise et hors des dangers de toutes sortes, au haut de la tribune où le peuple les hissa pour faire meilleure besogne ; dans les colonnes d'un journal où tout se vend et tout s'achète, où leur prose est payée quelques deniers, comme le baiser de Judas, par quelque mécréant […].
Les infidèles, en outre, ne sont pas seulement aux extrémités du monde, ils sont à nos cités. Le nombre des enfants qui ne reçoivent pas le baptême, est même grand dans certaines villes. A ces enfants, nés en pays catholique, sous le beau ciel de France, il manque
l'homme qui les jetterait dans la piscine salutaire dont le prêtre – ange terrestre, messager de Dieu – fait bouillonner et s'épandre les eaux purificatrices.
Soyez l'homme secourable à ces abandonnés et procurez-leur, par l'intermédiaire du prêtre, l'inappréciable bienfait de ce bain nécessaire du baptême.
La piscine salutaire, c'est aussi le sacrement de Pénitence, baptême nouveau, baptême de larmes pour ceux qui, oublieux de leurs engagements les plus solennels, ont souillé, traîné dans la boue, dans la honte du vice, le blanc vêtement des baptisés.
L'ange, le prêtre, met en mouvement, fait jaillir, au premier désir qui lui est exprimé, ces eaux pures, ces eaux salutaires de la pénitence.
Mais il y a des malades qui s'ignorent eux-mêmes, inconscients de leur dangereux état ; il y en a qui n'osent, retenus par la honte, réclamer le remède efficace, et ils ne vont pas à la piscine qui guérit ! Que leur faudrait-il cependant à ces malades divers, à ces sourds, à ces aveugles, à ces boiteux, à ces paralytiques ? Un homme seulement, un homme de bien, un ami donnant, avec l'exemple nécessaire, le conseil affectueux qui amènerait, présenterait au prêtre le pauvre pécheur paralysé par ses passions !
Le pécheur s'en retournerait guéri, et sa joie serait grande apparemment de se voir délivré de ses liens, de ses entraves ! Grande aussi la joie du prêtre, messager de Dieu pour accomplir ce miracle ; grande encore la joie de l'ange du ciel qui, d'un œil d'amour, contemplerait ce spectacle si beau d'une âme relevée, réhabilitée devant Dieu, devant sa propre conscience, et même devant les hommes capables de reconnaître la puissance et les bienfaits que Jésus Christ a légués à Son Eglise.
L'Ange Gardien – Mars 1902 – pp. 363-366
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Les Anges et le pauvre Lazare
Un homme riche, vêtu de pourpre et de soie, passait ses jours dans les plaisirs et les festins. A sa porte, gisait, couvert de plaies, un pauvre du nom de Lazare. Affamé, il eût bien voulu se rassasier des miettes tombées de la table du riche ; mais personne n'avait la charité de les lui donner. Les chiens, plus cléments au malheureux, doucement léchaient ses plaies.
Le mendiant mourut et les Anges sur leurs ailes d'or emportèrent son âme dans le sein d'Abraham. Le riche mourut à son tour ; mais ce fut pour être enseveli dans l'abîme infernal.
Au milieu d'indicibles tourments, i1 voyait dans le ciel inaccessible Abraham et Lazare dans son sein. Et il s'écriait : « Abraham, mon père, ayez pitié de moi ; envoyez vers moi Lazare pour qu'il rafraîchisse d'une goutte d'eau ma langue altérée ! Je brûle dans ces flammes ! »
Abraham lui répondit : « Mon fils, souviens-toi que ta vie a été comblée de biens, tandis que Lazare n'a connu sur terre que les maux ; à lui, la consolation maintenant ; à toi, la souffrance, la souffrance éternelle. Un abîme insondable, infranchissable s'est creusé entre vous ! »
Arrêtons le récit de la parabole pour en tirer l'enseignement qu'elle nous donne.
*
* *
Le mendiant, le souffreteux, le meurt de faim à qui les chiens plus cléments que le mauvais riche faisaient l'aumône d'une caresse, léchant ses rebutants ulcères, a quitté la vie terrestre comme on dépose un lourd fardeau au soir d'une accablante journée. Libre enfin, l'âme de Lazare vole aussitôt, sur l'aile des Anges, au séjour bienheureux, vole à Dieu, le Maître tout puissant et tout bon qui récompense la douleur pour lui patiemment supportée, acceptée.
Le Ciel est donc attentif aux pires misères humaines. Et les princes de la cour céleste regardent avec amour le pauvre, membre souffrant de Jésus-Christ, puisque, la mort venant, ils accourent pour l'emporter au céleste séjour. C'est une bien douce consolation pour tous les malheureux qui croient et espèrent en Dieu, qui savent mettre à profit leurs souffrances pour gagner le Ciel ! C'est aussi pour nous tous un instructif enseignement.
Le chemineau qui passe, les pieds blancs de poussière sous le soleil ardent, ou souillés de boue sous la pluie maussade ; le chemineau qui va péniblement, quelques hardes au dos, chercher le travail pour avoir le pain quotidien, n'est pas seul dans sa course lassante, exténuante. Avec lui, chemine attentif, un Ange, messager de Dieu, chargé de le guider et de le protéger.
Sait-il bien, ce vagabond qui passe, boudeur souvent devant les châteaux, sait-il l'histoire de Lazare et du mauvais riche ? Cette histoire allégerait sa peine, lui donnerait patience et résignation par la perspective d'un avenir meilleur.
La connaissent-ils vraiment, les riches qui voient passer le pauvre, le teint terreux, l'ail humide, les pieds meurtris ? Ils seraient plus secourables à sa misère, s'ils voyaient l'Ange qui chemine â ses côtés ; s'ils soupçonnaient l'avenir que Dieu réserve aux mauvais riches.
Il est d'autres malheureux que le chemineau errant. Voyez ces êtres contrefaits, jambes tordues, au pas lourd, hésitant, heurtant la pierre du chemin, alors que leur vague regard suit au firmament la chevauchée des nuages. Sur leur buste asymétrique, sur leur tête bizarre, dans leurs yeux illuminés parfois d'un fauve éclair, on lit souvent les funestes ravages du vice ou les tristes effets d'une incurable infirmité. Devons-nous détourner nos regards de ces malheureux ?
Il est aussi des êtres encore plus contrefaits au moral qu'au physique. Ne devons-nous point leur donner au moins notre charitable pitié, et ne pas nous montrer plus difficiles que Dieu qui pour eux, comme pour tous, fait luire son soleil ; plus difficiles que l'Ange qui ne les abandonne jamais, s'efforçant de les détourner de la voie de la perdition, et de les diriger. vers le sentier du salut ?
Si Dieu juge que l'effort de l'Ange doit aider jusqu'à la dernière heure ces êtres accablés des pires misères humaines, leur refuserons-nous notre assistance physique ou morale ?
Toute miséricorde jaillirait en nos âmes, toute répugnance cesserait en nos cœurs, même aux spectacles les plus hideux, si nous nous disions : Dieu n'éloigne pas de ces hideurs un prince de sa cour, un Ange si beau, si pur que toute beauté terrestre n'en donnera qu'un pâle reflet.
Un Ange est là ! Où l'Ange demeure, ne pouvons-nous pas demeurer ? Où l'Ange supporte, ne devons-nous pas supporter aussi ? Où l'Ange agit, s'efforçant de faire l'œuvre du bien, ne devons-nous pas, dans notre sphère modeste, faisant taire nos répugnances, agir encore et toujours pour accomplir le bien ?
Oui, nous devons pleurer avec l'Ange, si nos efforts sont vains pour prévenir l'irrémédiable chute, et chanter avec l'Ange, si nous avons pu tirer une âme du vice ; si, d'une chrysalide féconde, d'un papillon immortel nous avons pu, par notre charité, faire jaillir encore l'image de Dieu et une âme bienheureuse pour l'éternité !
L'Ange Gardien – Avril 1902 – pp. 399-403
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L’Ange de Gethsémani
Jésus savait que l'heure approchait où il allait être livré à ses ennemis. Au pied de la colline des Oliviers, à cent pas du torrent, sur la rive gauche, était un jardin appelé Gethsémani, le
Pressoir d'olives.
Jésus s'y retirait souvent, le soir, avec ses disciples pour y prier. L'endroit était propice à la prière, triste, austère, religieux. Jésus aimait ce jardin solitaire.
Il voulut y venir une fois encore pour y être cette fois broyé par la douleur, comme le fruit de l'olivier sous le pressoir. Il entra dans le jardin avec les onze apôtres : « Asseyez-vous, leur dit-il, pendant que j'irai là pour prier. »
A la distance d'un jet de pierre, il emmenait avec lui, Pierre, Jacques et Jean. L'épouvante et l'angoisse oppressaient son âme. « Mon âme est triste jusqu'à la mort, dit-il, demeurez ici, veillez avec moi ! »
Il s'avança quelques pas encore, tomba à genoux, le visage contre terre, et les trois disciples pouvaient entendre sa prière : « Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; cependant que votre volonté s'accomplisse et non pas la mienne ! »
Il revint vers les disciples et les trouva endormis.
« Simon, tu dors, tu n'as pu veiller une heure seulement ! Veillez et priez, dit Jésus. L'esprit est prompt mais la chair est faible. »
Les apôtres et Simon Pierre qui venaient de se déclarer prêts à mourir pour Jésus, ne pouvaient seulement veiller une heure pour lui.
Jésus s'éloigna une seconde fois et reprit sa prière :
« Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite ! »
Il revint encore vers les disciples de nouveau endormis. Leurs yeux étaient appesantis par le sommeil : à son appel ils répondaient à peine.
Jésus les laissa pour prier une troisième fois : « Père, si vous le voulez, éloignez ce calice de moi. Cependant que votre volonté et non pas la mienne s'accomplisse ! »
La douleur était à son comble ; il tombait en agonie, une sueur sanglante, découlant de son corps, tombait à terre. Alors
un Ange venant du ciel lui apparaissait, le soutenait et le fortifiait.
*
* *
Les souffrances physiques, la douleur morale nous attendent, nous guettent dans la vie. Celui-là qui n'a pas connu la douleur ou qui ne supporte pas l'épreuve en union avec l'Agonisant de Gethsémani, n'est pas le privilégié de Dieu.
L'épreuve se présente sous des aspects bien divers, mais toujours avec l'approbation divine. C'est la douleur physique, douleur qui brûle le sang en nos veines desséchées, qui affaisse jusqu'à l'agonie notre pauvre corps émacié.
C'est, ajoutée à la douleur physique, la souffrance morale qui ronge notre âme éprouvée, angoissée, par la rude étreinte du malheur.
Sur nous fondent, coup sur coup, les revers qui atteignaient le vieillard de l'Idumée, l'incarnation de la douleur, le patriarche Job. Nos biens disparaissent, ceux que nous aimions nous sont enlevés. La mort, cruel voleur, a meurtri notre cœur, brisé notre âme dans ses plus chères affections. Notre réputation est attaquée, notre honneur terni, la calomnie a dénaturé tous nos actes, défiguré jusqu'à nos plus intimes pensées. Et le dernier des biens, le plus précieux qui, semble-t-il, ne devait jamais nous manquer, l'affection de nos amis, de nos proches, s'évanouit à son tour.
Aux jours de la prospérité, parents et amis accouraient nombreux, empressés, le sourire aux lèvres, les mains tendues. Ils ne sont plus là maintenant ou, tout au moins, ils ne nous voient plus. Comme les apôtres à Gethsémani, pendant l'agonie de Jésus, ils dorment d'un sommeil profond, singulier, étonnant, qui ne leur permet pas d'entendre notre prière, notre appel déchirant.
Il faudra se lever, aller à eux, même aux meilleurs, aux privilégiés, tels que Pierre, Jacques et Jean. A notre appel plus rapproché, plus pressant, ils dormiront encore.
Si notre appel se fait plus vibrant, plus importun, ils s'éveilleront peut être, mais à demi, mais sans nous donner la réponse attendue, ardemment désirée. Comme les apôtres assoupis, ils n'auront à nous offrir qu'une banale consolation qui n'éveillera aucun écho dans notre pauvre âme broyée.
Si dans nos épreuves, nos meilleurs amis peuvent avoir envers nous pareille indifférence, que devons-nous attendre des autres, de ceux qui sont demeurés à distance, au seuil de nos revers, tels les disciples qui n'accompagnèrent pas Jésus au jardin de l'agonie ? Ils ne sont pas entrés dans notre épreuve ; ils ne la comprennent pas, ne la soupçonnent même pas. Aussi, au lieu des consolations que nous serions en droit d'attendre des services rendus, d'une ancienne amitié, ils se détournent de nous, étant devenus pour eux ce quelque chose de gênant dont on se débarrasse au plus vite.
Non seulement ils se détournent de nous, mais pour accentuer la scission, la séparation, l'éloignement, ils nous blâment, ils nous condamnent même sans admission de circonstances atténuantes. Au besoin - nouveaux Judas - ils nous livreraient eux-mêmes aux bourreaux, s'ils y trouvaient leur bénéfice.
L'âme est triste, triste jusqu'à la mort. « Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, pourquoi m'avez vous abandonnée ? »
Ame éprouvée, Dieu ne vous abandonne pas ; il vous fait partager ses souffrances ; il vous fait suivre la voie du Calvaire pour vous mener où il est allé, à la vie, à la gloire, au ciel, par le chemin royal de la croix.
Acquiescez à sa volonté, comme l'Agonisant de Gethsémani, acceptez le calice amer et sachez le boire jusqu'à la lie, épuisez la lie elle-même. Comme Jésus, dites : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, si cette épreuve ne peut m'être épargnée, si vous le jugez utile et profitable à votre serviteur, à votre servante, que votre volonté se fasse et non pas la mienne ! »
Et, à cet acquiescement de votre volonté à la volonté divine, un ami que nous ne voyons pas, que nous oublions à tort, qui discrètement veillait sur vous, votre Ange gardien vous manifestera sa présence et vous soutiendra, tel l'Ange qui soutenait Jésus au jardin de l'agonie,
Apparuit illi Angelus confortans eum.
Dans les moments extrêmes, dit Massillon, l'âme affligée ne doit plus compter sur les hommes. Il faut un Ange consolateur, il faut un ministre de Dieu, pour nous soutenir et nous rendre quelque force, en nous exposant la sagesse et la justice des ordres du Ciel sur nous.
L'Ange Gardien – Mai 1902 – pp. 3-8
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L'Ange de la résurrection
Voici qu'au matin du troisième jour de la mort de Jésus-Christ, il y eut un violent tremblement de terre. Un Ange du Seigneur descendit du Ciel, renversa la pierre du Sépulcre et s'assit dessus.
Son visage brillait comme l'éclair, ses vêtements avaient la blancheur de la neige. Aux saintes femmes qui apportaient des parfums pour embaumer le corps du Sauveur, il dit: « Jésus n'est plus ici, il est ressuscité comme il l'avait annoncé. »
Le Christ est ressuscité ! Moi aussi je ressusciterai !
Vienne la mort du jour marqué par Dieu, cette mort n'est pas la fin de mon être, n'est pas la chute irrémédiable dans l'éternel néant.
Je crois en la résurrection de la chair. Maintes fois, j'ai redit, j'ai chanté cette parole du Credo catholique.
Ce n'est pas un rêve, une illusion d'imagination malade. Ma chair ressuscitera !
Pauvre chair meurtrie ou flattée durant la vie, maintenant cadavre refroidi, on ne te gardera pas longtemps ! Quelques parents, quelques amis voudront te voir encore avant de te confier à la terre, à la tombe, et ce sera tout ! Qu'ils se hâtent, s'ils viennent de loin, car la corruption n'attend pas !
Ma pauvre chair n'aura même pas, pour être conservée quelque temps, les secrets perdus ou retrouvés de l'embaumeur. Pareil luxe m'est interdit. Elle sera livrée à elle-même, aux germes de décomposition que toute chair recèle en son sein. Et ces germes pousseront sans retard leur végétation vigoureuse, végétation des ruines, vie nouvelle née de la mort ! Qui sait si l'on ne devra pas en hâte me présenter à l'église, me conduire au champ du repos, au cimetière, dortoir du dernier sommeil, et, sous six pieds de terre foulée, étouffer l'insupportable puanteur qui tant incommoderait les vivants ?
Les chants ont cessé, dans l'air tiède s'évanouissent avec les derniers parfums de l'encens, les murmures de la cloche plaintive, les amis s'éloignent, emportant, pour quelques jours peut-être, le souvenir du trépassé.
Mais que se passe-il alors au sein de la tombe solitaire que couronne la croix, l'humble croix qu'on ne refusera pas à ma prière et sur laquelle je désire qu'on grave ce simple mot :
Resurgam ! Je ressusciterai ! Que se passe-t-il ? Éloignez de vos yeux ce hideux spectacle, le spectacle de ce quelque chose qui n'a de nom dans aucune langue.
Au-dessus de mes restes poussent les herbes folles au clair soleil de Dieu et tombent les feuilles livides, sous la rafale gémissante.
La décomposition est accomplie. Quelques ossements desséchés demeurent !... Mais comme les vivants, se poussent les morts. On ne me laissera pas la longue et paisible possession de mes quelques pieds de terre ; un autre, à son tour, réclamera sa place où j'aurai reposé pendant quelques années, ou bien encore, en cette fièvre impie de remuer la cendre des morts, d'éloigner le plus possible des vivants l'attristante demeure des trépassés, emportera-t-on plus loin les quelques ossements qui de moi demeurent et que nul ne reconnaît !
Que sont devenus, que deviendront encore, décomposés par l'humidité, dilués par la pluie, les éléments divers de ma pauvre dépouille ? Avec la terre maintes fois retournée, ils reparaîtront au jour, seront baignés de clair soleil et lavés de douce pluie, emportés par les vents, roulés par l'orage, au ruisseau, au fleuve, à la mer sans fond.
N'importe, ô mon Dieu, je crois en vous, je crois en votre parole, en la parole de l'Eglise, je crois en la résurrection de la chair.
Je ressusciterai ! Resurgam !
Votre regard, ô mon Dieu, a suivi ces éléments divers et votre main les rapproche, si dispersés soient-ils, et votre souffle puissant les ranime ! Un cataclysme puissant surviendra, plus effrayant que le tremblement de terre qui signale la résurrection de votre Fils, un cataclysme où sombrera le monde, et les morts se réveilleront.
Et sur les ruines des mondes détruits, les Anges radieux, brillants comme l'éclair dans leur vêtement de lumière, appelleront à eux ceux qu'ils auront guidés, gardés durant la vie éphémère de ce monde, les conduiront par la main au pied de votre trône, et vous leur donnerez, Seigneur, à ces humbles qui vous ont aimé, s'ils ne vous ont toujours fidèlement servi, vous leur donnerez une place en votre doux Paradis ; vous les baignerez de vos éternelles clartés, vous les ferez participants de votre indéfectible vie !
L'Ange Gardien – Juin 1902 – pp. 39-42
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Les Anges à l'Ascension de Jésus
Quarante jours se sont écoulés depuis la Résurrection. Les apôtres, les disciples, des foules entières ont vu Jésus ressuscité donnant la preuve tangible de sa divinité par sa résurrection si facile à constater.
L'heure de la séparation va sonner. Une dernière fois, il paraît au Cénacle, il donne à ses disciples la mission qu'ils doivent accomplir dans le monde. « Allez, enseignez les nations, prêchez l'Evangile à toute créature. Celui qui croira sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. »
Après le repas d'adieu, Jésus, suivi de toute l'assistance, cent vingt personnes environ réunies avec sa sainte Mère, quitte le Cénacle situé sur le mont Sion. Le cortège traverse la ville, passe la porte orientale, la vallée de Josaphat, le Cédron, et se dirige vers la pente du mont des Oliviers.
Quels souvenirs réveille ce parcours aujourd'hui si glorieux, naguère si triste, si douloureux pour Jésus et ses disciples ! Il passe à côté de la grotte de l'agonie, il arrive sur le territoire de Béthanie, village de Marthe, de Marie, de Lazare, d'où une vue splendide s'étend sur la ville, son temple, ses palais ! Les disciples frissonnent d'un patriotique orgueil.
- Maître, allez-vous maintenant rétablir le royaume dIsraël, disent-ils au Sauveur ?
- Il ne vous appartient pas, répond-il, de savoir le temps et le moment que le Père a réservés à son pouvoir. »
C'était l'heure de midi, l'heure où Jésus avait été élevé sur la croix. Il jette sur l'assistance un long et doux regard d'adieu : il élève les mains, il bénit ses disciples. Ses peids se détachent du sol et lentement il s'élève, mû par une force mystérieuse, vers le ciel. Il monte, il monte encore. Les yeux des apôtres le suivent, éperdus, dilatés par une sorte d'extase. Bientôt leur regard le cherche en vain, une nuée le cache à leurs yeux. Ils tiennent encore les yeux fixés au ciel, lorsque soudain deux anges vêtus de blanc se présentent à eux et leur disent :
- Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous ainsi à regarder le ciel ? Ce Jésus qui vous a quittés reviendra un jour en la même manière que vous l'avez vu monter. »
Les disciples quittent alors le lieu béni de l'ascension, redescendent la montagne des Oliviers, regagnent le Cénacle où ils attendront la venue de l'Esprit-Saint.
*
* *
La voix des Anges a rappelé aux apôtres leur mission, mission active. Ils ne s'oublieront pas entièrement dans le calme, dans les douceurs de la contemplation ; ils iront enseigner le monde, le convertir au Christ. La contemplation a précédé l'action ; c'est la condition nécessaire dans les œuvres d'apostolat.
Celui-là seul prêchera avec fruit, qui, dansla contemplation des vérités divines, aura allumé en lui le feu sacré de l'apostolat, aura appelé sur son apostolat la bénédiction de Dieu, seule pouvant féconder sa parole, sans cela inutile et vaine, cymbale retentissante, incapable d'éveiller le moindre écho dans les âmes.
Si Dieu l'eût voulu, la contemplation, la prière eussent suffi à convertir le monde ; mais il a voulu la contemplation et l'action réunies ; la contemplation, base indispensable, point d'appui nécessaire de l'action ; l'action, superstructure, couronnement non moins nécessaire, non moins indispensable pour arriver aux âmes.
Ne l'oublions jamais, que la contemplation précède l'action ; et que ni la contemplation, ni l'action ne dmeurent isolées.
Il est des arbres, tels lmes palmiers, qui ne portent jamais de fruits, s'ils ne marient leurs têtes dans l'azur ; si l'un d'entre eux ne verse sur son voisin la poussière fécondante de ses fleurs. Ainsi de la contemplation et de l'action : elles doivent être unies pour obtenir un véritable résultat. Sachons user de ces deux moyens toujours réunis. A tous et à chacun, il est donné d'être apôptre ; à tous et à chacun de mettre en œuvre ces deux moyens conjointement. Ecoutons la voix de l'Ange. Pourquoi demeurer là, inertes, les yeux au ciel, attendant exclusivement de Dieu, du miracle, un résultat que Dieu veut obtenir avec notre faible concours ?
Il s'agit d'amener à Dieu, dans le temps, des âmes qui, au dernier jour, à l'heure de l'éternité, paraîtront devant Jésus devenu leur juge. Tant d'autres, apôtres du mal, s'efforcent, par tous les moyens de les éloigner de Dieu dans le temps, pour les séparer de lui dans l'éternité. A nous de ne pas demeurer inactifs, de parler, d'agir, pour amener les âmes dévoyées, indifférentes, ignorantes à Jésus, notre divin Sauveur qui, invisible à nos yeux de chair, voit cependant nos efforts et saura les récompenser lorsqu'il paraîtra, au dernier jour, dans toute la splendeur de sa gloire divine, pour rendre à chacun selon ses œuvres : «
Venez, dira-t-il aux bons,
venez les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde, et s'adressant aux méchants :
Allez loin de moi, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses satellites. »
L'Ange Gardien – Juillet 1902 – pp. 75-78
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L'Ange libérateur des apôtres
Les apôtres opéraient beaucoup de prodiges, de miracles parmi le peuple, et le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur se multipliait de jour en jour.
On apportait les malades dans les rues, on les déposait sur des lits et des grabats, afin qu'au passage de Pierre son ombre au moins pût les effleurer, les guérir. Beaucoup se levaient et s'en retournaient pleins de santé.
Le grand-prêtre et tous les adhérents de la secte sadducéenne furent alors dans une grande colère ; ils saisirent les apôtres et les enfermèrent dans la prison publique.
Mais l'ange du Seigneur ouvrit durant la nuit les portes de la prison et, faisant sortir les apôtres, leur dit : « Allez dans le Temple et prêchez y hardiment au peuple toutes les paroles de cette doctrine de vie. » Fidèles à cette voix céleste, ils entrèrent dans le Temple dès le point du jour et se mirent à prêcher.
*
* *
Les apôtres sèment autour d'eux la bonne parole, les bonnes œuvres aussi, les œuvres merveilleuses, le miracle.
Les malades accourent à eux de toutes parts, et ils sont guéris. Les apôtres guérissent à la fois les maladies physiques et les maladies morales.
Le peuple, le vrai peuple les acclame. Sans longs raisonnements, ses conclusions sont rapides et souvent plus sûres que celles des docteurs et gens de loi.
Le peuple voit les œuvres, le résultat ; il se dit avec raison, suivant en cela l'argumentation de Jésus, le doux Sauveur : Au fruit on peut juger l'arbre. L'arbre est bon qui produit de bons fruits. Ces hommes qui nous donnent si bons enseignements, qui nous rendent si généreux services, sont dignes de notre estime, de notre respect, de notre affection. Et le peuple a raison.
Ergoteurs et gens de loi - combien nombreux ! - jugeront différemment. Un épais nuage obscurcit leur entendement. En dehors de la loi, par eux déclarée intangible, tout est considéré comme nul et non avenu. Ce qu'elle n'a pas prescrit, n'a pas prévu, n'entre pas en ligne de compte.
Les siècles ont passé, les régimes se sont succédés, les révolutions ont tout bouleversé, mais les hommes n'ont pas changé, quoi qu'on dise.
Le peuple, le vrai peuple acclame le bien où il croit le voir, honnit le mal où il pense le trouver. Il s'égare maintes fois, mais dans sa pensée c'est au bien qu'il adhère, au mal qu'il s'attaque.
L'homme de loi, ou prétendu tel, s'attache exclusivement à la loi. Ne lui demandez pas ce que c'est que la loi, si la loi dont il se réclame est conforme ou contradictoire à la justice. Le juste pour lui, c'est ce qui est légal ; l'injuste, ce qui est illégal. Peu lui importe l'origine de cette légalité. Il ne la discute pas.
C'est écrit, dirait-il volontiers comme un dévot musulman.
Le musulman interprétera-t-il au moins parfois le Coran, tandis que l'homme de loi n'interprète pas ; il adhère à la lettre à l'interprétation qu'il a demandée, qui lui a été fournie. Interpréter serait toucher à la loi. Or, en ne touche pas à la loi, chose sacrée : on a pour elle un vrai culte, culte, hélas ! trop souvent exclusif du culte dû à Dieu.
Maintes fois nous avons constaté cette mentalité chez des hommes prétendus éclairés, et nous en faisons tous les jours encore l'expérience, notamment au sujet des lois dirigées contre les congrégations religieuses.
La loi est là ! Pourquoi les religieux ne s'y soumettent-ils pas ? On a beau leur démontrer l'injustice, l'illégitimité de cette législation, vous les verrez répondre à vos arguments par ce mot fétiche qui pour eux suffit à tout : C'est la loi ! Oh ! l'éternelle équivoque entre la légalité et la loi !
L'ange de Dieu serait coupable, lui aussi, aux yeux de ces
intellectuels, coupable évidemment d'avoir libéré, sans lever d'écrou régulier, les apôtres légalement emprisonnés, coupable de leur avoir enjoint d'aller au peuple, de prêcher à ce peuple, alors que le pouvoir, la légalité leur ordonnait de se taire ; coupables les apôtres aussi d'avoir franchi le seuil de leur prison, d'avoir obéi au messager divin.
De cette aberration si fréquente, délivrez-nous, Seigneur, comme par l'intervention de votre Ange vous délivriez de leur prison vos disciples, vos apôtres. A tous, faites comprendre cette vérité si simple que, s'il y a contradiction entre votre divine loi et la légalité humaine, l'obéissance vous est due, réellement due à vous, ô mon Dieu, qui êtes le Législateur suprême, le Juge des juges et le Maître souverain de toutes choses !
L'Ange Gardien – Août 1902 – pp. 111-113
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L'Ange de Saint Pierre
L'Ange du Seigneur, qui avait déjà ouvert la porte de la prison où les juifs avaient enfermé les apôtres après l'Ascension du Sauveur, délivra encore des mains d'Hérode Pierre que Jésus avait établi prince des apôtres et chef de son Eglise.
Pour plaire aux Juifs et pour arrêter les progrès surprenants de la nouvelle religion que prêchaient les disciples du Christ, le roi Hérode devint le premier persécuteur des chrétiens. Il fit mourir par le glaive Jacques, frère de Jean, et jeter Pierre en prison, le confiant à la garde de quatre bandes de quatre soldats chacune, et voulant, après la Pâque, donner sa mort en spectacle, comme divertissement public, à tout le peuple juif. C'étaient pendant les jours des Azymes, c'est-à-dire des
pains sans levain.
Mais pendant que l'apôtre Pierre, enchaîné comme un malfaiteur, était gardé en prison par les soldats de la cohorte du roi Hérode, les prières de l'Eglise s'élevaient sans cesse à Dieu pour lui.
Or, la nuit même d'avant le jour du supplice de l'apôtre, voilà qu'un Ange entre soudain dans la prison, la remplit d'une lumière éclatante, et, touchant Pierre endormi entre deux soldats, il l'éveille et lui dit : « Lève-toi promptement ; mets ta ceinture et ta chaussure ; enveloppe-toi de ton manteau et suis moi ».
Aussitôt les chaînes tombèrent et Pierre suivit l'Ange, s'imaginant que ce qui se passait était plutôt un rêve que la réalité. Après avoir franchi le premier et le second corps de garde, ils arrivèrent à la porte de fer qui donnait sur la ville. Elle s'ouvrit d'elle-même devant eux, et ils allèrent jusqu'à l'extrémité de la rue. Alors l'Ange disparut tout à coup. Revenu à lui, voyant la réalité de sa délivrance miraculeuse, Pierre dit : « Maintenant, je sais avec certitude que le Seigneur a envoyé son Ange, et qu'il m'a tiré de la main d'Hérode et de l'attente du peuple juif ».
L'apôtre s'en alla frapper à la porte de la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où plusieurs étaient assemblés, priant. Une jeune fille, nommée Rhode, vint pour ouvrir : mais reconnaissant la voix de Pierre, sa joie fut si grande qu'elle courut annoncer à l'intérieur que Pierre était à la porte.
- Vous avez perdu l'esprit, lui dit-on ; ne savez-vous pas que Pierre est en prison cruellement garrotté et sans cesse gardé par les soldats ?
- Cependant c'est lui-même, je vous l'assure, répondit la jeune fille.
- Alors c'est son Ange, répliquèrent les disciples.
Ils ouvrirent à Pierre, manifestant leur joie et leur grand étonnement. L'apôtre leur raconta comment le Seigneur l'avait tiré de la prison et leur dit : « Annoncez cela à Jacques et aux frères ». Puis, il se retira dans un autre lieu.
Le matin, il y eut grand émoi parmi les soldats au sujet de Pierre. Hérode, l'ayant fait rechercher en vain, ordonna le supplice des gardiens et alla ensuite à Césarée, où, revêtu de ses habits royaux, il haranguait le peuple qui clamait : « C'est la voix d'un dieu, non d'un homme ». Un Ange du Seigneur le frappa, parce qu'il n'avait pas rendu gloire à Dieu. Dévoré par les vers, il expira.
Ainsi, depuis dix-neuf siècles, disparaissent de la scène du monde les ennemis de Dieu. Au signal divin, ils sont frappés sur leur piédestal d'orgueil et d'impiété, et sur leur tombe ignominieuse, l'Eglise peut toujours chanter l'alléluia de sa délivrance et de son triomphe.
*
* *
Aux premières années de la société chrétienne, Pierre, prince des apôtres, personnifiait l'Eglise de Jésus-Christ. Voilà pourquoi Hérode le fait charger de lourdes chaînes et se prépare à le faire mourir, après l'avoir livré à la dérision, au mépris du peuple. Il veut anéantir ainsi la liberté, les droits, l'avenir de la religion chrétienne.
Mais c'est précisément cette heure que Dieu choisit pour montrer sa puissance et la vitalité de l'Eglise qui a sa divine promesse de triompher de toutes les persécutions. « Vous êtes Pierre, avait dit le Christ à l'apôtre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les puissances de l'enfer ne prévaudront jamais contre Elle. Vous aurez pour revendiquer ses droits toute puissance sur la terre et dans les cieux. »
La délivrance de Pierre fut donc la confirmation de la promesse de Notre-Seigneur : elle fut aussi la récompense de la foi et de la fidélité de tous les disciples qui, jour et nuit, priaient pour le prince des apôtres.
Ce qui arriva aux premiers jours de l'Eglise s'est renouvelé dans la durée de chaque siècle. Pierre, personnifié dans le Pape, a été périodiquement chargé de chaînes et enfermé dans le cachot. Mais toujours l'Eglise, divinement constituée, a conservé un puissant noyau de fidèles invincibles, fidèles qui ont prié et espéré, alors que toute confiance semblait une folie aux yeux des indifférents, surtout des persécuteurs.
Nous trouvons dans ce souvenir, dans le glorieux passé de l'Eglise, le fondement inébranlable de toute espérance chrétienne. Au milieu de nos tristesses, nous savons que le bras de Dieu ne s'est pas raccourci, et qu'au moment choisi par Lui, l'Eglise brisera les chaînes que les impies forgent avec rage contre Elle. Ses bienfaits resplendiront toujours dans le monde, comme la lumière divine illumina le cachot où l'on croyait Pierre désormais sans pouvoir.
Chrétiens, âmes contristées, vous surtout humbles religieuses si odieusement persécutées, gardez l'espoir, la confiance en Dieu, et hâtez par vos prières l'heure prochaine où nous pourrons dire comme Pierre : « Oui, vraiment, c'est Dieu qui nous a envoyé son Ange et nous a délivrés de la main, du pouvoir des impies ! »
L'Ange Gardien – Septembre 1902 – pp. 147-151
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L'Ange de Saint Paul
Arrêté à son tour par les soldats romains poussés par les juifs, l'apôtre Paul est jeté dans la prison de Césarée. Il comparait devant le gouverneur Festus qui lui dit, voulant plaire aux Juifs : « Veux-tu aller à Jérusalem pour y être jugé ? »
Or, Paul savait que les juifs avaient préparé des embûches pour l'assassiner en chemin. Il répondit au gouverneur : « Je n'ai péché en rien contre la loi des Juifs. Je suis devant le tribunal de César, c'est là qu'il faut que je sois jugé. J'en appelle à César. »
- Tu en as appelé, à César, tu iras devant César, dit alors Festus.
Et bientôt Paul avec d'autres captifs, sous la garde d'un centurion, était dirigé par mer vers Rome. Au cours de la traversée, la navigation devenant périlleuse, Paul voulut donner un avis utile à ceux qui avaient charge de l'amener à Rome.
« Mes amis, leur dit-il, si vous persistez à naviguer, nous courrons de grands périls non seulement pour le vaisseau et sa cargaison, mais encore pour nos personnes et pour notre vie. »
Le centurion, ajoutant plus de foi au sentiment du pilote qu'à la parole de Paul, fut d'avis de poursuivre le voyage. Du reste, le vent du midi soufflait tiède et doux ; la mer était calme et le navire glissait légèrement sur les ondes.
Mais soudain, le vent tourne, une furieuse tempête s'élève, et le vaisseau, incapable de lutter contre la violence du vent et des flots, va à la dérive. Pour l'alléger, il faut se résoudre d'abord à jeter les marchandises à la mer, et bientôt après se débarrasser même des agrès. La tempête est si violente durant plusieurs jours que tout espoir de salut paraît irrémédiablement perdu.
L'apôtre Paul se lève alors au milieu des matelots et des passagers désespérés. « Mes amis, dit-il, vous eussiez mieux fait de me croire et de ne point quitter l'île de Crète ; vous vous seriez ainsi épargné si grande peine et si grosse perte ; toutefois ne perdez pas courage, car personne ne périra, le vaisseau seul sera perdu. Cette nuit même
un Ange à qui je suis confié et que je sers fidèlement m'apparaissant, m'a dit : Paul ne craignez point, il faut que vous comparaissiez devant César, et je vous annonce que Dieu vous a accordé la vie de tous ceux qui naviguent avec vous. C'est pourquoi, mes amis, ayez bon courage, car j'ai cette confiance en Dieu que les paroles de son Ange se réaliseront. »
L'événement justifia la prédiction de Paul ; le vaisseau échoué, brisé par la tempête, fut entièrement perdu, mais les deux cent soixante-seize personnes qui le montaient eurent la vie sauve.
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C'est une métaphore banale, usée, que de comparer le gouvernement d'un peuple à celui d'un vaisseau ; mais ce navire désemparé, battu des vents et des flots, n'a-t-il pas une analogie frappante avec notre pauvre France, surtout à l'heure actuelle ? Voyez quelle horrible tempête a suscité sur elle l'aveugle fureur des impies par haine du bien et de la religion ! Il ne manque pas pourtant, au sein du noble pays, des persécutés comme Paul qui, même devant les tribunaux, s'oublient eux-mêmes pour donner les conseils fortement motivés, dénonçant le péril, et proclamant bien haut les moyens de salut.
Mais les pilotes méprisent les plus sages avis et vont à l'aventure parmi les récifs et les courants les plus dangereux. Il sera trop tard peut-être quand, instruits par une dure expérience qui aura coûté à la France son honneur, sa gloire, ses institutions religieuses qui font sa plus belle couronne, ils voudront enfin diriger le gouvernail vers le port où le vaisseau était avant à l'abri des vents et de la violence des flots, dans le calme et la sécurité qui donnent richesses et bonheur.
Est-ce à dire que tout périra dans la tourmente qui sévit en ce moment sur notre pays, menaçant de tout entraîner dans sa fureur déchaînée ? Arrière telle désespérance. Dieu fit les nations guérissables et la France peut guérir ; après cette persécution qui certes l'éprouve cruellement, elle peut se retrouver aussi forte, aussi prospère et chrétienne que jamais.
Non, encore une fois, tout n'est pas perdu. Comme l'apôtre saint Paul, ayons foi et confiance en nos saints Anges gardiens, au puissant archange saint Michel, défenseur des droits de Dieu et protecteur de notre patrie si violemment meurtrie sous les coups de Satan et de ses satellites.
Si les richesses qui hypnotisaient la France, qui l'amollissaient dans l'indifférence religieuse et la perversité des mœurs sombrent sous les flots des révolutions, appauvrie, allégée comme la cargaison du vaisseau de Paul, elle vivra encore pour affirmer à nouveau devant le monde, comme l'apôtre devant César, le Christ dont elle a été et dont elle peut être encore mieux que jamais le fidèle et valeureux soldat.
L'Ange Gardien – Novembre 1902 – pp. 219-221