"Les Anges dans le monde" - Extraits de la revue
L'Ange Gardien, 1897-1900.
Avant-propos
Notre bulletin a envisagé les Anges sous des aspects divers. Nous voudrions les considérer maintenant dans l'histoire, voir à travers les siècles leur action ouverte, patente, sur les individus et sur les nations.
L'histoire est la grande institutrice du genre humain. Pourquoi ne nous dirait-elle pas - entre tant d'autres faits - les faits qui se rapportent à nos Anges bien-aimés ?
Disserter sur les Anges, dire ce qu'ils ont fait, rapidement en noter au passage l'application morale, combien n'oseraient nous suivre ? qui donc craindrait la fatigue en nous écoutant ?
Les enfants aiment les contes, les histoires ; les hommes mûrs n'y répugnent pas toujours, le vieillard à cheveux blancs y prend parfois un plaisir extrême. Nous avons écouté les contes et récits de la veillée, souvenirs lointains, jeunes toujours de charme et de poésie ; mais combien meilleure l'histoire, l'histoire vraie, et surtout l'histoire des Anges !
De la veillée - de la veillée lointaine - un souvenir qu'on nous permettra de rappeler.
L'aïeule vénérable, au cours de ses causeries rétrospectives, évoquait l'image de Napoléon.
- Grand'mère, vous l'avez vu ? vous lui avez parlé ? s'exclamaient émus les petits enfants ; grand'mère, il s'est assis là ?
Nous dirons, nous : « Enfants, il nous a parlé, il s'est arrêté, il s'est montré là, l'Ange de Dieu, le messager du Ciel. » Et, sans nul doute, cela vaudra mieux que les souvenirs de l'effrayant génie qui sut, à l'heure marquée par Dieu, maîtriser de sa main puissante la France indomptée et rebelle.
Un instant, nous avons eu la pensée de remonter le cours des siècles, de consigner à chaque siècle quelques traits concernant les saints Anges. Mais, remonter le cours des siècles, ne serait-ce pas aussi laborieux que de remonter le cours des fleuves ? Mieux vaut aller d'abord à la source.
Par nos Livres saints, la Bible, l'histoire commence avec le monde, avant le monde même. Nous irons à l'origine de l'histoire, comme nous irions à la source des fleuves, pour redescendre avec moins de fatigue, nous laissant couler sur le rapide et majestueux courant des âges.
Successivement, nous glanerons, à travers les Livres saints, de nombreuses gerbes, et les meilleures ; ce champ épuisé, l'histoire ecclésiastique nous permettra de glaner encore des gerbes opulentes. heureux serons-nous, si, pour nos lecteurs, relisant la Bible, et l'histoire ecclésiastique, nous leur donnons, s'ils ne l'ont déjà, la pensée de les relire avec nous, et d'y savourer les douces jouissances que nous y prendrons.
Si j'étais né, comme on disait jadis avec amour, je reverrais mon chartrier, je relirais mes parchemins et titres de noblesse, les faits et gestes de mes puissants aïeux.
Ne suis, hélas! ne duc, ne comte aussi..., mais, par la grâce du Roi du ciel, devenu, dès le jour de ma naissance, enfant de Dieu et de son Eglise, j'appartiens à très haute, très ancienne, très illustre famille chrétienne.
Les Anges sont nos cousins, nos frères, j'allais dire nos servants d'armes dans la mêlée de la vie. Volontiers, je rappelle donc et narre à tout venant ces faits glorieux, susceptibles de jeter sur la noble famille chrétienne un nouvel et pur rayon de gloire, les faits et gestes des Anges.
L'Ange Gardien – Mai 1897 – pp.3-5
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Première Apparition des Anges dans l'Histoire
Avant l'espace et le temps, avant les univers et les mondes, avant les étoiles et les soleils, Dieu était. Il était Celui qui est, Il était dans l'unité de son essence et la Trinité de ses personnes, Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, par un mystère ineffable, un seul Dieu.
Et Dieu se suffisait à Lui-même, dans cet isolement qui effraie notre imagination. Et rien ne pouvait ajouter à sa satisfaction, à sa gloire intérieures.
Dieu voulut cependant produire une oeuvre extérieure. Il créa le ciel et la terre, dit l'Ecriture.
Le ciel d'abord. Pur esprit Lui-même, Il veut créer « de purs esprits comme Lui, comme Lui vivant d'intelligence et d'amour, qui le connaissent et l'aiment comme Il se connaît et s'aime Lui-même, qui, comme Lui, soient bienheureux en le connaissant et l'aimant, comme Il est heureux en se connaissant et s'aimant Lui-même. »
Ce furent les Anges. Innombrables ils étaient. Le Prophète de Dieu en a vu des milliers et des milliers de milliers. Ils avaient reçu - sublimes prérogatives - Intelligence et Liberté.
Liberté ! noble don, mais combien dangereux ! source du mérite, mais périlleux écueil ou beaucoup devaient sombrer.
Comment se fit ce naufrage ? Saint Jean nous le dit dans l'Apocalypse.
« Et un grand prodige parut dans le ciel. C'était une femme revêtue de soleil, elle avait la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête. Elle portait un enfant dans son sein…
Et un autre signe parut dans le ciel. C'était un énorme dragon de couleur rousse, ayant sept têtes, dix cornes et un diadème à chaque tête. Et il entraîna avec sa queue le tiers des étoiles du ciel, et il les jeta sur la terre, et ce dragon s'arrêta devant la femme… et il voulait dévorer son fils. »
Cette femme qui paraît dans le ciel, c'est la douce Vierge Marie ; son fils, c'est Jésus, Fils de Dieu, Dieu fait homme.
Unie à la nature divine, la nature humaine devient supérieure à la nature angélique.
Les Anges doivent s'incliner devant l'Homme-Dieu, même courber leur front devant la femme, la mère de Dieu fait homme.
C'en est trop. Lucifer, l'ange lumière, se révolta à cette pensée. Il ne s'inclinera ni devant la femme, ni devant le fils, ce fils fût-il l'Homme-Dieu, Dieu lui-même.
Non serviam !
Dans sa révolte, il entraîne des légions d'anges. Il aurait voulu anéantir la Vierge mère, et son fils. Vains projets !
L'ange est devenu démon. Il est le dragon – le dragon de couleur rousse – dévoré par la flamme honteuse des vices ; il a sept têtes, emblèmes des passions coupables. Il entraîne avec lui le tiers des Anges dont il est le chef, et il les entraîne avec sa queue, la plus vile partie de son être, comme une marque de leur commune déchéance.
Et il se fait un grand combat dans le ciel, Michaël et ses Anges combattent contre le dragon. Le dragon et ses anges combattent aussi, mais ils succombent, ils disparaissent tous sans qu'il leur reste une seule place dans le ciel. Ils sont précipités dans les gouffres de la terre.
Et une voix se fait entendre : « Voici le salut maintenant, voici la vertu et le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ. Il est terrassé le calomniateur de ses frères. Et nos frères ont remporté la victoire par le sang de l'Agneau, par la parole de leur témoignage… »
Tels, et pour la première fois dans l'histoire – l'histoire avant le temps – nous apparaissent les Anges.
La sélection s'est opérée. Confirmés en grâce, les Anges fidèles ne craignent plus la déchéance ; tandis que rivés désormais au mal, Satan et ses complices ont pour partage les éternels supplices.
A toute époque, de nos jours plus que jamais, de belles intelligences se laissent obscurcir par les fumées de l'orgueil.
Dieu leur fit de ses dons une part bien large. S'ils reconnaissent Dieu ; au besoin, s'ils s'inclinent devant Lui, sinon dans la prière, du moins dans un froid respect, leur orgueil ne veut pas en admettre davantage. Une Vierge a paru dans le monde, elle a enfanté, toujours vierge. Son fils est Dieu, Dieu et homme ; et il a connu l'humiliation, ce Dieu fait homme !
Insanités, absurdités ! disent-ils. Leur intelligence n'a pas compris, leur orgueil plane trop haut pour reconnaître un Dieu dans de tels abaissements ; ils ne s'inclinent pas devant Jésus pour affirmer sa divinité ; ils ne s'inclinent pas devant Marie, pour la prier et la bénir. Tout cela, bon pour de petits esprits, de ces petits esprits, qui dans notre France, s'appellent Charlemagne ou saint Bernard, Bossuet ou Condé, Lacordaire ou Napoléon…
N'imitons pas ces intelligences dévoyées. Avec les vrais grands hommes de tous les temps, de tous les pays, depuis dix-huit siècles au moins, inclinons-nous devant Jésus ; adorons-le dans les humiliations de son humanité, dans les abaissements plus profonds de sa vie eucharistique, honorons et prions la Mère en adorant le Fils. Ce n'est pas pour nous rapetisser. Non certes, car l'homme, selon la pensée de Louis Veuillot, n'est jamais si grand que lorsqu'il tombe à genoux.
L'Ange Gardien – Juin 1897 – pp.39-43
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Les Anges et la Création
Au sein du vide chaos, de l'immobile éternité, Dieu a jeté son Verbe : et soudain la création a jailli.
Dans l'espace immense, la lumière a bondi en reflets étincelants ; les sphères, les mondes, les univers ont paru. Les eaux se sont séparées, s'élevant vers les cieux ou se condensant vers la terre, qui prend sa forme, une forme vague d'abord, bientôt plus distincte.
A la face de cette terre, les eaux se rapprochent, se resserrent. L'élément liquide se sépare de l'élément aride. Peu à peu, se révèlent, se montrent, s'accusent davantage les reliefs du sol, ses lignes harmonieuses, montagnes et collines, fleuves et rivières.
Le Seigneur dessine pour l'avenir – éternel présent pour lui – les limites des empires et des royaumes.
Créés d'abord, les Anges sans doute ont assisté à cette œuvre divine, à ces grandioses transformations. Alors, ce semble, a commencé leur rôle dans cette création. Ils ont été préposés à la garde des parties diverses de ces mondes sortis du chaos, à la parole de Dieu.
Ce que nous disons là n'est pas imagination ou rêve de poète. Les docteurs de l'Eglise soutiennent cette interprétation, et l'Eglise ne la désapprouve pas.
Tous les êtres corporels sont gouvernés par les Anges, a pu dire saint Thomas, l'Ange de l'école. Toute chose visible en ce monde est soumise à un pouvoir angélique, avait dit déjà saint Augustin. Et l'Apocalypse, avant eux, nous avait parlé de l'Ange qui domine sur le feu, de l'Ange encore qui a pouvoir sur les eaux.
Est-il téméraire après cela de croire que cette terre mobile sous nos pas, que ces mondes voyageurs sur nos têtes, que ces astres soudain allumés dans la nuit, obéissent à la poussée mystérieuse de l'Ange à qui Dieu les confia dès leur origine ?
Cette opinion ne supprime pas les lois de la nature ; mais ces lois aveugles dirigées par une intelligence angélique, sous le vaste regard de Dieu qui à la fois embrasse tout, nous paraissent avoir un tout autre intérêt et revêtir une autre grandeur.
D'instinct, l'homme est porté à voir là autre chose qu'une force inconsciente. Il y voit une intelligence générale, il y voit aussi des intelligences particulières.
Ça a été peut-être l'origine de la mythologie antique.
L'idolâtrie, oubliant l'intelligence suprême, gardait sous des appellations diverses, les intelligences particulières. Le soleil devenait le brillant Apollon, la lune, la blonde Phœbé. Je fais grâce des autres.
Toute erreur n'est qu'une déviation de la vérité, et l'erreur s'agrandit avec le temps comme s'écarte davantage, à mesure qu'elle se poursuit, toute déviation faite à la ligne directe.
A qui nous reprocherait encore – le reproche vieillit – de manquer de merveilleux chrétien, d'ôter sa poésie à cette nature que les anciens animaient de leurs dieux et de leurs déesses, nous pourrions répondre que nous l'avons gardée, cette nature, dans toute sa vérité, sans rien lui enlever de son originale et poétique beauté.
Il n'est pas téméraire de croire que les Anges sont préposés à la garde, à la direction des mondes. C'est le sentiment commun des Pères. « Royaumes et nations sont sous la domination des Anges », dit saint Epiphane. Peuples et cités sont partagés comme des gouvernements entre les Anges, dit Clément d'Alexandrie. Daniel nous cite l'Ange des Perses et des Grecs.
Au moment où Dieu par ses montagnes, ses fleuves, ses océans, dessinait les futures limites des empires, a-t-il donné à ses Anges attentifs, étonnés, la tâche qui incombait à chacun d'eux sur ces empires et royaumes ? nous ne saurions l'affirmer. Toutefois, rien ne nous défend de pencher pour cette affirmative.
Pour ce qui concerne notre bien-aimée patrie, il nous est doux de penser qu'à l'heure où émergeaient les Alpes, les Pyrénées, les Cévennes ; à l'heure où l'Océan se retirait lentement des campagnes normandes, des landes bretonnes, l'Archange Michaël, debout sur le mont tombe, marquait la place où s'élèverait le sanctuaire de saint Michel au péril de la mer, vrai palladium français. En outre, là-bas vers l'Est, aux premiers soleils irisant les plateaux de Lorraine, ce même Archange devait contempler le lieu où il dirait un jour à une aimable enfant, à Jeanne d'Arc, la parole qui sauve la patrie expirante :
Fille de Dieu, va, va faire cesser la grande pitié qui est au royaume de France.
Et cette pensée, encore une fois, nous est, en nos tristesses, joie et réconfort, car ce qui fut jadis nous fait espérer ce qui sera peut-être dans un avenir prochain, l'intervention visible de l'Ange de la France.
L'Ange Gardien – Juillet 1897 – pp.75-77
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Les Anges et nos premiers parents
La terre est sortie des mains du Créateur. Et le Créateur contemplant son oeuvre, se rend le témoignage que cette oeuvre est bonne.
La terre préparée pour le recevoir, l'homme à son tour sortira - œuvre plus parfaite encore - des mains du même Ouvrier divin.
A peine créé, l'homme est placé maître et roi de la création, au sein du Paradis terrestre. A l'exception du fruit de la Science du Bien et du Mal, tout, dans ce lieu de délices, est livré à son entière discrétion ; les animaux mêmes, dociles à sa voix, comparaissent en sa présence pour recevoir un nom en harmonie avec leur nature.
Nul bonheur cependant n'est complet, s'il n'est partagé avec un semblable. Et Adam est seul.
Cet isolement ne dure pas longtemps. Dieu lui donne une aide semblable à lui, la femme, la « chair de sa chair et les os de ses os ».
Qui nous dira les premières impressions de ces deux êtres créés pour s'aimer dans la pureté et l'innocence, la suave et douce harmonie de la chair et de l'esprit ? Qui nous dira les charmes de ce premier bonheur, leur étonnement, leur joie naïve à l'éveil du néant, devant le trésor de beauté, de lumière, de magnificence étalé sous leur regard.
Dans le
Paradis perdu, Milton l'a tenté. Son étonnant génie est demeuré au-dessous de cette tâche immense. De la lecture de son œuvre, nous évoquons volontiers le souvenir d'Adam et d'Eve, au sein de l'Eden, prolongeant leurs entretiens avec les Anges des Cieux. Tout est-il, dans ces tableaux, imagination pure ? Nous ne le pensons pas.
Le génie des poètes a parfois de ces illuminations soudaines qui, mieux que la froide raison, devinent, découvrent des réalités insondées.
Pourquoi n'en serait-il point ainsi dans le cas présent ?
Près de nous, invisibles à nos yeux, les Anges veillent, sourient à nos bonnes actions, s'attristent de nos fautes, nous aident, nous encouragent. Nous vivons, nous nous mouvons au sein de Dieu, dit l'Apôtre, nous vivons, nous agissons parmi la foule impalpable des Anges.
Adam et Eve, au paradis terrestre, auraient-ils, moins favorisés que nous, été privés de cette compagnie, de ce voisinage agréable et consolant ? Non, sans doute. Comme ils sont à nos côtés, les Anges étaient à côté d'Adam et d'Eve. Seulement plus heureux que leurs fils, Adam et Eve, dans l'état d'innocence, de leurs yeux de chair devaient voir les Anges.
Si nous ne voyons pas ces esprits bienheureux, nous, les fils déchus, c'est que toute chair étant corrompue a mis un voile épais pur nos yeux. Ce voile de corruption, Adam et Eve ne le connaissaient pas au Paradis terrestre ; ils avaient le cœur pur qui voit Dieu, qui voit les Anges.
Sans contredire aucunement le dogme catholique, n'est-il pas permis de penser qu'avant la chute originelle, les corps de nos premiers parents, sans avoir la subtilité des corps glorieux, ressuscités, avaient du moins une perfection compatible avec l'exercice habituel des visions angéliques ?
Est-il d'ailleurs nécessaire de recourir à cette explication ? Dieu, qui plus tard enverra avec tant de fréquence à l'homme tombé, aux patriarches, aux prophètes, ses Anges, messagers visibles, parlant, agissant, Dieu, dis-je, d'abord plus avare de ces manifestations, aurait-il, au paradis terrestre, privé Adam et Eve de cet incontestable élément de bonheur ?
A nos premiers parents, l'Ange serait-il apparu la première fois sons l'aspect terrifiant du chérubin au glaive de feu, défendant le seuil à peine fermé de l'Eden perdu ? Arrière, arrière cette pensée !
Même avec les poètes, mes chers lecteurs, et malgré certains esprits maussades, vous suivrez des yeux de l'imagination, des yeux du cœur, sous les frais ombrages de l'Eden qu'irise le jeune soleil, que pénètrent les premiers rayons de la lune mystérieuse, aux rives murmurantes des fleuves paradisiaques, les Anges des Cieux : Michel, Gabriel, Raphaël, près de nos premiers parents, conversant avec la condescendance de grands frères toujours écoutés, leur disant les merveilles d'un autre paradis, où luit, inaccessible lumière, le Soleil de Justice ; où plane, plus que la lune sereine, la Sagesse incréée. Vous rêverez peut-être en vos nuits tranquilles, de ces Anges radieux. Que nul ne vous éveille alors pour vous rendre à la décevante réalité ; mais plutôt que le Seigneur longuement prolonge et souvent renouvelle, à 1'exclusion de tous autres, ces rêves si doux, si purs, si délicieux.
L'âme semble entr'ouvrir alors un coin du ciel !
L'Ange Gardien – Août 1897 – pp. 111-113
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Les Anges et la chute de nos premiers parents
Le bonheur ici-bas fut toujours une fleur éphémère. Nos premiers parents ne virent pas fleurir longtemps la fleur exquise et parfumée. Par leur désobéissance, le péché entra dans le monde, le malheur aussi.
Il n'est plus de Paradis sur terre. La première mission des Anges auprès de l'homme est terminée ; ils ne l'accompagneront plus aux doux sentiers de l'Eden ; ils se sont voilé la face devant leur chute, leur prévarication.
Adam et Eve, chassés du Paradis terrestre, ne pourront prolonger leurs jours avec les fruits de l'arbre de vie, la mort les a marqués déjà de son sceau, et par la mort, ils retourneront à la terre d'où ils ont été tirés.
Toutefois, avec la malédiction, un gage d'espérance et de salut leur est annoncé. Une nouvelle Eve est promise au monde pour réparer avec usure la faute de la première Eve coupable.
Les Anges sans doute ont écouté, attentifs, ces mystérieux colloques d'un Dieu irrité mais miséricordieux avec la créature coupable mais repentante, et ils doivent connaître quelle part leur est réservée dans le futur accomplissement de la parole sacrée.
L'archange Gabriel attend désormais avec impatience l'heure qui sonnera pour lui de porter à la Vierge immaculée le message divin :
Salut, ô Vierge pleine de grâce, le Seigneur est avec vous.
Et le Seigneur leur ouvrant l'avenir, ils voient le Sauveur du monde, et ils chantent avec l'Eglise future :
O felix culpa ! O heureuse faute, qui mérite un tel Rédempteur !
En attendant cette rédemption, Adam et Eve s'éloignent tristement du Paradis terrestre, et s'ils regardent en arrière, ils aperçoivent, au seuil du séjour enchanteur, des chérubins armés d'un glaive de flamme ondoyante.
Qui sont ces chérubins, ces Anges qui jouent un rôle si considérable dans la Bible ; qui apparaissent sur le propitiatoire de l'arche d'alliance ; dans le Saint des saints au temple de Salomon ; dans la célèbre vision d'Ezéchiel ; que nous rappellent les traditions, les monuments de la plus haute antiquité, en nous montrant ces génies puissants qui gardent avec un soin jaloux les fruits d'un arbre mystérieux ?
Quelle était cette épée enflammée dont ils étaient armés pour éloigner nos premiers parents ? Questions ardues pour les interprètes, et jamais résolues par eux d'une manière pleinement satisfaisante.
Ne nous arrêtons pas. Laissons aux commentateurs de l'Ecriture sainte les discussions et les hypothèses mais retenons seulement cette leçon qui se dégage, ce semble, assez nette, assez claire.
Les Anges, dès l'origine du monde, sont les ministres de la colère de Dieu, comme ils sont les ministres de ses grâces. Il doit en être de même encore.
De nos jours, on ne veut plus voir Dieu dans les faits terribles qui viennent désagréablement secouer le scepticisme ambiant : plaies de toute espèce, fléaux de toute sorte, maladies mystérieuses des hommes, des bêtes et des plantes, lugubres jeux de la nature, la grêle qui crépite et frappe ; la pluie dense, épaisse, qui fait déborder rivières et fleuves ; la foudre qui tonne, éclate, brise et tue. Tout cela, forces aveugles de la nature, dira-t-on. Nos pères, expliquant d'autre façon ces phénomènes, y voyaient l'intervention de Dieu par les Anges.
Qu'on me taxe de crédulité si l'on veut, je crois à cette fréquente intervention des Anges, exécuteurs attristés des vengeances divines : j'y crois, avec saint Grégoire-le-Grand voyant au sommet du môle d'Adrien l'archange vengeur remettre au fourreau sa terrible épée.
Et je crois même que le monde, de nos jours, comme aux jours passés, pour arrêter le bras des Anges, ministres des colères divines, se trouverait bien d'employer les moyens qu'employaient nos pères : la prière et la pénitence. Mais ce sont là choses si démodées, la pénitence surtout !
L'Ange Gardien – Septembre 1897 – pp. 147-150
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L'Ange d'Agar
Le Seigneur est le Dieu du serviteur comme il est le Dieu du maître, et ses Anges sont les ministres de sa providence auprès de tous les affligés. L'Ecriture nous montre, par l'exemple d'Agar, la vérité de cette parole.
Sara n'avait pu donner un héritier à son époux Abraham. Par une mystérieuse inspiration, que le Créateur ne désapprouvait pas aux premiers âges du monde, l'épouse stérile suggère à son époux de se choisir une autre femme.
Elle lui offre elle-même Agar, jeune esclave égyptienne attachée là son service. Mais bientôt Agar, portant dans son sein l'espérance de la maternité, regarde avec mépris sa maîtresse.
Sara se plaint à son époux. « Votre esclave est entre vos mains, répond Abraham, usez-en avec elle comme vous le jugerez bon. »
Agar, châtiée par sa maîtresse, s'enfuit dans le désert. Et l'Ange du Seigneur lui apparut près d'une fontaine, au bord du chemin de Sur, et il lui dit :
« Agar, servante de Sara, d'où venez-vous et où allez-vous ?
- Je fuis loin de Sara, ma maîtresse, répondit Agar. »
L'Ange du Seigneur reprit : « Retournez vers votre maîtresse et humiliez-vous sous sa main. »
Et au nom du Seigneur, il ajouta : « Je multiplierai tellement votre postérité qu'elle sera innombrable. Vous avez conçu et vous enfanterez un fils, et vous le nommerez Ismaël, parce que le Seigneur a entendu vos gémissements. »
Alors Agar invoqua le nom du Seigneur qui lui parlait par la voix de l'Ange : « Vous êtes le Dieu qui abaissez vos regards sur moi, et il est certain que je vois ici la trace du Dieu qui me voit. » Et elle nomma cette fontaine, 1a fontaine de Celui qui me voit et qui est vivant.
*
* *
Agar, ayant au sein l'espérance de la maternité, s'enorgueillit et méprise Sara sa maîtresse.
Agar, n'est-ce pas la pauvre âme humaine ? Elle a conçu des rêves sans nombre, des espoirs sans fin ; elle a vu les jours de la prospérité, et dans l'ivresse de ses rêves ou de ses jouissances, elle oublie parfois Celui à qui elle doit tout. Celui qui cependant la tient toujours dans sa main, et peut disposer d'elle au gré de sa volonté.
Agar, n'est-ce pas plus encore l'âme du dix-neuvième siècle, âme privilégiée, dotée par Dieu de germes bien féconds ?
Elle a conçu des systèmes nouveaux, des systèmes nombreux, chimères pour la plupart. Elle a conçu et enfanté, réalité plus vivante, un progrès matériel que n'avaient pas soupçonné nos pères.
Mais avec cela, enorgueillie, égarée loin de Pieu, trop souvent elle aboutit au vide, au désert, à la déception, à l'ennui, au malaise, à la désespérance. C'est la banqueroute de la science.
Agar, n'est-ce pas encore et surtout l'âme française ? Pauvre âme de la France ! Rien dans le monde ne passe pour elle inaperçu, inexploré : idées ou sentiments, expériences fécondes ou désastreuses, elle a tout regardé, tout essayé. Et, transportée d'orgueil, enivrée de sa pensée, elle a renié son passé, son Dieu parfois. Avec de cuisants regrets, de profondes amertumes mêlées de quelque honte, elle doit s'avouer qu'elle a abouti à de lamentables résultats.
Esprits et corps, également inassouvis, demandent également le pain qui leur manque, la nourriture saine et forte qui donne la vie, la vie surabondante. Pour la satisfaction promise et non réalisée de tous les appétits, à tâtons elle cherche des voies nouvelles, elle crie du fond de sa misère et de ses déceptions vers un sauveur.
Seigneur, qui avez eu pour la France tant de miséricorde, parce qu'elle est bonne et généreuse, encore qu'égarée, Seigneur, envoyez-lui cet ange qui ramenait à sa maîtresse Agar repentante ! Et comme Agar consolée et fortifiée, nous vous invoquerons, nous vous dirons dans notre joie et notre reconnaissance : « Vous êtes le Dieu qui abaissez vos regards sur nous, nous avons vu vos bienfaits et nous vous en rendons grâce. »
L'Ange Gardien – Novembre 1897 – pp. 219-221
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Les trois Anges d'Abraham
Dans la vallée de Mambré, durant la grande chaleur du jour, Abraham est assis au seuil de sa tente. Il lève les yeux, et trois hommes lui apparaissent debout, à quelque pas. Il court au-devant d'eux, et se prosterne jusqu'à terre.
Et il dit : Si j'ai trouvé grâce devant vous, ne passez pas sans vous arrêter. Je vous apporterai l'eau pour laver vos pieds, et vous pourrez vous reposer à l'ombre ; je vous servirai le pain pour restaurer vos forces et vous continuerez, après cela, votre chemin.
Et ils lui répondirent : Faites ce que vous avez dit. Abraham rentre aussitôt sous sa tente, et, s'adressant à Sara : Hâtez-vous, pétrissez trois mesures de pure farine et faites cuire le pain sous !a cendre. Puis, il court à son troupeau, il y prend un jeune veau bien gras, bien tendre et le remet à un serviteur pour le faire cuire sans retard.
Prenant ensuite du lait et du beurre avec le veau cuit déjà, il l'offre aux voyageurs. Pendant ce temps, il se tient debout près d'eux, à l'ombre d'un majestueux térébinthe.
Après qu'ils eurent mangé, ils lui dirent : « Où est Sara, votre épouse ? - Elle est à l'intérieur de la tente, répondit Abraham. »
Et l'un des voyageurs lui dit alors : « Abraham, dans une année, vers ce même temps, je reviendrai, et Sara, votre épouse, aura un fils. »
Sara entendit cette parole et se mit à rire silencieusement derrière la porte de la tente, car elle et Abraham étaient trop âgés pour qu'elle pût garder encore l'espérance de la maternité. Mais l'Ange dit à Abraham : « Pour quoi Sara a-t-elle ri ? Y a-t-il rien d'impossible à Dieu ? Dans un an, je reviendrai et Sara aura un fils... »
*
* *
Il est doux de contempler ce gracieux et calme tableau de l'hospitalité antique. Cette hospitalité si noble, si large, si empressée, vit-elle encore ?
Hélas ! avec notre moderne civilisation, chacun s'isole de son voisin, égoïsme souvent, timidité et défiance parfois, douloureuse nécessité aussi. Les moyens manquent pour donner cette hospitalité ; et les moyens manquent, parce que l'orgueil la voudrait trop brillante pour les ressources possédées ; parce que la vanité, un faux luxe, dépensent à d'autres desseins les ressources disponibles.
Les relations sociales se ressentent de cette façon d'agir. On vit côte à côte sans se connaître beaucoup, en notre siècle. Et si l'on se connaît, les relations de pure civilité, où l'on tient un compte exact du
doit et de
l'avoir, remplacent la bonne et franche cordialité des âges passés.
Aller au-devant de l'étranger, le prier d'entrer dans sa maison, l'accueillir avec bonté et respect, cela ne se voit plus guère. Pour en être témoin, il faut aller dans l'immobile Orient, où le Bédouin est encore hospitalier comme du temps des patriarches ; il faut aller au seuil des monastères, gardiens fidèles des traditions évanouies ; il faut aller au fond des campagnes reculées, où vit encore avec l'intégrité de la vieille foi, quelque chose des mœurs antiques.
Au contraire, au sein de la civilisation moderne, l'hospitalité ne se donne pas, mais se vend bien cher. Et combien qui ne peuvent l'acheter ? Alors que deviennent-ils ? Où vont-ils ? Où trouvent-ils un abri, du pain, la douce chaleur du foyer ? Terrible question qui se pose, surtout quand on voit les feuilles jaunies, desséchées, s'envoler mélancoliques sous l'âpre vent d'automne. Combien, encore une fois, qui, cet hiver n'auront point d'abri, n'auront point de pain ?
S'ils viennent au seuil de nos demeures, ces déshérités de la vie, donnons de nos richesses, si Dieu nous a faits riches ; et si nous sommes pauvres nous-mêmes, avec même cœur donnons de notre pauvreté à plus pauvres que nous.
Ne nous contentons pas de les attendre et de les accueillir à notre porte. Parmi ces déshérités, il en est - fausse honte ou faux orgueil - qui ne viennent pas, qui n'osent venir. Tendre la main, l'ouvrir pour recevoir, alors que naguère on pouvait l'étendre et l'ouvrir pour donner, c'est dose si dure à apprendre et si dure à faire ! Evitons-leur la peine de venir à nous.
Abraham courait au devant des voyageurs fatigués. Allons à ces lassés, à ces fatigués du chemin de la vie, sachons les découvrir, alors même qu'ils font effort pour se cacher, et avec les ménagements nécessaires pour les plus ombrageuses susceptibilités, faisons accepter une aumône dont ces attentions et ces égards doubleront le prix pour eux et pour nous.
L'aumône ne sera pas perdue encore que la reconnaissance fasse défaut souvent aux secours. Comme les Anges de la vallée de Mambré, ces déshérités que la charité nous amène, seront d'utiles, de doux messagers. S'ils ne viennent annoncer pour nos familles la venue d'un nouvel Isaac, ils seront les messagers de bonnes, de salutaires pensées. Nous remercierons Dieu de nous les avoir envoyés pour nous montrer, par le frappant contraste de notre situation et de leur misère, combien la Providence a été bonne et clémente envers nous.
L'ingratitude même nous sera une excellente leçon, nous rappelant combien nous avons été nous-mêmes ingrats envers cette Providence cependant meilleure pour nous, que nous ne l'avons été pour les pauvres. Ainsi l'ingratitude du pauvre éveillera en notre âme l'idée de la reconnaissance que nous devons nous-mêmes à Dieu. Immense résultat d'une modeste bonne action !
L'Ange Gardien – Décembre 1897 – pp.
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Anges auprès de Loth – Ruine de Sodome
Vers le soir, deux Anges arrivèrent à Sodome alors que Loth était aux portes de la ville. Dès qu'il les vit, il alla à leur rencontre et se prosterna avec respect devant eux. Puis, il leur dit : « Venez, mes seigneurs, je vous en prie, dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y. Vous y laverez vos pieds et demain vous reprendrez votre route. »
- Non, répondirent-ils, nous resterons sur la place publique.
De nouveau, il les pressa avec instance et les conduisit chez lui. Il leur fit préparer un festin, leur offrit des pains sans levain, et ils mangèrent.
Mais avant qu'ils se fussent retirés pour la nuit, la maison fut assiégée par les habitants de la ville. Tout le peuple, depuis les enfants jusqu'aux vieillards, se trouvait là. Ils appelèrent Loth et lui dirent :
- Où sont les voyageurs qui sont entrés ce soir chez toi. Fais-les venir, afin que nous puissions les outrager.
Loth sortit de sa maison et ayant fermé la porte derrière lui, il leur dit :
- Gardez-vous, je vous en prie, de leur faire aucun outrage... car ils sont entrés chez moi sous la foi de l'hospitalité.
- Retire-toi, tu es venu comme un étranger dans notre ville ; est-ce donc pour être notre juge ? répondirent-ils. Nous te traiterons toi-même avec plus de mépris encore.
Et ils se jetèrent sur Loth avec violence. Déjà ils allaient briser la porte, lorsque les deux Anges prirent Loth par la main, le firent rentrer et refermèrent la maison ; puis ils frappèrent d'aveuglement la multitude qui l'environnait, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, de telle manière qu'ils ne purent retrouver la porte.
Les Anges dirent ensuite à Loth : « As-tu ici quel qu'un de tes parents, un gendre, des fils ou des filles ? Fais sortir de la ville tous ceux qui t'appartiennent, car nous allons la détruire, parce que le cri des abominations de ses habitants s'est élevé de plus en plus devant le Seigneur, et il nous envoie pour les punir.
Loth étant donc sorti, parla à ses amis et leur dit: « Hâtez-vous de quitter la ville, car le Seigneur va la détruire. Mais ils crurent que cette menace était un jeu. Au point du jour, les Anges pressaient Loth de fuir, et ils lui disaient :
- Lève-toi, emmène ta femme et tes deux filles, de peur que vous ne périssiez aussi vous-mêmes dans le désastre de cette ville.
Et comme il tardait encore, ils le prirent par la main avec sa femme et ses deux filles, parce que le Seigneur voulait les sauver. Ils les firent ainsi sortir de la maison, les conduisirent hors de la ville et leur dirent :
- Sauvez vos jours, ne regardez pas derrière vous, et ne vous arrêtez pas dans les environs, mais fuyez sur la montagne, afin de ne pas être surpris dans la ruine générale.
Et Loth leur dit : « Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous, et que vous avez signalé envers lui votre grande miséricorde, en lui conservant la vie, considérez que je n'ai pas la force d'atteindre la montagne et qu'ainsi je suis en péril de mort. Mais voilà tout près d'ici une ville, elle est petite et je puis m'y sauver.
- J'aurai encore égard à ta prière, répondit un des deux Anges, et je ne détruirai pas cette ville. Hâte-toi donc d'y arriver, car je ne pourrai rien exécuter avant que tu n'y sois entré.
Au moment où Loth entrait dans cette petite ville dont le nom fut changé en celui de Ségor, le soleil se levait sur l'horizon. Alors le Seigneur fit tomber du ciel une pluie de soufre et de feu, et il détruisit Sodome de fond en comble, avec tout le pays et tous les habitants des environs, ainsi que toutes les productions de la terre…
Nous avons relu, non sans émotion, cette page du texte sacré, nous demandant, en une patriotique angoisse, si notre pays n'attirerait pas, lui aussi par ses crimes, les terribles effets de la justice de Dieu.
Les crimes de Sodome sont encore, croyons-nous, les crimes des temps présents, et nous dirons notre pensée sur ce sujet dans notre prochain article.
Aujourd'hui arrêtons-nous sur la ruine de Sodome, à qui le Seigneur aurait pardonné, s'il y avait eu seulement dix justes. Dix pour une multitude, tant sont grands le pouvoir de la prière et le privilège des œuvres saintes pour obtenir le pardon des coupables !
La fertile vallée qui nourrissait de ses fruits les habitants de Sodome, n'est plus qu'un désert aride, et un lac d'une eau sulfureuse et malfaisante remplit ce fond frappé par la justice de Dieu ; c'est le lac
Asphaltite ou
mer Morte, lac de soufre et d'asphalte, eau de malédiction et de mort. Ses eaux ne nourrissent aucun poisson, et on dit que les oiseaux qui la traversent sont frappés de vertige et tombent en tournoyant sur ses ondes.
L'Ange Gardien – Janvier 1898 – pp. 291-294
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Réflexions sur les ruines de Sodome
Les Anges nous sont apparus, messagers de colère en même temps que messagers d'amour. Messagers de colère, ils annoncent la ruine de Sodome coupable ; sur elle versent à flots le soufre et le feu, et de la ville impure, i1 ne reste pas pierre sur pierre.
Messagers de miséricorde, ils donnent à quelques privilégiés un avertissement qui peut les sauver ; la plupart ne veulent pas comprendre cet avertissement, et Loth même ne s'éloigne qu'à regret. Il faut que la main de l'Ange saisisse sa main et l'entraîne, pour hâter son départ retardé par divers prétextes.
Le péché de Sodome, hélas ! n'a pas disparu avec la ville coupable. Au sein des cités modernes, immenses agglomérations, le vice s'étale sans pudeur. Dans certaines écoles, dans maints ateliers, le sceau immonde de la bête a mis son empreinte sur bien des fronts découronnés.
Nous avons rencontré, avec Lacordaire « ces hommes qui, à la fleur de l'âge, portent déjà la flétrissure des temps, qui, dégénérés avant d'avoir reçu la naissance totale de l'être, le front chargé de rides précoces, les yeux vagues et caves, les lèvres flétries, traînent sous un soleil tout jeune une existence caduque ». Qui a fait ces cadavres ? Qui a touché cet enfant ? Qui lui a ôté la fraîcheur de ses années ? Qui a mis sur sa face des siècles honteux ? N'est-ce pas la corruption, ennemie de la vie des hommes ?
Victime de la dépravation, ce malheureux s'en va, pris du ver de la mort, porter son corps au tombeau, où ses vices dormiront avec lui et déshonoreront ses cendres jusqu'au dernier des jours.
Il en est qui de ce triste tableau détournent leur visage, et passent, exprimant parfois le dégoût.
Qui sont ces Pharisiens ? Trop souvent. hélas ! les coupables auteurs de ces ruines, ouvriers de la plume, de l'ébauchoir ou du pinceau, qui, par leurs œuvres immondes, ont éteint dans ces âmes d'enfant, de jeune fille, le sens du beau, du divin, de la céleste pureté. Ce sont encore ces hommes - j'allais dire « ces bourreaux » qui ont voilé à ces âmes jeunes la douce perspective du ciel et des espérances immortelles, leur arrachant la religion, ce lien qui rattache à Dieu, et qui permet, intimement liées à ce Dieu, de planer dans les espaces immenses de la vie ; au-dessus de la boue et des émanations délétères de la corruption générale. Parfois un être miséricordieux - ange terrestre - se penche avec amour vers ces victimes du vice, tente de les relever et leur montre le ciel.
Et les ouvriers du mal ricanent, alors qu'ils devraient saluer bien bas ces apparitions célestes et ils s'efforcent, comme les mauvais Sodomites, d'outrager ces messagers de miséricorde, ces anges radieux.
Parce qu'ils ignorent ou méconnaissent le bien, l'innocence, penseraient-ils que cette innocence ne saurait exister ? ou bien reconnaissant, malgré eux cette belle fleur de l'âme, sur ces fronts sereins, en seraient-ils jaloux au point de vouloir la ternir dans la fange où ils se plongent ?
Cependant, si leurs yeux, un moment dessillés, pouvaient percer les mystères de Dieu, ils verraient sans doute que c'est à ces justes qu'ils doivent de ne pas sombrer dans un cataclysme semblable à la ruine de Sodome. Les prières et les œuvres de ces justes retiennent seules le bras de Dieu, et détendent l'arc de sa colère.
Seigneur, Dieu des vengeances, mais plus encore Dieu de bonté et de miséricorde, ouvrez les yeux de ces aveugles à votre lumière féconde ; fermez-les aux douteuses, aux obscures lueurs d'un siècle corrompu, afin que vous voyant, ne serait-ce qu'en un éclair rapide, ils se tournent vers vous, source unique de toute beauté, de toute pureté !
L'Ange Gardien – Février 1898 – pp. 327-329
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Agar et Ismaël dans le désert
Quelque temps après la destruction de Sodome, Abraham quitta la vallée de Membré et alla planter ses tentes aux environs de Gérara, dans la partie méridionale du pays de Chanaan. C'est là que, conformément à la parole de l'Ange, le Seigneur donna un fils à Sara, Isaac, l'enfant de la promesse divine. Il y eut grande joie sous la tente d'Abraham.
Isaac grandissait, aimable et docile, jouant familièrement avec Ismaël, l'enfant d'Agar la servante. Un jour, Sara vit Ismaël maltraiter son fils, et dans sa colère elle dit à Abraham : « Chassez la servante Agar avec son fils. »
Cette parole parut bien dure au saint patriarche, et il n'aurait certainement pas accédé au désir égoïste de son épouse, si Dieu ne lui eût dit : « Que cette parole ne vous paraisse point dure ; faites ce que veut Sara ; écoutez sa voix parce que c'est d'Isaac que sortira la race qui doit porter votre nom. Je ne laisserai pas néanmoins de rendre le fils de votre servante chef d'un grand peuple. »
En cette circonstance douloureuse, Abraham ne faillit point à ses devoirs de père, à l'obéissance, et à la foi dont il devait être un parfait modèle. Il congédia l'étrangère, puisque le Seigneur le lui ordonnait.
Il se leva de grand matin, prit du pain et un vase plein d'eau, les mit sur l'épaule d'Agar et la renvoya avec son fils.
La pauvre femme s'éloigna, tenant Ismaël par la main et le conduisant tristement à travers le désert de Bersabée. Là, l'eau vint à leur manquer ; Ismaël tomba mourant de fatigue et de soif, et 1a pauvre mère, impuissante à soulager son fils, s'éloigna d'un trait d'arc, se couvrant le visage de ses mains et disant : « Je ne verrai point mourir mon enfant ! »
Elle pleurait amèrement et ses cris lamentables s'élevaient de plus en plus dans le désert, quand un Ange, au nom du Seigneur, appela Agar du haut du ciel : « Agar, que faites-vous ? Ne craignez point ; Dieu a entendu vos plaintes. Levez-vous et emmenez votre enfant qui sera, un jour, le père d'un grand peuple. »
Agar apaisa ses pleurs et obéit. En même temps, Dieu lui ouvrit les yeux, dit l'Ecriture ; elle aperçut un puits plein d'eau, et elle donna à boire à Ismaël.
La tradition hébraïque nous apprend que, dans le désert, Ismaël et sa mère furent l'objet de la sollicitude constante d'Abraham. Ismaël grandit plein de force et devint habile à tirer de l'arc. Il se maria avec une femme de la terre d'Egypte, et de ses douze fils descendent un grand nombre de tribus arabes.
Nul n'a pu lire sans émotion ce touchant épisode de nos livres saints.
Sous l'ardente, l'aveuglante lumière du désert, une mère et son enfant ! Goutte à goutte, l'eau vivifiante a été épuisée, la soif, l'horrible soif, dessèche leurs lèvres et brûle leurs poumons. Autour d'eux, la morne solitude ; à peine ça et là un brin d'herbe, un frêle arbuste.
L'épreuve, la souffrance abat d'abord l'enfant, et la mère haletante, le cœur brisé, se détourne pour ne pas le voir mourir !
Agar et Ismaël se retrouvent, avec une fréquence qui étonne et qui attriste, au sein des sociétés modernes, surtout dans nos grandes cités. Seulement, comme les temps, les décors sont changés. Ce n'est plus l'irradiante lumière où passe parfois comme un parfum subtil d'herbes ou de fleurs desséchées. Oh non certes ! c'est la boue tenace et le brouillard fétide de la rue ; c'est le froid pénétrant des carrefours. Les jours d'hiver, la mère et l'enfant y traînent leurs pas alourdis. Pauvre mère qui avait peut-être rêvé pour son fils un avenir brillant ! Illusions évanouies, espoirs trompés !
Mais à qui a tout perdu, à qui tout manque, Dieu reste encore, Dieu, père infiniment bon et miséricordieux pour les malheureux et les orphelins.
Comme à la servante Agar, errant dans le désert, l'Ange du Seigneur parle à l'âme chrétienne dans l'affliction et la misère, lui montrant, à travers les souffrances de la vie terrestre, l'ineffable bonheur éternel, si elle sait le mériter par sa résignation à la volonté de Dieu, et la prière, eau pure et plus vivifiante encore pour l'âme, que l'eau du puits du désert de Bersabée pour Ismaël et sa mère.
Ames chrétiennes, levez donc les yeux au ciel ; écoutez bien docilement la voix de votre bon Ange, divin messager qui veut vous conduire, vous protéger, vous consoler, en vous inspirant, surtout en vos grandes afflictions, l'amour de la prière et le plus filial abandon en la miséricorde de Dieu.
L'Ange Gardien – Mars 1898 – pp.363-366
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Le sacrifice d'Isaac – Intervention opportune des Anges
Le Seigneur dit à Abraham : « Prends ton fils unique, ton fils chéri Isaac, et ensemble allez en la terre de la vision. Là, tu me l'offriras en holocauste sur la montagne que je te montrerai. »
Abraham se leva donc avant le jour, prépara son âne, prit avec lui deux jeunes serviteurs et Isaac son fils, et, ayant coupé du bois pour l'holocauste, il se rendit au lieu que Dieu lui avait désigné.
Le troisième jour, il arriva au pied de la montagne et dit à ses serviteurs : « Attendez-moi ici avec l'âne ; nous ne ferons qu'aller, mon fils et moi, et, après avoir adoré, nous reviendrons aussitôt à vous. » Il mit le bois pour l'holocauste sur les épaules de son fils Isaac, et lui-même prit le feu et le glaive.
Tandis qu'ils marchaient, Isaac dit à son père :
- Mon père ?...
- Mon fils, que voulez-vous ? répondit Abraham.
- Voilà bien, continua Isaac, le feu et le bois ; mais où est la victime pour l'holocauste ?
- Mon fils, Dieu aura soin de fournir lui-même la victime.
Et ils poursuivirent leur chemin. Arrivé sur la montagne, Abraham dressa un autel, disposa dessus le bois pour l'holocauste, lia ensuite Isaac et le mit sur le bois qu'il avait disposé sur l'autel. Déjà, levant le glaive, il allait immoler son fils.
Mais, à l'instant, l'Ange du Seigneur lui cria du ciel : « Abraham ! Abraham ! » Il lui répondit : « Me voici ! »
L'Ange ajouta : « Ne mettez pas la main sur l'enfant et ne lui faites aucun mal. Je connais maintenant que vous craignez Dieu, puisque pour m'obéir vous n'avez pas épargné votre fils unique.
Abraham aperçut alors près de lui un bélier qui s'était embarrassé avec ses cornes dans un buisson, et, l'ayant pris, il l'offrit en holocauste à la place de son fils. Il appela ce lieu d'un nom qui signifie :
Le Seigneur voit. C'est pourquoi on dit encore aujourd'hui : « Le Seigneur verra sur la montagne. »
L'ange du Seigneur appela donc encore Abraham et lui dit : « Je jure par moi-même que, puisque vous avez fait cette action et que, pour m'obéir, vous n'avez pas épargné votre fils unique, je vous bénirai et je multiplierai votre race comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Votre postérité possédera les villes de ses ennemis ; et toutes les nations de la terre seront bénies dans
Celui qui sortira de vous, parce que vous aurez obéi à ma voix. »
Abraham revint ensuite trouver ses serviteurs, et ils retournèrent ensemble à Bersabée, où il demeura.
Nous n'avons pu résister au plaisir de citer dans son intégrité cette admirable scène de la Genèse. Le récit lui-même, simple et sobre, dégage comme une impression de calme et de paix, le calme et la paix des nuits sereines d'Orient après la chaleur du jour.
Dieu parle et commande. Il demande à Abraham le sacrifice de son fils. Sans murmure ni récrimination vaine, le grand patriarche obéit sur l'heure. Dieu avait donné ce fils, Dieu le redemande, que sa voix soit écoutée, que son nom soit loué et béni ! Et i1 se lève, il appelle ce fils, ils partent ensemble avant le jour venu.
Que deviendront les promesses divines ? Arrivée au terme de la vieillesse Sara, son épouse, aura-t-elle un fils encore, et ce fils à naître sera-t-il la tige de la race bénie ?
Dieu, le maître de la vie et de la mort, fera-t-il renaître de ses cendres ce même Isaac qui va être consumé par l'holocauste ?
Quelles pensées durent assaillir ce cœur de père durant la longue marche jusqu'au mont Moriah ? Mais pas un instant sa foi ne faiblit. Quel héroïsme dans ce père et aussi dans les mystérieux pressentiments de ce fils, dans la question qui les trahit, dans le silence qui les accepte, dans la méditation qui les explique, et enfin dans l'obéissance qui livre la victime aux entraves pour mieux attendre le coup mortel ! Amour de la vie, émotion filiale, tendresse paternelle, tout est déposé à la fois sur le même autel ! La victime y est étendue, le sacrificateur tient le glaive..., il va frapper. Le sacrifice est déjà consommé dans ce qu'il a de plus cruel pour la nature, dans le consentement du père et du fils, dans le déchirement du cœur. Dieu est satisfait. Le ciel est ravi d'admiration, et l'Ange du Seigneur, arrêtant l'exécution sanglante, renouvelle aussitôt les plus magnifiques bénédictions pour Abraham et sa postérité.
Voilà, certes, un bien consolant, bien réconfortant exemple pour les pères et les mères, à qui Dieu redemande un enfant, non sur l'autel du sacrifice du mont Moriah, mais dans la solitude du croître ou dans les labeurs de l'apostolat.
Jeune fille, Dieu l'appelle. Dans l'éclat de la jeunesse et de la beauté, alors que le monde lui sourit, Dieu lui dit : « Laisse là les hochets de la vanité, les rires du monde tôt transformés en larmes amères, et, humble religieuse, va, dans le monde de la souffrance, semer sur ton passage discret le rayon de joie qui console dans la peine, le rayon de lumière qui découvre le ciel oublié souvent.
Jeune homme, Dieu l'appelle encore. Il avait fait de beaux rêves ; mais Dieu lui montre, avec le néant de ces rêves, le vrai but de la vie ; il lui montre aussi comment, à travers les folies mondaines, les âmes courent aux abîmes de l'éternelle perdition. Il ira, prêtre du Seigneur, détourner ces égarés, éclairer ces aveugles, leur montrer « la voie, la vérité et la vie ». Il ira, s'il le faut, sur des plages lointaines, éclairer et sauver des âmes de pauvres sauvages selon la nature, mais qui valent bien les sauvages d'une prétendue civilisation moderne.
Pour l'humble religieuse, pour le prêtre zélé, qu'importent la peine, la souffrance, la mort même ? A l'exemple d'Isaac, ils ont consenti à l'entier sacrifice.
Seigneur, Seigneur, donnez aux pères, donnez aux mères, la foi d'Abraham, et que, dociles à votre voix, ils acceptent avec résignation le sacrifice de leur enfant, sacrifice douloureux pour leur cœur, mais agréable à Dieu, pour la rançon de l'Eglise opprimée, pour la rançon de la France humiliée et coupable !
L'Ange Gardien – Avril 1898 – pp.399-403
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Mission d'Eliézer – Le mariage d'Isaac
Abraham était avancé en âge et le Seigneur l'avait béni en toutes choses. Or, il dit à son vieux serviteur Eliézer : « Promets-moi par serment que, moi disparu, mon fils ne prendra pas pour épouse une femme des Chananéens, mais que tu iras au pays de mes pères, chercher une épouse à Isaac. » Le vieil intendant jura de remplir la mission que lui confiait son maître. Le patriarche, heureux de ce serment, répéta la promesse que Dieu lui avait faite à son arrivée dans la terre de Chanaan « Je donnerai à ta race cette terre » Et il ajouta : « Le Seigneur, qui a fait cette promesse, enverra son Ange devant toi, afin que tu ramènes une épouse à mon fils. »
Eliézer partit. Il emmenait avec lui dix chameaux de son maître ; il emportait de riches présents. Arrivé, sur le soir, près de Haran, ville où demeurait Nachor, il s'arrête hors de l'enceinte, se repose au bord du puits, fait à Dieu cette prière : « Seigneur, Dieu d'Abraham mon maître, assistez-moi aujourd'hui et faites-lui miséricorde. Me voici près de cette fontaine et les filles des habitants de cette ville vont venir pour puiser de l'eau. Que celle donc à qui je dirai « Inclinez votre amphore, afin que je boive » et qui me dira : « Buvez et je donnerai à boire à vos chameaux », que celle-là soit l'épouse que vous destinez à mon jeune maître. »
A peine avait-il achevé cette prière, qu'il vit paraître Rébecca, fille de Bathuel. Elle avait rempli son amphore et se retirait déjà, quand l'étranger lui dit : « Donnez-moi un peu d'eau, afin que je boive. » Et elle de répondre avec empressement : « Buvez, monseigneur ; je vais aussi puiser de l'eau pour vos chameaux. »
Cependant le serviteur la considérait en silence, il voyait s'accomplir le signe de Dieu. Tirant alors des bracelets et des pendants d'oreilles d'or, il lui dit : « Quel est votre père ? Est-il dans votre maison une place pour me loger ? - Je suis la fille de Bathuel, fils de Melcha et de Nachor... Il y a dans la maison de mon père, ajouta-t-elle, de la paille et du foin pour vos chameaux. »
Le voyageur s'inclina : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Abraham, qui m'a amené dans la maison du frère d'Abraham mon maître ! » La jeune fille courut à la maison et raconta sa rencontre. Aussitôt son frère Laban vint en hâte vers l'étranger, demeuré près de la fontaine et lui offrit l'hospitalité.
Eliézer accepte cette hospitalité. On lui sert à manger : « Je ne mangerai pas avant d'avoir rempli la mission du maître qui m'envoie. » Et il ajoute : « Je suis le serviteur d'Abraham. Le Seigneur a comblé mon maître de bénédictions. II lui a donné des brebis, des bœufs, de l'argent, de l'or, des serviteurs. Il lui a donné un fils...
« Promets-moi, m'a-t-il dit, de n'accepter aucune des filles des Chananéens pour l'épouse de mon fils, mais d'aller dans la patrie de mes pères lui chercher une compagne.
Le Seigneur enverra son ange et dirigera tes pas.
« Arrivé près de la fontaine, j'ai fait à Dieu cette prière : Seigneur, Dieu d'Abraham, mon maître, si c'est vous qui m'avez conduit dans le chemin où j'ai marché jusqu'à présent, jusque près de cette fontaine, que la jeune fille qui sortira pour puiser de l'eau, et à qui j'aurai dit : donnez-moi à boire de l'eau de votre amphore, et qui me répondra : buvez et je vais donner à boire à vos chameaux, que cette jeune fille soit l'épouse que vous destinez à mon jeune maître.
« Et Rébecca est arrivée. De qui êtes-vous fille ? lui ai-je demandé. Et elle m'a répondu : Je suis la fille de Bathuel, fils de Nachor et de Melcha. Je lui ai donné des pendants d'oreilles pour orner son visage, je lui ai mis aux bras ces bracelets, et j'ai adoré et béni le Seigneur, le Dieu d'Abraham mon maître, qui m'a conduit par le droit chemin pour trouver une épouse à Isaac. C'est pourquoi, si vous voulez faire cette grâce à mon maître, dites-le-moi ; mais si vous aviez un autre dessein, dites-le-moi encore, afin que j'aille autre part. »
Laban et Bathuel répondirent : « C'est Dieu qui parle en cette rencontre. Rébecca est entre vos mains ; elle ira avec vous, afin qu'elle soit la femme du fils de votre maître, selon la volonté de Dieu. »
A cette réponse, le serviteur d'Abraham se prosterna jusqu'à terre et adora le Seigneur. Puis, avant de prendre place à la table du festin, étalant des vases d'argent et d'or, des vêtements de prix, il en fit des présents à Rébecca, à ses frères et à sa mère.
Le lendemain matin, Eliézer dit à Bathuel et à Laban : « Permettez-moi d'aller retrouver mon maître. »
Mais le frère et la mère lui répondirent : « Que la jeune fille demeure au moins dix jours avec nous, et après elle s'en ira.
- Ne me retenez pas, disait le serviteur.
- Appelons la jeune fille et demandons-lui son sentiment.
- Veux-tu partir avec cet homme ? lui dit-on. Elle répondit : « Je le veux bien. »
Alors, lui souhaitant toutes sortes de prospérités, ils lui dirent : «Vous êtes notre sœur : croissez en mille et mille générations.
Rébecca et ses suivantes montèrent donc sur les chameaux et suivirent Eliézer qui s'en retourna en grande hâte vers son maître.
Nous réservons, pour le mois prochain, les réflexions qu'amène cette page de nos saints livres.
Bien à regret, l'espace nous étant mesuré, nous écourtons parfois le récit biblique ; nous éliminons même par excès de délicatesse peut-être, certains détails pleins de fraîcheur et de charme, doux comme les soirs d'été, comme les nuits d'Orient, suaves comme ces parfums qui passent, au crépuscule, dans l'air calme et attiédi.
Ne pouvant tout dire aux âmes neuves encore dans la vie, nous nous contentons aujourd'hui d'exprimer notre pieux souhait pour les âmes ayant déjà parcouru les riantes étapes de l'enfance et de l'adolescence : Que le Seigneur envoie son ange devant elles, pour les diriger, comme Eliézer, dans la voie de la vocation, du bonheur, de la volonté de Dieu ! Surtout que ces âmes méritent par leurs prières, ainsi que le vieux serviteur d'Abraham, de bien remplir la mission providentielle que le Seigneur leur a départie sur cette terre, avant de les appeler au séjour de l'éternel bonheur.
L'Ange Gardien – Mai 1898 – pp.3-7
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Sur la Mission d'Eliezer
Au chapitre de la Genèse que rappelait notre précédent article, se rattache la grande, l'immense question du mariage chrétien. Qu'on nous permette de procéder par tableaux, pour mieux exprimer nos réflexions pratiques sur ce sujet.
Il avait vingt ans et une couronne de marquis. Son blason remontait aux croisades, et nul n'en avait terni la noble devise. Il avait la fortune, en province du moins. Là, le bonheur s'offrait à lui sous les traits d'une jeune personne riche de qualités, sa compagne d'enfance. Les terres des deux familles étaient contiguës, et, réunies, eussent fait le plus beau tênement de la région.
Mais les vieux ors du blason, encore que solides, pouvaient craqueler en quelque endroit. Il fallait leur donner un lustre nouveau ; et, pour cela, on [...] s'allia à la famille d'un haut baron de la finance...
La dot amena plusieurs millions. Combien honnêtement gagnés, ces millions ? Il serait peut-être indiscret d'élucider cette question. Ces millions, qu'on croyait inépuisables, permirent de figurer quelque temps dans « le monde où l'on s'ennuie ».
Où sont aujourd'hui ces millions ?… Où est le bonheur rêvé ?… Les millions ont glissé entre leurs doigts frivoles, la jeunesse s'est évanouie, inutile et vide, laborieusement occupée à des riens. La bonheur a fui !
Que n'a-t-il eu, ce pauvre désabusé, un père, une mère aussi avisés que le patriarche de l'ancienne alliance, pour lui dire : « Tu n'accepteras point d'épouse parmi les filles des Chananéens ; mais tu choisiras ta compagne au pays de tes pères. »
[...]
Lui, il était le fils de la bonne terre de France, le fils du paysan. Sur les coteaux dorés de soleil, il avait mené en chantant brebis et agneaux.
A quinze ans, d'une main nerveuse, il conduisait la charrue. A vint ans, svelte et vigoureux, ouvert et loyal, sous le dolman brun, sous le casque ondoyant du dragon, il maniait un cheval avec la vigueur d'un centaure, l'aisance et la distinction d'un vrai gentilhomme.
Le mirage de la grande ville l'aveugla. Il ne voulut pas reprendre la charrue au village natal. Un autre mirage le fascinait encore. Une jeune fille avait captivé ses regards et son cœur. Elle devint son épouse.
D'où venait-elle ? D'où venait sa famille ? Il s'en inquiéta bien quelque peu ; mais passa outre.
La grande ville ne tint pas ses promesses. Avec des traditions opposées, des goûts différents, la jeune femme ne lui donna pas le bonheur attendu.
Le mal du pays, la lente nostalgie, le saisit en même temps que l'anémie, le mal des cités. Sa compagne ne comprenait pas qu'on pût vivre loin de l'asphalte des trottoirs parisiens. Il voulait retrouver dans le pays natal, la vie du corps, de l'âme peut-être. Elle refusa net de l'accompagner dans ses montagnes... il demeura et mourut !!
Ses restes dorment dans l'immense charnier de la fosse commune. Sa tombe est ignorée, et nul ne viendra la fleurir ; personne n'ira y prier ! Que n'a-t-il épousé une jeune fille de son village, il vivrait sans doute encore !!
Le cosmopolitisme matrimonial est à l'ordre du jour. Au risque de paraître bien arriéré, j'en suis encore aux idées du patriarche, et j'aime dire aux amis : « Ne faites contrat et alliance qu'en votre pays. Autant que possible même, ne dépassez pas les limites de la petite patrie. Provençaux, Bretons, Lorrains, Gascons, tous français au même titre, sont cependant sensiblement différents d'habitudes, de traditions, d'humeurs, de caractères. Ces contrastes et oppositions - ombres ou lumière - seront d'un médiocre effet dans le ménage. »
Jamais, du moins, ne dépassez les limites de la grande Patrie. Les divergences d'idées, de caractères, source ordinaire des dissentiments, seraient plus sensibles encore. De plus, en matière si délicate, si importante, si grave pour le bonheur de votre vie, priez, priez beaucoup, afin que le Seigneur vous envoie son Ange, pour guider vos recherches et déterminer votre choix. »
L'Ange Gardien – Juin 1898 – pp.39-42