Dévotion aux saints Anges
1. Quant aux anges bienheureux qui ne furent jamais souillés d'aucun péché, quoiqu'ils jouissent toujours des délices du Paradis, et qu'ils adorent et louent Dieu incessamment avec toutes leurs forces possibles, si est-ce que sa Providence en a choisi un grand nombre pour la conduite des hommes, que nous appelons anges gardiens et tutélaires, suivant le dire du Psalmiste :
Il a commandé à ses anges de te garder en toutes tes voies. La chaste Judith avait cette connaissance, quand elle représentait au peuple de Béthulie ce qu'elle avait fait au camp d'Holopherne :
Le Seigneur, dit-elle,
m'est témoin comme son ange m'a gardée en mon départ, en mon séjour et à mon retour.
L'avertissement du Fils de Dieu montre aussi cette vérité :
Prenez garde, dit-il,
de ne mépriser aucun de ces petits, car je vous dis que leurs anges voient toujours la face de mon Père, qui est aux cieux. Tous les saints Pères l'ont pareillement enseigné. Or, voici les offices de ces bons anges en notre endroit.
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2. Premièrement, les anges président aux hommes, comme les hommes président aux bêtes, dit saint Grégoire, et ce gouvernement commence dès l'instant de notre naissance.
Secondement, ils procurent notre salut depuis notre enfance jusqu'au dernier moment de notre vie, avec tout le soin, diligence, et charité possible. Cela, néanmoins, ne leur apporte ni sollicitude, ni souci, ni empressement ; c'est pourquoi ils n'en perdent pas un seul point de leur béatitude.
Troisièmement, ils nous retirent et préservent de mille maux et dangers, spirituellement et corporellement. Le grand pierre Faure, premier compagnon de saint Ignace, venant un jour d'Allemagne, où il avait fait de grandes choses à la gloire de Notre-Seigneur, racontait qu'ayant traversé plusieurs lieux hérétiques, il avait reçu mille consolations d'avoir salué, en abordant chaque paroisse, les anges protecteurs d'icelle, lesquels il avait connu sensiblement lui avoir été propices, soit pour lui rendre plusieurs âmes douces et dociles à recevoir la doctrine du salut.
Quatrièmement, les beaux anges de lumière et de paix qui nous sont assignés pour protecteurs de notre âme, sont toute notre vie fidèles témoins des bonnes actions que Dieu nous inspire, et nous aident à les bien exercer. Origène écrit à ce propos que chaque ange, le jour du jugement, présentera à Dieu celui dont il a eu la charge, et avec lui toutes ses paroles, ses actions et ses débordements. Ah ! qu'on devrait prendre de peine, afin de réjouir son bon ange par des actions vertueuses, et ne jamais le contrister par des vicieuses !
Cinquièmement, les anges nous avertissent quelquefois des choses futures, comme quand nous sentons de certains contentements, qui viennent à l'improviste et sans aucun objet apparent ; ce sont souvent des présages de quelque plus grande joie, dont plusieurs estiment que nos bons anges, prévoyant les biens qui nous doivent advenir, nous donnent ainsi des pressentiments ; comme au contraire ils nous donnent des crantes et frayeurs parmi les périls inconnus, afin de nous faire invoquer Dieu et demeurer sur nos gardes. Or, quand le bien présagé nous arrive, nos cœurs le reçoivent à bras ouverts, et se remémorant l'aise qu'ils avaient eue sans en savoir la cause, ils connaissent seulement alors que c'était comme un avant-coureur du bonheur advenu, procuré par l'entremise du bon ange.
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3. Enfin, nos anges sont nos garde-corps, qui campent autour de nous jour et nuit : nos divins conseillers, pour dissiper les desseins de l'ennemi du salut ; nos guides très assurés, pour nous conduire, comme le jeune Tobie, jusqu'à la maison de notre Père ; les gouverneurs de notre vie et les plus intimes amis que nus ayons en ce monde, qui connaissent nos infirmités et nécessités, et ensemble l'importance de notre salut.
Quelquefois même, ces bienheureux Esprits et messagers célestes nous annoncent les ordres de Dieu, ce qu'ils font avec une force si extraordinaire, que véritablement leurs paroles sont en quelque façon opératives, et apportent de plus avec elles un certain respect et révérence qui fait de tous ceux que cette divine Majesté favorise à ce point que de leur enseigner ce qui est de sa sainte volonté et bon plaisir par le ministère de anges, se sentent toujours portés à s'humilier très profondément devant eux.
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4. Quant aux raisons qui les convient à tant d'offices de charité, c'est : 1° la divine volonté ; 2° l'honneur qu'ils rendent au Fils de Dieu, lequel ils voient être revêtu de notre humanité, se dire notre frère, et réputer être fait à soi-même tout ce qui est fait de bien et de mal au moindre de nous ; 3° l'image de Jésus-Christ, qu'ils reconnaissent et respectent en nous ; 4° le prix et la valeur d'une âme qui est en grâce, âme que le Saint-Esprit daigne appeler sa bien-aimée et son épouse ; 5° enfin, la haine et sollicitude infatigable des démons à nous nuire. Qui peut douter que l'amour que nous porte notre bon ange ne prévale à leur extrême malice ?
Mon Dieu, quelle confiance nous devrions avoir en ces anges si propices et si favorables, en tous temps et occasions, mais surtout dans les grandes et ardues entreprises ! Jamais il n'a été que les vrais chrétiens ne se soient recommandés à leurs anges gardiens, principalement au fort de la nécessité, assurés que, les invoquant, ils en tireraient un secours ordinaire et extraordinaire, c'est-à-dire mille sortes d'aides et d'assistances. Que si les magiciens, lorsqu'ils joignent leur perverse volonté à celle des démons, ont souvent le pouvoir de nuire, pourquoi ne mettrions-nous pas notre confiance aux anges ? pourquoi n'unirions-nous pas nos cœurs à ces célestes esprits ? car, comme les petits rossignols apprennent à chanter avec les grands, nous apprenons à mieux prier et chanter les louanges divines :
Je psalmodierai, disait David,
à la vue de vos anges ! Pourquoi ne joindrions-nous pas aussi notre volonté à la leur, et l'une et l'autre à la divine ?
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5. Quoi ! nos fidèles conducteurs ne sont-ils pas aussi puissants au bien que nos perfides séducteurs le sont au mal ? La charité de nos protecteurs a-t-elle moins de force pour nous aider à procurer la gloire de Dieu et aborder au port de la félicité, que la malice enragée de nos ennemis n'en a pour nous nuire, faire trébucher au péché et enfoncer dans les abîmes de tout malheur ? Le tout est que de notre part nous ayons autant d'affection et de dévotion à bien faire, que les sorciers voués aux démons en apportent à faire mal.
Pour remerciement et action de grâces, rendons-nous fort familiers avec les anges ; faisons leur office volontiers, en instruisant les ignorants et jeunes enfants : ils nous en aimeront davantage. Voyons-les souvent invisiblement présents auprès de nous ; aimons et révérons celui du diocèse dans lequel nous sommes, ceux des personnes avec lesquelles nous vivons, et spécialement le nôtre ; supplions-les souvent, louons-les ordinairement, et requérons leur aide et secours en toutes nos affaires, soit spirituelles, soit temporelles, afin qu'ils coopèrent à nos saintes intentions : surtout à l'heure du très auguste sacrifice et tout le temps que le divin Sacrement est entre les mains du prêtre, invoquons les bienheureux esprits qui assistent leur monarque, les priant d'illuminer notre entendement, d'embrasser notre volonté, de présenter à dieu nos prières ; bref, de faire en sorte que nous soyons selon le Cœur de celui qui nous a donné son cœur, son corps, sa divinité et son humanité, les mérites de sa mort et ceux de sa vie. Oh ! qu'il est bien raisonnable, puisque Dieu nous envoie si souvent ses inspirations par les anges, que nous lui renvoyons fréquemment, par la même entremise, nos aspirations !
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6. Nous comportant en cette manière, nos bons anges nous apporteront une consolation plus grande qu'il ne se peut dire, principalement au départ de cette vie mortelle, quand ils se feront connaître à nous et qu'ils nous représenteront si amoureusement le soin qu'ils ont eu de nous durant le cours de notre vie, nous communiquant mille aspirations, comme un lait sacré qu'ils vont puiser dans le sein de la divine Majesté, pour nous attirer après à la recherche de ses divines suavités. « Ne vous souvenez-vous pas, diront-ils, d'une telle inspiration que je vous portai en tel temps, quand vous lisiez un livre, assistiez à un sermon, regardiez une telle image ? » O Dieu ! que nos cœurs fondront pour lors d'un contentement indicible, entendant ces douces paroles, et que sera grande notre reconnaissance pour tant d'assistances de nos anges !
La Piété consolante de Saint François de Sales, ou
Règles de conduite propres à éclairer et à rassurer les âmes portées aux scrupules et au découragement, recueillies dans ses écrits et mises en ordre avec une Introduction et des notes, Par le
R.P. Huguet, Mariste, Paris, Charles Douniol, 1858 (seconde partie, ch. XVI).