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Tel est le titre de cette nouvelle page, à la rubrique "Hiérarchies angéliques".
A plusieurs reprises depuis l'ouverture de ce site, nous avons été consultés à propos des noms attribués aux Anges gardiens, tels que relatés par un certain nombre de sites internet (et d'ouvrages disponibles en librairie plus nombreux encore), soit pour nous demander notre avis sur ce sujet, soit pour nous demander des précisions - de noms, de prières adaptées, de correspondances, etc..
Après avoir apporté à chacune et chacun de ces visiteurs une réponse personnelle, il nous a semblé que ce sujet pouvait intéresser le plus grand nombre, et nous ouvrons donc ici cette nouvelle rubrique, dont le titre est volontairement inscrit en forme de question : est-il possible d'identifier son Ange gardien ?

Vous êtes nombreuses et nombreux à vous adresser directement à nous, pour nous faire part de vos questions, de vos doutes, de vos critiques ou suggestions, et nous vous remercions chaleureusement de cette confiance que vous nous témoignez ainsi.
N'hésitez pas également à utiliser le forum, espace d'échange mis en place à votre intention, ouvert à toutes les opinions, pourvu que ces échanges s'effectuent dans le respect de la pensée de l'autre. Georges, visiteur régulier de ce site, nous écrivait récemment à ce sujet : "Profitons de ce forum pour exprimer de vraies pensées, nos expériences, nos attentes profondes, car nous sommes tous dans le même bateau. La vie est un miracle en soi, belle, souvent dure, et l'homme est confronté à son destin... Il y a tant à partager sur le sens que nous donnons à nos vies..."
Alors n'hésitez pas, lancez-vous :-) Nous atteignons cet été les 20.000 visites sur ce site, voilà bien des mains qui pourraient se rejoindre à travers l'espace, des pensées qui pourraient communier et se répondre, des amitiés qui pourraient se nouer, qui sait ?
Cet espace est à vous, utilisez-le, pour le bien de tous !

En nous révélant l'existence et la nature des anges, la Bible, disait Newman, " ouvre à nos imaginations et à nos cœurs les portes du ciel " (1).
Et nous lisons, dans l'Office de la fête des Saints Anges Gardiens, cette promesse de Jéhovah à son peuple :
" Voici que j'enverrai mon Ange pour te précéder, te garder le long du chemin et t'introduire au lieu que j'ai préparé " (2).
Saint Bernard s'étonne de cette merveilleuse bonté de Dieu s'inquiétant du sort des pauvres humains et envoyant à leur secours des créatures telles que les anges.

Angelis suis Deus mandavit de te Ut custodiant te in omnibus viis tuis. (Ps. 90.)

" Dieu, s'écrie saint Bernard, Dieu donne mandat à ses familiers, les anges, au sujet de l'homme ! "
Comme ces paroles, conclut-il, doivent nous porter au respect, à la dévotion, à la confiance : respect pour la présence de l'ange, dévotion pour sa bienveillance, confiance en sa garde.
Aussi nous conseille-t-il d' " aimer affectueusement notre ange gardien et de ne nous laisser effrayer par aucun péril, puisqu'il est toujours présent : " Que pouvons-nous craindre avec de tels gardiens ? " (3)
Cette dévotion affectueuse envers les anges, de grandes âmes, telles que saint Thomas d'Aquin et Newman l'ont pratiquée tout spécialement.
Saint Thomas avait pour les créatures. mystérieuses que sont les anges une curiosité et une dévotion particulières. Il disait joliment, au début de son opuscule sur les " créatures spirituelles " :
" Ne pouvant, au chœur, faire l'office des anges, du moins écrivons d'eux. "
Et son Traité des Anges, remarque le P. Sertillanges, est " une oeuvre extraordinaire pour qui peut déchiffrer cette algèbre " (4).
La dévotion de Newman pour les anges nous est plus accessible. Newman insiste sur cette présence des anges dans notre vie familière. Il évoque, pour nous en persuader, le songe de Jacob, au cours de son célèbre sermon d'Oxford sur " le monde invisible ".
Dans une solitude sans rien d'attirant, un endroit comme tous les autres, Jacob a disposé une pierre pour son oreiller et se prépare à dormir. Il n'a vu jusque-là que le monde visible ; il n'a pas pris garde à l'autre, le monde qu'on ne voit pas... Cet autre monde est là cependant, et c'est durant son sommeil qu'il va l'apercevoir, lorsque ses sens extérieurs seront assoupis : " Des anges l'environnaient qu'il ne soupçonnait pas " (5).
Et Newman nous reproche à nous aussi de ne pas être assez attentifs à cette présence des anges :
" Il y a des anges à côté de nous : Angels are among us. C'est un péché de ne pas le voir... A chaque souffle d'air, à chaque rayonnement de lumière et de chaleur, devant chaque perspective de beauté, nous touchons les franges, nous voyons s'agiter la robe de ceux qui contemplent Dieu face à face. "
Pour nous rendre plus proche et plus concrète cette présence des anges, pourquoi ne demanderions-nous pas à Claudel de nous servir de guide ?

Je ne connais pas, pour ma part, d'écrivain religieux qui ait parlé avec plus de charme, de profondeur et d'exactitude du rôle des anges auprès des hommes. Croyant et poète, comme Newman, il a su rendre sensible la présence, auprès de chacun de nous, de ce gardien à qui Dieu confie nos âmes. C'est depuis que j'ai lu Claudel que je pense plus fréquemment à celui qu'il appelle si justement : notre " ami ", notre " frère spirituel ".

Le guide qui nous est choisi
Pour nous communiquer le ciel (6)

C'est dans le Soulier de satin que nous trouvons surtout exprimé de façon concrète le rôle de l'ange gardien. L'ange gardien est ici l'un des personnages du drame.
Dona Prouhèze a été confiée à la garde de don Balthazar par son vieil époux, don Pélage ; mais elle n'a qu'une pensée, rejoindre Rodrigue qu'elle aime. Comme elle se défie d'elle-même elle avoue à don Balthazar qu'il aura fort à faire pour la garder et que déjà elle " concerte dans son esprit mille ruses pour lui échapper ".
Et celui-ci réplique gravement :

I1 y aura un autre gardien auquel vous n'échapperez pas si facilement.
- Lequel, Seigneur ?
- L'Ange que Dieu a placé près de vous dès ce jour que vous étiez un petit enfant innocent... (7)

La protection de cet ange dominera toutes les démarches de Prouhèze.
Lorsque, malgré la surveillance de don Balthazar, elle réussit à s'échapper de l'auberge où elle était gardée, son ange gardien est là, invisible pour elle, tout attristé et compatissant ; il la regarde traverser le ravin et se démener au milieu des épines et des lianes entremêlées. Il la plaint. II souffre avec elle :

Qui prétend que les Anges ne peuvent pas pleurer ? Est-ce que je ne suis pas une créature comme elle ? Est-ce que les créatures de Dieu ne sont rattachées par aucun lien ?
Ce qu'ils appellent la souffrance, à quoi cela servirait-il d'être un ange gardien si nous ne la comprenions pas ?...
Ah ! tu me fais honneur et j'ai plaisir à montrer ainsi ma pauvre petite sœur !

Enfin, Prouhèze réussit à se dégager. Elle vient à bout de ces " ronces et de ces épines charitables qui essayaient de la retenir ". Elle se croit libre. Elle s'élance pour rejoindre Rodrigue :

- Rodrigue, je suis à toi !
Mais l'Ange murmure à son côté :
- Et moi, je t'accompagne.

C'est son Ange gardien qui lui apparaîtra plus tard, dans la tente où elle est endormie sur la plage de Mogador, comme Jacob dans le désert :

C'est moi. J'étais là. Je ne t'ai jamais quittée.
Ton Ange gardien !

Il la décidera au sacrifice suprême de son amour et lui expliquera quel rôle il joue auprès d'elle.
Il est comme le pêcheur " dans les roseaux embusqué " et Prouhèze est le poisson " qui se mutine et se débat sur place ", se croyant plus sage que le pêcheur.
Ainsi, l'Ange gardien tire Prouhèze et Prouhèze à son tour doit tirer Rodrigue, car elle n'est pas seulement une prise, mais une amorce :

- Rodrigue, cet orgueilleux, c'est avec moi que tu veux le capturer ?
- Oui, répond l'Ange ; il était bon que tu lui apprennes le désir, le désir d'autre chose que lui-même ; si bien que ton amour, quoique coupable, servira finalement à racheter Rodrigue parce que, comme nous l'apprend saint Augustin, " même le péché, le péché aussi sert ".

Mais pour être pleinement utile à Rodrigue, pour l'élever lui aussi jusqu'à Dieu, il faudra que Prouhèze soit transformée, transfigurée par le sacrifice.
Une Prouhèze charnelle n'apporterait à Rodrigue que la mort. II ne faut point qu'elle reste " cette vilaine et disgracieuse créature au bout de ma ligne, ce triste poisson " ; il faut qu'elle redevienne l'enfant de Dieu dans la lumière, la " Prouhèze que voient les anges ". Car c'est celle-là, sans le savoir, que Rodrigue regarde et désire, c'est celle-là qu'elle a à faire afin de la lui donner.
Et ce sera la même Prouhèze, mais une Prouhèze toujours belle qui ne détruit pas la mort.
Cependant, Prouhèze hésite encore à renoncer à Rodrigue :
C'était beau d'être pour lui une femme...

" Et moi, dit l'Ange, je ferai de toi une étoile... une étoile conductrice, flamboyante dans le souffle du Saint-Esprit. "

Prouhèze, alors, comprend et consent au sacrifice :

Adieu donc ici-bas. Adieu mon bien-aimé !...

Et l'Ange ayant accompli sa mission se retire :

Maintenant, je n'ai plus rien à te dire, sinon au revoir. Adieu !
J'ai fini ma tâche avec toi.
Au revoir, sœur chérie, dans la lumière éternelle.

Le rôle de l'Ange gardien auprès de Prouhèze symbolise celui de notre ange gardien à chacun de nous. Quoique invisible, il est toujours là, ce " cher compagnon ". Il ne nous manque que d'être plus attentifs à " cette connaissance au-dessus de nous infaillible, cette impulsion forte et douce, cette grande main que nous avons tant de joie à sentir autour de la nôtre " (8).
Dans son commentaire du Livre de Tobie, Claudel, comme Newman, remarque que " cette intervention des anges dans notre vie quotidienne ne nous est plus aussi familière qu'elle l'était aux anciens patriarches ", mais qu'il suffirait d'un peu d'attention et d'un " rayon de soleil bien dirigé pour nous la rendre visible ".
Nous sentirions alors, en toute occasion :

Cette main que Dieu a commise
Pour tenir la nôtre ici-bas.

Nous ne craindrions plus le danger puisque, selon la promesse de Dieu :

Nulle route n'est si raide
Qu'un ange ne nous précède.

Nous ne craindrions plus la mort, persuadés qu'à ce moment notre ange nous aidera à franchir le dur passage, cet " amer commencement du ciel " que l'âme frémissante étudie à travers les ombres de l'agonie ; notre ange dont la face " compatissante et fidèle " nous sourira, notre " tendre ange gardien " à qui Newman, mourant, confiait son âme et son corps.

Suzanne Chapard
Extrait de Ecclesia n° 187 - Octobre 1964

(1) Newman. Sermon sur The powers of nature.
(2) Exode Ch. XXIII
(3) Saint Bernard. Sermon sur le Psaume 90.
(4) P. Sertillanges. Saint Thomas d'Aquin (Flammarion. Collection " Les grands cœurs ".)
(5) Newman. Sermon sur " le monde invisible ".
(6) Paul Claudel. Corona Benignitatis Anni Dei (Hymne des Saints Anges).
(7) Paul Claudel. Le Soulier de Satin.
(8) Paul Claudel. Les Aventures de Sophie. Le Livre de Tobie.