5. Essor de la dévotion : 1690 à 1789
1691 : Le Père Croiset fait imprimer à Lyon, chez le libraire Horace Molin, un ouvrage portant le même titre que celui de Dijon : La Dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans mention d'auteur (Par un Père de la Compagnie de Jésus), avec l'approbation de Mr. De Cohade, "Docteur en Théologie de la Maison & Société de Sorbonne, Custode de Ste-Croix à Lyon".
« Après le culte que l'Eglise rend tous les jours à l'Auguste Trinité, il n'y a point de Dévotion qui, à mon goût, soit plus effective que celle qui a pour objet Jésus-Christ : car comme l'Homme-Dieu l'emporte par la plénitude de sa vérité et de sa grâce sur toutes les pures créatures, il est juste que nous lui consacrions par préférence les mouvements de notre piété et de notre Religion. Et quoique parmi les Fidèles il s'en trouve qui se cachent dans ses Plaies ; d'autres qui s'attachent à sa Croix ; quelques-unes qui ont un attrait particulier pour les paroles qu'il prononça lors de sa mort : Ceux-là me paraissent aller à la source, qui vont à droiture au Cœur de Jésus, soit qu'il vive de la vie de la gloire, soit qu'il vive d'une vie secrète sous les voiles de l'Eucharistie, après avoir vécu d'une vie mortelle et périssable. Entrant dans ce Cœur, à la faveur de cet ouvrage, le nôtre n'aura plus de tiédeur pour lui, d'ingratitude pour Jésus-Christ, d'incrédulité pour son Sacrement, de mépris pour ses dons, d'aversion pour les ennemis, d'indifférence pour le Ciel. »
Extrait de l'Approbation de M. De Cohade, Dijon, 25 avril 1691.
L'ouvrage du P. Croiset contient en appendice l'Abrégé de la vie d'une religieuse de la Visitation (Sœur Marguerite-Marie, dont le nom n'est pas mentionné), auquel sont joints des documents fournis par le monastère et de larges extraits des lettres que le Père a reçu d'elle. La première impression est achevée le 20 juin.
« La fin qu'on se propose dans cette dévotion, c'est premièrement de reconnaître et d'honorer autant qu'il est en nous, par nos fréquentes adorations, par un retour d'amour, par nos remerciements et par toutes sortes d'hommages, tous les sentiments d'amour et de tendresse que Jésus-Christ a pour nous dans l'adorable Eucharistie, où cependant il est si peu connu des hommes, ou du moins si peu aimé de ceux mêmes dont il est connu. Secondement, de réparer, par toutes les voies possibles, les indignités et les outrages auxquels l'amour l'a exposé durant le cours de sa vie mortelle, et auxquels le même amour l'expose encore tous les jours dans le saint Sacrement de l'autel. De sorte que toute cette dévotion ne consiste, à proprement parler, qu'à aimer ardemment Jésus-Christ, que nous avons sans cesse dans l'adorable Eucharistie, et à lui témoigner cet ardent amour par le regret qu'on a de le voir si peu aimé et si peu honoré des hommes, et par les moyens que l'on prend pour réparer ce mépris et ce peu d'amour. »
Père Croiset, La Dévotion au Sacré Cœur, Livre I, chap. I.
Promulgation de la Bulle Inter multiplices d'Alexandre VIII, qui casse la Déclaration des Quatre Articles de 1682.
1692 : La sœur Jeanne-Madeleine Joly (1643-1708) érige en son monastère de la Visitation de Dijon une Confrérie de l'adoration du Sacré Cœur de Jésus, dont la première heure d'adoration est faite par le vénérable Bénigne Joly le 6 décembre. L'année suivante, la Visitation de Paray-le-Monial érige à son tour une Confrérie semblable. Celle-ci sera élevée au rang d'Archiconfrérie par Pie IX le 13 janvier 1865.
L'évêque de Langres approuve pour son diocèse la fête du Sacré-Cœur, avec Messe et Office propres.
1693 : Début de la distribution de pain aux pauvres de Paris.
Le 19 mai, un bref d'Innocent XII, obtenu par l'entremise du cardinal de Janson, accorde une indulgence plénière, pour le vendredi après l'Octave du Saint-Sacrement, à tous ceux qui visiteront une église de la Visitation. Ce bref d'indulgence sera renouvelé à plusieurs reprises, notamment en 1700 et 1719 par Clément XI, et enfin à perpétuité par Clément XII le 9 juin 1733.
La dévotion au sacré Cœur de Jésus est établie au sein du second monastère de la Visitation Sainte-Marie de Marseille.
« La Mère Marie-Marguerite de Valbelle de Saint-Symphorien, véritable amante du Cœur de Jésus, ressentait une consolation qu'elle ne pouvait exprimer que par ses larmes. Elle se mit aussitôt en devoir de décorer l'autel qu'on avait destiné dans notre église pour ce sacré Cœur. Elle fit faire un grand tableau, avec le cadre doré, fort bien sculpté, représentant Notre-Seigneur montrant son Cœur divin… »
Annales manuscrites du second monastère de la Visitation de Marseille, in D.S.B., La Propagatrice de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, Anne-Madeleine Remuzat, Lyon, E. Vitte, 1891.
Le 15 septembre, les évêques de France désavouent les quatre articles de la Déclaration de Bossuet, sur la demande d’Innocent XII et avec l’approbation de Louis XIV. Celui-ci informe le pape que la Déclaration ne sera plus enseignée en France. En retour, Innocent XII accepte l'extension du droit de régale à tous les diocèses et investit les évêques nommés depuis 1682.
1694 : L'archevêque de Besançon, Antoine-Pierre de Grammont, approuve pour son diocèse la fête du Sacré-Cœur de Jésus-Christ, avec Messe et Office propres qu'il fait insérer dans le missel de son église.
Dom Innocent Le Masson (1628-1703), 49° général des Chartreux - en réponse aux religieuses qui lui demandent la permission d'honorer le Sacré-Cœur tel qu'il s'est révélé à Marguerite-Marie - leur recommande cette dévotion, la reconnaissant comme déjà ancienne au sein de son Ordre : "Je ne consens point seulement à ce que vous mettiez cette sainte dévotion en pratique, mais je vous y exhorte". Il écrit un ouvrage qui paraît la même année : Directoire pour se former à la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus-Christ (ou Exercices de dévotion au Sacré-Cœur pour les religieuses Chartreuses). L'auteur y donne pour chaque jour de la semaine "trois considérations suivies d'actes d'adoration, de louanges et de prières".
« Voilà cette sainte dévotion que je vous ai distribuée pour chaque jour ; et vous pourrez, chaque vendredi de l'année, y ajouter les litanies et l'amende honorable que vous trouverez ci-après. Chaque année, le lendemain de l'octave de la Fête-Dieu, il y aura une Communion générale et extraordinaire comme pour célébrer une Fête en l'honneur du Sacré-Cœur de Jésus, par reconnaissance et par action de grâces à son amour et en réparation d'honneur de toutes les indignités qu'il reçoit dans l'auguste mystère de l'Eucharistie. C'est dans cette intention que vous communierez ce jour-là, en vous livrant et vous consacrant tout à ce Cœur adorable comme il s'est livré à toutes les volontés de son Père éternel que je prie de vous rendre toutes les véritables filles du Sacré-Cœur de Jésus. »
Dom Innocent Le Masson, Directoire pour se former à la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus-Christ, 1694, Conclusion.
Publication à Rouen de La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, manuel attribué à la Mère J.M. de Bauquemare de Bourdeny, supérieure du premier monastère de la Visitation. Ce volume, qui reprend entre autres la Messe du Père Eudes et des éléments du livre du Père Croiset, sera réédité à plusieurs reprises.
« Le Sacré-Cœur de Jésus est, à proprement parler, l'intérieur de Jésus-Christ, lequel nous est donné pour l'exemplaire des actes et des dispositions de la suprême religion à l'égard de Dieu ; car, sans ce culte intérieur et cette union intime à Jésus, nous n'avons que l'apparence du christianisme. »
Manuel de la Dévotion au Sacré-Cœur, Rouen, 1694, extrait.
Publication à Paris de La Dévotion à la Sainte Véronique ou la Réparation des ignominies et des outrages faits à la Sacrée Face de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur le voile de sainte Véronique, d'un Dominicain breton, Antonin Thomas.
1695 : Une Confrérie du Sacré-Cœur est fondée à Versailles, chez les Augustins Récollets tout proches du château.
Publication en Allemagne du premier ouvrage sur la dévotion au Sacré-Cœur, Brève idée de la dévotion au Vénérable Cœur de Jésus notre Sauveur, du P. Thaddée Schwaller, sur les bases du livre du P. Croiset paru en 1691. Une seconde édition augmentée paraîtra dès 1700.
1696 : Dans la 5° édition de La Dévotion au Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Jeanne-Madeleine Joly insère la "Séquence qui se chante à la messe du très saint et sacré Cœur de Jésus dans les églises des séminaires de Normandie", parmi d'autres emprunts à Jean Eudes.
Publication à Pont-à-Mousson d'une Instruction pour la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus qui contient la manière dont cette dévotion s'est établie, la méthode de la pratiquer et quelques prières qui lui sont propres d'un auteur Jésuite anonyme, avec de nombreux emprunts à l'ouvrage du Père Croiset.
Le 23 mars, sous l'impulsion des religieuses du monastère de la Visitation de Chaillot, Marie d'Este, duchesse d'York et femme de Jacques II (roi détrôné d'Angleterre), qui a connu et vénéré le Père de La Colombière à Londres, écrit à Innocent XII en vue d'obtenir l'autorisation pour l'Ordre de célébrer la fête du Sacré-Cœur avec Messe et Office propres.
Le 29 novembre, naissance à Marseille de Madeleine Remuzat.
1697 : Le 30 mars, un décret de la Sacrée Congrégation des Rites autorise l'ensemble des monastères de la Visitation à célébrer la fête du Sacré-Cœur avec la Messe des Cinq Plaies, le vendredi après l’Octave du Saint Sacrement, mais refuse un Office propre à cette célébration. Le décret est approuvé par Innocent XII le 3 avril. Rome répond en même temps par la négative à la demande d'une Fête universelle en l'honneur du Sacré-Cœur.
Deux mois plus tard, les Réviseurs généraux de la Compagnie de Jésus à Rome interviennent à leur tour auprès d'Innocent XII contre la dévotion "nouvelle" :
« Nous souhaitons que les Nôtres ne s'emploient plus à patronner la cause du Sacré-Cœur en cour de Rome, et surtout que votre Paternité n'intervienne pas pour obtenir que la fête avec la Messe et l'Office propres du Sacré-Cœur soient accordés à toute l'Eglise ; particulièrement en un temps où les dévotions nouvelles pullulent de toute part et sont écartées impitoyablement par la sainte Eglise. »
Le 5 octobre, un décret est rendu qui interdit aux Ursulines de Vienne la célébration de la fête du Sacré-Cœur dans leur monastère.
Publication à Poitiers de l'Entretien de Théotime et de Philothée sur la dévotion au Sacré Cœur de Jésus de Jean Bouzonié (1645-1726).
1698 : Le 6 juin, vendredi après l'Octave du Saint Sacrement, au cours de la fête solennelle qui a lieu au monastère de la Visitation de Rouen, les Eudistes chantent la Messe du Sacré-Cœur.
Sur l'idée de Sœur Marie-Eléonore de Lorraine, fille du duc d'Elbeuf, le premier monastère de la Visitation de Paris (rue Saint-Jacques) entreprend de construire sur les dessins de Mansart une chapelle dédiée au Cœur de Jésus. C'est la reine d'Angleterre, Henriette-Marie de France, tante de Louis XIV, qui en posera la première pierre, bénie par l'évêque de Laon Mgr le cardinal d'Estrées (1628-1714). La renommée de ce monastère est telle que les dames de la cour se font un honneur de se faire inscrire sur le registre de la Confrérie du Sacré-Cœur qui y est tenu par la Sœur Marie-Eléonore. Le troisième monastère de la Visitation, situé à Chaillot, décide peu de temps après d'instaurer tous les premiers vendredis du mois un salut solennel avec amende honorable au Cœur de Jésus, auquel se rend régulièrement, cachée dans la foule, la duchesse d'Orléans.
Une Confrérie du Sacré-Cœur est érigée à Bruxelles, en Belgique. L'année suivante, Gand et Liège suivent l'exemple de la capitale. En 1703 viendront Mons et Tournai, puis Bruges, Malines, Dinant, Louvain, Nivelles…
1699 : Condamnation du quiétisme.
Publication à Besançon de La Véritable dévotion au Sacré-Cœur de Jésus-Christ du Père François Froment S.J. (1649-1702), qui a vécu à Paray et connu Marguerite-Marie. Son ouvrage, achevé avant celui du Père Croiset mais publié huit ans après, contient également de nouvelles Litanies du Sacré-Cœur.
« L'on peut prendre en divers sens le Sacré Cœur de Jésus, savoir, non seulement pour le cœur de chair, qui fait partie du corps tout adorable du Fils de Dieu, mais encore pour la volonté, tant la divine que l'humaine, de ce Dieu-Homme, laquelle nous a toujours aimés d'un amour si ardent, et enfin pour ce même amour ; c'est en ces divers sens qu'on prend le Cœur de Jésus dans tout cet ouvrage, c'est-à-dire, en un mot, qu'on y regarde le Cœur de Jésus comme le siège de cet amour excessif qui L'a porté à se livrer pour nous à la mort et à se donner jusqu'à la fin des siècles dans le Très Saint Sacrement, le chef-d'œuvre de son divin Cœur, et la consommation de son amour envers les hommes, qui ne sont que froideur, qu'indifférence pour Lui. »
Père François Froment, La Véritable dévotion au Sacré Cœur de Jésus, Bruxelles, Vromant, 1891.
Une nouvelle édition de la Dévotion au Sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ imprimée à Liège "suivant la copie de Lyon" (chez Joseph Louis de Milst, Imprimeur de Son Altesse) précise dans sa Préface :
« Cette Dévotion s'est répandue et établie avec un succès merveilleux presque par toute la France ; elle a passé dans les Royaumes étrangers ; elle est allée même au-delà des mers ; elle s'est établie à Kébec et à Malte ; et l'on a sujet de croire que par le moyen des Missionnaires, elle s'est déjà répandue dans la Syrie, dans les Indes et dans la Chine… »
1700 : Publication à Lyon des Offices dressés en l'honneur des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, sans mention d'auteur : office et messe du P. Eudes en latin avec une traduction française de l'oratorien Edme-Bernard Bourrée (1652-1722), et la collaboration du poète dijonnais Bernard de La Monnoye (1641-1728).
On dénombre déjà 30 Confréries érigées en l'honneur du Sacré-Cœur, et 22 Brefs ont été émis par Innocent XII (1691-1700) à leur intention (indulgences ou autres faveurs spirituelles).
1702 : Le 16 décembre, Clément XI, dans une Bulle spéciale en faveur des monastères de la Visitation, autorise ses membres à pratiquer la dévotion en l'honneur du divin Cœur de Jésus :
« Pour augmenter la Dévotion des Fidèles, et le salut des âmes ; Nous, par une charitable affection attentifs à la disposition des trésors célestes de l'Eglise, octroyons miséricordieusement en notre Seigneur par ces Présentes, qui ne vaudront que pour sept années seulement, Indulgence plénière et Rémission de tous leurs péchés à tous les Fidèles de l'un et l'autre sexe, qui vraiment repentants, confessez et communiez visiteront chaque année dévotement quelque part du monde qu'elles soient, quelques-unes des Eglises des Monastères des Religieuses de la Visitation de la B. Marie Vierge immaculée, établie par saint François de Sales, le Vendredi après l'Octave du très-saint Corps de J.C. depuis les premières Vêpres jusqu'au Soleil couché dudit jour (Vendredi) et là prieront Dieu pour la concorde entre les Princes Chrétiens, extirpation des Hérésies, et exaltation de notre Mère la sainte Eglise… »
Extrait de la Bulle de Clément XI en faveur de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, in La dévotion au Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par le Père Jean Croiset, Lyon, Chez les Frères Bruyset, 1741.
En décembre, début de la révolte des Camisards, paysans calvinistes des Cévennes, commandés par Jean Cavalier (1681-1740). La guerre prendra fin avec l'armistice du Pont d'Avène signée le 12 mai 1704 avec le Maréchal de Villars (1653-1734). 470 villages cévenols auront été détruits par l'armée royale.
1703 : L'évêque d'Autun autorise la solennité publique du Sacré-Cœur dans les six monastères dépendant de sa juridiction : Paray-le-Monial, Autun, Avallon, Bourbon-Lancy, Charolles et Moulins.
Le 25 février, Dom Bède Sommerberger (†1746), prieur de l'abbaye de Zwiefalten (Würtemberg), obtient un bref pontifical d'érection d'une confrérie du Sacré-Cœur. Cette abbaye allemande travaillera activement à propager la dévotion au cours du XVIII° siècle. L'Abbé de Zwiefalten est également l'auteur d'Exercices spirituels en lesquels le Sacré-Cœur est au centre de toutes les dévotions :
« Clôturez l'octave avec une grande dévotion au Cœur aimant et miséricordieux de Jésus, qui voulut être percé après sa mort pour être la consolation des défunts. Priez la Mère des douleurs, par les angoisses qu'elle endura en voyant la lance du soldat ouvrir si cruellement le Cœur de Jésus, qu'elle purifie les pauvres âmes dans l'eau et le sang du divin Cœur de Jésus, et qu'elle daigne offrir au Père éternel, pour leur rédemption, les douleurs, l'amour et les vertus de ce Cœur, qu'elle renferme ces pauvres âmes dans ce Cœur et les dépose avec lui dans le sein du Père éternel… »
Dom Bède Sommerberger, Exercices spirituels, Octave pour les âmes souffrantes du purgatoire, 1746, in Dom Ursmer Berlière, La Dévotion au Sacré-Cœur dans l'Ordre de Saint Benoît, Paris, Lethielleux et Desclée, De Brouwer, Abbaye de Maredsous, 1923.
Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) et Marie-Louise Trichet (1684-1759) fondent à Poitiers les Filles de la Sagesse, de spiritualité missionnaire apostolique et mariale. Ordonné prêtre en 1700, le Père de Montfort répand tout au long de son ministère dans l'ouest de la France, en Bretagne, en Poitou et en Vendée, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus à laquelle il joint celle au Saint-Cœur de Marie. Il a en particulier composé six Cantiques au Sacré-Cœur, d'une trentaine de strophes chacun, qu'il a dédiés aux religieuses de la Visitation. Louis-Marie Grignion de Montfort a été canonisé le 20 juillet 1947 par Pie XII, et Marie-Louise Trichet béatifiée en 1993 par Jean-Paul II.
« Oh ! que Jésus est libéral
A sa Mère très pure !
Il met dans son sein virginal
Sa grâce sans mesure ;
Son Cœur est son trône royal
Et sa demeure sûre.
Tandis qu'il est tout attaché
A son sein sans partage,
Dans lequel le moindre péché
N'a fait aucun ravage,
Il y peint, sans être empêché,
Sa véritable image.
Leurs Cœurs unis très fortement,
Par des liens intimes,
S'offrent tous deux conjointement
Pour être deux victimes,
Pour arrêter le châtiment
Que méritent nos crimes.
Dans ce mystère, les élus
Ont reçu leur naissance ;
Marie, unie avec Jésus,
Les ont pris par avance,
Pour avoir part à leurs vertus,
Leur gloire et leur puissance.
Que ce mystère est merveilleux !
Quels transports admirables !
Quels ravissements bienheureux
De ces deux Cœurs aimables !
Nous ne verrons que dans les cieux
Ces secrets ineffables.
Ils semblent tous deux confondus :
Que l'alliance est belle !
Marie est toute dans Jésus,
Son amant très fidèle ;
Ou pour mieux dire, elle n'est plus,
Mais Jésus seul en elle.
Allons tous entre ces deux Cœurs
Faire fondre nos glaces,
Participer à leurs ardeurs,
Leurs vertus et leurs grâces ;
Allons ! Ils aiment les pécheurs :
Nous y trouverons places. »
Louis-Marie Grignion de Montfort, Jésus vivant en Marie dans l'Incarnation, extrait, in La Mission providentielle du Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort dans l'enseignement et la propagation de la parfaite dévotion à la Sainte Vierge, comme préparation au grand règne de Jésus et de Marie dans le monde, Abbé J.-M. Quérard, Sherbrooke, Séminaire Saint Charles Borromée, 1898.
Le 27 mai, Claude-François Poullart des Places (1679-1709), ami d'enfance de Louis-Marie Grignion de Montfort, fonde le Séminaire (ou Congrégation) du Saint-Esprit (les Spiritains), destiné aux prêtres pauvres et reconnu officiellement en 1734. 1300 prêtres seront formés au cours du XVIII° siècle. Le Séminaire sera regroupé en 1848 avec la Société du Saint-Cœur de Marie, congrégation missionnaire fondée à Paris le 21 septembre 1841 par François-Marie-Paul (Jacob) Libermann (1802-1852).
Publication à Rome de Anatome Cordis Christi Domini lancea perfossi du Père Bonucci S.J.. L'ouvrage sera traduit en français en 1863 par Mgr Luquet, évêque d'Hésébon, avec pour titre La connaissance du Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ percé par la lance.
1704 : Le 11 mars, alors qu'il a été approuvé par le Père Billet, provincial de Lyon, et déjà plusieurs fois réédité, le livre du Père Croiset La Dévotion au Sacré Cœur de Jésus-Christ est mis à l'index. Les Pères de la Compagnie consultés à Rome, tout en louant sa valeur intrinsèque, l'avaient déclaré inopportun. Le Père de Galliffet parlera de "quelques manquements de formalités". Ce décret ne sera annulé que le 24 août 1887.
Publication à Liège de Le triomphe du tout aimable et souverainement adorable Cœur de N.-S. J.-C. dans l'âme du fidèle, qui s'applique à le dédommager de tous les outrages qu'il soufre au très saint Sacrement de l'Autel depuis tant de siècles de Joseph Hubert de Saint-Nicolas, ex-provincial des Carmes déchaussés.
Mort de Bossuet.
1705 : Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) fonde la Compagnie de Marie, dite des Pères monfortains, missionnaires. Il en existe aujourd'hui plus de 1.000 membres établis dans 35 pays.
1707 : Les Visitandines renouvellent auprès de Rome leur demande de 1697 en vue d'obtenir la Messe propre pour la célébration de la fête du Sacré-Cœur. Le 4 juin, Clément XI les invite à la patience, louant leur zèle et leur piété.
Le 12 octobre, le P. Romain Hinderer S.J. (1668-1744) aborde en Chine, où il élève la première église dédiée au Sacré-Cœur (à Hang-Tcheou, province du Tché Kiang). Il érigera également à Macao une Confrérie du Sacré-Cœur en 1709, et sera connu comme le plus ardent apôtre de cette dévotion en Extrême-Orient au XVIII° siècle. Un ouvrage paraîtra d'ailleurs à Fribourg-en-Brigau en 1760 portant pour titre : De la sainteté de Marguerite-Marie Alacoque, du P. de la Colombière et du P. Romain Hinderer, les principaux promoteurs connus jusqu'à ce jour de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus.
1708 : Une chapelle est dédiée au Sacré-Cœur dans une église de Vyle et Tharoul, province de Liège, arrondissement de Huy en Belgique.
1709 : La France connaît un hiver exceptionnellement froid. La température descend à 40°. On comptera jusqu'à 30.000 morts en janvier à Paris.
1711 : Le 14 avril, mort du Grand Dauphin, fils de Louis XIV. C'est le duc de Bourgogne qui devient Dauphin de France.
Le 10 juin, le R.P. Simon Gourdan, chanoine de Saint-Victor (1646-1729) fait l'éloge de la dévotion au Sacré-Cœur dans une lettre qu'il adresse au cardinal de Noailles, archevêque de Paris, qui lui avait demandé son avis sur ce sujet. Lui-même avait été sollicité par sa tante, la T.H. Mère Marie-Christine de Noailles, Supérieure du monastère de la Visitation d'Aurillac, qui le priait de ne pas refuser son approbation à cette dévotion. Le R.P. Gourdan consacrera un livre entier à cette dévotion en 1722, dévotion qu'il déclare "la plus ancienne, la plus autorisée, la plus parfaite, la plus utile, la plus agréable de toutes les dévotions". Voici le texte intégral de la lettre adressée au cardinal de Noailles :
« Eloge de la Dévotion au Sacré-Cœur de notre adorable Sauveur Jésus-Christ. »
« Il me paraît et j'estime que c'est la plus sainte, la plus ancienne, la plus autorisée, la plus parfaite, la plus utile, la plus agréable à Notre-Seigneur, et même la plus nécessaire de toutes les Dévotions.
« Je dis que c'est la plus sainte, puisqu'elle adore en Jésus-Christ ce qu'il y a de plus dégagé des sens, de plus uni à son Père, de plus sanctifiant pour l'Eglise, c'est-à-dire, sa religion, son amour, ses adorations, ses actions de grâces, ses anéantissements, ses oblations, ses prières et tous les mouvements sacrés de sa charité et de son amour qui se sont formés dans son Cœur dès le moment de son Incarnation, et qui subsisteront dans tous les siècles.
« Je dis que c'est la plus ancienne de l'Eglise, puisqu'elle rend hommage au vœu que fit Notre-Seigneur entrant au monde, d'abroger les anciens sacrifices, pour se substituer à leur place selon les ordres de son Père, comme une victime d'holocauste, et qu'il l'assure qu'il porte sa loi gravée au milieu de son Cœur, selon la parole du Psaume et de l'apôtre saint Paul aux Hébreux (Ps. XXXIX, 9. Hébr. X).
« Je dis que c'est la plus autorisée puisque toutes les pages de l'Ecriture ne nous parlent que de réformer notre cœur par un changement de mœurs, de le briser par la pénitence, l'enflammer par l'ardeur de mon amour, l'assujettir à Dieu par la pratique de ses commandements, le nourrir de sa loi par des méditations continuelles, le préparer à la prière par la fuite des occasions du péché, l'affermir dans le bien par la vigilance sur soi-même, et, en un mot, le remplir de sagesse, de prudence, de patience et de toutes les vertus. Toutes les pages, dis-je, de l'Écriture ne peuvent avoir leur accomplissement qu'en proposant pour modèle un cœur qui ait éminemment toutes ces rares qualités qui ne peut être autre que celui de Jésus-Christ.
« Je dis que c'est la plus parfaite de toutes les Dévotions, puisqu'elle est la source de toutes les autres et que le Sacré-Cœur de Jésus-Christ est un trésor immense où la sainte Vierge et tous les Saints ont puisé leurs grâces, leur vie, leur sainteté, leurs vertus qui, comme des ruisseaux d'une fécondité admirable, ont inondé toute l'Église et fondé une infinité de Dévotions.
« Je dis que c'est la plus utile, puisque Jésus-Christ nous enseignant d'avoir un cœur pur, d'être doux et humble de cœur comme lui, d'avoir un cœur intelligent, capable de ses vérités et non appesanti vers les choses de la terre et d'aimer Dieu de tout notre cœur, d'éviter la dureté et l'insensibilité du cœur, de faire fructifier dans notre cœur la divine parole et cent autres expressions semblables, nous ne pouvons parvenir et rendre notre cœur susceptible de ces grâces, si son Cœur, qui a été le sanctuaire de la parfaite charité et la fournaise du pur amour, ne le forme en nous ; ce qui demande notre application vers lui, nos devoirs, nos respects, notre culte, notre soumission, nos sacrifices et nos dévotions fréquentes et ferventes.
« Je dis que c'est la Dévotion la plus agréable à Notre-Seigneur, puisque c'est alors qu'on l'adore en esprit et en vérité et que ce sont de telles adorations qui lui plaisent et à son Père céleste, selon sa parole en saint Jean (IV. 23).
« Je dis que c'est même la plus nécessaire, puisqu'elle tend à nous lier à Jésus-Christ comme membres, à nous animer de sa Vie et de son Esprit, et à nous rendre un même corps avec Lui, rempli de ses sentiments, régi par ses mouvements, participant à ses dispositions et à ses inclinations, et n'ayant avec lui qu'un même cœur et une même âme par la communication de ses divines influences.
« Il s'ensuit que cette Dévotion ayant de si beaux caractères, elle ne peut être trop conseillée, trop louée, trop approuvée ; il est vrai qu'on peut en particulier adorer le Cœur de notre Sauveur et faire de saintes Dévotions à son honneur ; mais il y a beaucoup plus de bénédictions à le faire en corps et en société par une sainte Confrérie ; on le fait avec plus de ferveur, plus d'onction, plus de persévérance ; on s'anime, on s'excite les uns les autres, l'ardeur de l'un réveille la langueur de l'autre, on se communique différentes pratiques, on fait une sainte ligue contre le Démon, on attire de lâches mondains, des indifférents, et on les fait embrasser avec amour et componction cette Dévotion à laquelle ils ne pensaient pas ni même à leur salut ; ce que l'on fait seul est comme mort, et sujet à des interruptions, mais ce qui se fait en corps la grâce y est plus abondante et plus opérante, le cœur y est plus vif et la piété plus animée. J'ajoute que cette Dévotion n'est pas nouvelle, saint Paul veut que nous ayons les mêmes sentiments que Jésus-Christ ; il veut que nous chantions dans le cœur des Hymnes et des Psaumes, que nous ayons la Loi de Dieu écrite dans nos cœurs, que nous ne soyons point extérieurs, il a mis l'homme caché dans nos cœurs, absconditus cordis homo, que nous priions dans une parfaite simplicité de cœur, que nous conservions dans nos cœurs le gage de l'Esprit-Saint, que l'on croie du cœur, qu'il se fasse une conversion dans nos cœurs ; et toutes ces paroles nous rappellent directement au Sacré Cœur de Jésus-Christ, sans lequel nous ne pouvons rien, et hors duquel nos cœurs seront dans une stérilité entière et une malignité surprenante.
« Le Cœur de Jésus-Christ est la source de tous les mystères ; s'y lier, c'est les adorer tous et en puiser des grâces ; et c'est dans cette Dévotion, accomplir toutes les autres, puisque la charité en a été le principe.
« On peut dire que cette Dévotion a été celle des Prophètes puisqu'ils ont prédit que Dieu répandrait dans les derniers temps, un Esprit et un Cœur nouveau, qui est sans doute celui de Jésus-Christ ;
« Celle des Apôtres et des premiers Fidèles, puisqu'ils n'avaient qu'un cœur en Jésus-Christ ;
« Celle des Martyrs, puisqu'ils donnaient leur vie, animée de la charité de Jésus-Christ, et possédant sa paix dans le fond de leur cœur ;
« Celle des saints Docteurs, puisqu'on ferait des volumes entiers de ce qu'ils ont écrit du Cœur de Jésus-Christ, et de sa charité pour les hommes ;
« Celle des Contemplatifs et des vrais Mystiques qui ont été excellemment appliqués au Cœur adorable de Jésus-Christ et à sa vie intérieure, cachés et retirés dans son Cœur ;
« Celle des vrais Pénitents, qui ont trouvé dans le Cœur blessé de Jésus-Christ sur la croix, le remède à leurs maux, l'extinction de leurs passions, la nourriture de leur amour, une source de larmes et une tendre compassion, les sentiments les plus vifs de la pénitence et la plus parfaite douleur de leurs péchés.
« Quelle source de grâces n'est donc point pour nous cet adorable Cœur ! Quel trésor immense de tous biens ! Quel fort inaccessible à tous les ennemis de notre salut !
« Qu'il soit donc notre refuge assuré dans tous les périls qui nous environnent, la consolation de notre exil, notre Paradis anticipé, le centre de nos désirs et le repos parfait de notre cœur. Prions le Père éternel de nous faire entrer, par sa miséricorde, dans ce sanctuaire de grâces où il prend toutes ses complaisances et ses délices.
« Renfermons-nous dans ce temple de la Divinité pour y contempler, adorer et imiter le sacrifice parfait que Jésus-Christ, notre chef et notre auguste Médiateur, y offre à la souveraine Majesté, et pour y participer à toutes les saintes dispositions, à tout l'amour et à toute la religion de ce Cœur sacré et adorable. Qu'il soit loué, adoré, aimé et béni dans tous les siècles, pendant toute l'éternité.
« Que tout esprit le loue, et que tous les cœurs l'aiment pardessus toutes choses. »
Lettre du R.P. Simon Gourdan au cardinal de Noailles, in Regnabit n°1 8° année, juin 1928.
Le 2 octobre, Madeleine Remuzat est admise comme postulante au premier monastère de la Visitation de Marseille.
1712 : Le 14 janvier, Madeleine Remuzat devient novice du premier monastère de la Visitation de Marseille. Elle y prend le nom d'Anne-Madeleine.
Les 12 et 19 février, mort de la duchesse puis du duc de Bourgogne. Leur fils aîné, le duc de Bretagne, meurt à son tour le 8 mars suivant.
Publication du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, de Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716).
Publication à Bar-le-Duc d'une Instruction pour la dévotion au Sacré-Cœur.
1713 : Le 23 janvier, Anne-Madeleine Remuzat prononce ses vœux définitifs au premier monastère de la Visitation de Marseille.
Mgr Jean-Joseph Languet, vicaire général d'Autun et supérieur du monastère (de 1711 à 1715), autorise la Visitation de Paray-le-Monial à célébrer la Messe du Sacré-Cœur, dans l'église du couvent, le vendredi après l'Octave de la Fête du Saint-Sacrement.
1714 : La Sœur Angélique Desmoulins, religieuse du monastère de la Visitation de Paray-le-Monial, est guérie miraculeusement par l'intervention de Marguerite-Marie. Mgr Jean-Joseph Languet reconnaît que la guérison ne peut être attribuée à des forces naturelles et dès l'année suivante, l'évêque d'Autun Mgr Charles François d'Hallencourt ayant prescrit une enquête sur les vertus et miracles de la religieuse, cette guérison fait l'objet d'un procès canonique : du 1° août au 10 septembre 1715, trente et un témoins répondront à soixante-quatre questions, et de ces interrogatoires ressortira l'éminente sainteté de la Visitandine de Paray. Ce sont toutefois trois autres miracles qui seront retenus dans le décret du 24 avril 1864, préalable au décret de béatification du 19 août (guérison des Sœurs Marie-Thérèse Petit, Marie de Sales-Charault, et Marie-Aloïsia Bollani, toutes trois religieuses Visitandines).
1715-1774 : Règne de Louis XV (1710-1774), fils de Louis de Bourgogne (†1712) et de Marie-Adélaïde de Savoie, petit-fils de Louis de France, dit le Grand Dauphin (1661-1711), et arrière petit-fils de Louis XIV (régence de Philippe d'Orléans (neveu de Louis XIV) jusqu'en 1723).
1715 : Mgr François-Paul de Neuville de Villeroy, l'archevêque de Lyon, répondant à la demande des supérieures des monastères de la Visitation de la ville, approuve pour son diocèse une Messe en l'honneur du sacré Cœur de Jésus.
Publication à Paris d'Instructions, pratiques et prières pour la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, volume plusieurs fois réédité.
1716 : Mgr de Belsunce, évêque de Marseille, approuve pour son diocèse la Messe en l'honneur du sacré Cœur de Jésus, qui est célébrée pour la première fois au mois de juin.
Anne-Madeleine Remuzat est favorisée d'une vision de la Sainte Trinité. Le Christ lui confirme sa mission relative à son Cœur divin.
« Un jour, après l'office de none, j'eus un sentiment de présence de Dieu si fort que, ne pouvant le soutenir, je fus contrainte de me mettre à genoux pour adorer cette divine présence. Je fus en même temps investie de la gloire qui environne le trône de la majesté de Dieu. Cette vue m'ayant comme enlevée à moi-même, et fait perdre le sentiment, je me trouvai par cette espèce de mort extérieure disposée à recevoir avec moins d'obstacles de ma part les biens qui m'étaient destinés. Il me fut dit alors que les trois Personnes de l'adorable Trinité désiraient ardemment de contracter avec moi une union que rien au monde ne serait capable de rompre, et qu'elles me demandaient pour cela mon consentement. A ce mot d'union je sentis que tout mon être se fondait pour ainsi dire, et s'allait perdre dans cet Etre immense qui voulait se rendre mon tout. L'accablement et la confusion ne me permettant pas de parler, je consentis à tout par mon silence ; mais je le rompis enfin pour prier ces trois adorables Personnes de faire en sorte que mon indignité ne mît point obstacle aux richesses dont elle voulait me remplir. Je m'occupai ensuite à adorer les abaissements d'un Dieu dans mon âme criminelle. Les connaissances que je reçus de l'unité de ces trois Personnes adorables dans une même essence, m'abîmèrent de respect et m'anéantirent. C'étaient des connaissances si profondes et si secrètes, qu'il n'a pas été possible d'en dire quelque chose. Après avoir joui deux heures de ces sacrées communications, connaissant que ces trois Personnes adorables allaient s'éloigner, je les priai instamment de me bénir. Je n'eus pas plutôt achevé ma prière que l'adorable Personne du Père me fit connaître que la bénédiction qu'il me donnait, était qu'il ferait en sorte que je ne le perdisse jamais de vue. L'adorable Personne du Fils me fit connaître que, m'ayant choisie pour être victime de son Cœur, la bénédiction qu'il me donnait était de m'ouvrir les trésors qu'il renferme. La bénédiction que je reçus du Saint-Esprit fut de me promettre que je ferais un progrès continuel dans son amour, et que sa grâce ne serait jamais oisive en moi. Après cela, Jésus-Christ, élevant sa main adorable, me bénit avec ces paroles : Je te bénis au nom de mon Père, en mon nom et au nom du Saint-Esprit. Je répondis : Amen. Après quoi la vision disparut et, étant revenue à moi-même, je me trouvai comme une nouvelle créature. »
Anne-Madeleine Remuzat, Retraite de 1716, in La Vie de la très honorée sœur Anne-Madeleine de Remuzat, sans mention d'auteur, Marseille, 1760.
1717 : Le 28 août, Clément XI érige par bref en autel privilégié l'autel consacré au sacré Cœur de Jésus au premier monastère de la Visitation de Marseille.
1718 : Après en avoir reçu l'approbation dans un bref de Clément XI en date du 30 août 1717, Anne-Madeleine Remuzat fonde l'Association de l'Adoration perpétuelle du Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A l'invitation de Mgr de Belsunce, elle en rédige elle-même les statuts qui, joints aux prières, Litanies et exercices qu'elle modifie considérablement par rapport aux documents dont elle s'inspire, sont publiés le 30 mars en un petit livret ayant pour titre Manuel de l'Adoration perpétuelle du Sacré Cœur. A la mort de la fondatrice, l'Association comptera soixante mille membres, et elle sera élevée au rang d'Archiconfrérie par Léon XIII le 31 août 1880.
« Comme c'est dans ce saint Ordre que Dieu a choisi la première personne par laquelle il a voulu manifester ses desseins sur le culte de son divin Cœur, et que tout l'Ordre même a été établi pour honorer plus particulièrement, en ces derniers temps, le Cœur adorable de Jésus-Christ, ainsi que Dieu le fit connaître à son saint Fondateur, et à quelques-unes des premières filles de la Visitation, on ne peut plus douter que l'Association qui vient de se former dans l'église du premier monastère de cette ville ne soit très agréable à Dieu, et ne procure de très grands avantages aux associés. […]
Art. I : L'objet particulier et plus propre de cette dévotion, c'est le Cœur adorable de Jésus-Christ qui l'a porté à se livrer pour nous à la mort et à se donner à nous dans le très saint Sacrement de l'autel, sans que l'ingratitude, les irrévérences et les outrages qu'il devait y recevoir, et qui lui étaient parfaitement connus, aient pu éteindre ou ralentir les flammes de la charité dont son Cœur est embrasé pour les hommes.
Art. II : La fin qu'on se propose dans cette Association, c'est : I° de remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ de l'amour et des sentiments de tendresse qu'il a actuellement pour nous dans l'adorable Eucharistie ; 2° de réparer autant qu'il est en notre pouvoir les indignités et les outrages auxquels l'amour l'a exposé durant tout le cours de sa vie mortelle, et auxquels le même amour l'expose encore tous les jours sur nos autels. […]
Après avoir donné une idée générale des devoirs des associés au sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, on a cru qu'il était à propos de marquer en particulier quelques-uns des exercices ou pratiques de piété qui paraissent plus conformes à l'esprit de cette Association et plus propres au dessein qu'on s'y propose, de reconnaître l'amour que Jésus-Christ nous témoigne dans le Saint-Sacrement, et de réparer les outrages qu'il y reçoit.
Ces exercices consistent principalement en une amende honorable et un Acte de consécration au Cœur adorable du Sauveur, en l'Office, les Litanies, la petite Couronne composée en son honneur, et en quelques autres demandes et prières parmi lesquelles les associés choisiront celles qui leur conviennent, supposé que leur propre cœur ne leur en fournisse pas de plus utiles, chacun devant être persuadé que la plus excellente prière est celle qui part du cœur et qui nous attache davantage à Dieu, de quelque manière qu'elle soit conçue. »
Anne-Madeleine Remuzat, Extrait de la Préface, 2 premiers articles des statuts, et complément inclus dans le Manuel de l'Association.
On compte à cette époque environ 200 Confréries érigées en l'honneur du Sacré-Cœur, réparties essentiellement en France et en Belgique. Clément XI a signé 214 Brefs en leur faveur.
Le 3 décembre, Mgr François de Villeroy, archevêque de Lyon, établit par mandement la fête du Cœur de Jésus, avec Messe et Office propres, dans toute l'étendue de son diocèse.
1719 : La première église du Sacré-Cœur d'Extrême-Orient voit le jour grâce au P. Romain Hinderer S.J. (1668-1744), originaire de Reiningue en Alsace, apôtre du Sacré-Cœur dans l'Eglise de Chine.
1720 : Alors que la peste sévit à Marseille, et sous l'impulsion d'Anne-Madeleine Remusat, de petites images du Sacré-Cœur - appelées sauvegardes - sont répandues par milliers : il s'agit de petites pièces de drap rouge, sur lesquelles le divin Cœur est imprimé en noir sur une pièce d'étoffe blanche cousue sur la première. Il y est parfois écrit : O Cœur de Jésus, abîme d'amour et de miséricorde, je mets en vous toute ma confiance et j'espère tout de votre bonté.
Le 22 octobre, l’évêque Mgr de Belsunce publie une ordonnance instituant dans son diocèse la fête du Cœur de Jésus.
« Prosternés à ses pieds, avec le sac et la cendre, implorons sa miséricorde, et tâchons, par notre sincère et prompt repentir, de toucher de compassion pour nous son Cœur adorable, qui a aimé les hommes, même ingrats et pécheurs, jusqu'à s'épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour. Si nous nous adressons à lui avec des cœurs véritablement contrits et humiliés, attendons avec confiance que nous n'en serons pas rejetés, et que dans ce Dieu fait homme, source inépuisable de toutes les grâces, nous trouverons un remède prompt et assuré à tous nos maux et la fin de nos malheurs. […]
En vue d'apaiser la colère de Dieu et de faire cesser le redoutable fléau qui désole un troupeau qui nous fut toujours si cher, pour faire honorer Jésus-Christ dans le très saint Sacrement, pour réparer les outrages qui lui ont été faits par les indignes et sacrilèges communions, et les irrévérences qu'il souffre dans ce mystère de son amour pour les hommes, pour le faire aimer de tous les fidèles commis à nos soins, enfin, en réparation de tous les crimes qui ont attiré sur nous la vengeance du Ciel, nous avons établi et établissons dans tout notre diocèse, la fête du Sacré Cœur de Jésus, qui sera désormais célébrée tous les ans, le vendredi qui suit immédiatement l'octave du très saint Sacrement, jour auquel elle est déjà fixée dans plusieurs diocèses de ce royaume, et nous en faisons une fête d'obligation, que nous voulons être fêtée dans tout notre diocèse, permettant que ce jour-là le très saint Sacrement soit exposé tous les ans dans toutes les églises des paroisses de cette ville et du reste de notre diocèse, dans toutes celles des quartiers du terroir de Marseille, comme aussi dans toutes celles des communautés séculières et régulières de notre diocèse. […]
Nous enjoignons à tous les curés et vicaires de notre diocèse de faire connaître à leurs paroissiens de quelle utilité est pour eux une dévotion aussi solide et aussi agréable à Dieu que l'est celle du Sacré Cœur et du saint Nom de Jésus ; c'est honorer la personne elle-même de l'adorable Sauveur de nos âmes, auquel nous consacrons en ce jour notre diocèse d'une manière particulière, exhortant chaque fidèle en particulier de consacrer incessamment son cœur et de le dévouer entièrement à celui de Jésus. […]
Heureux et mille fois heureux les peuples qui, par leur éloignement pour les nouveautés profanes, par leur attachement inviolable à l'ancienne et sainte doctrine, par leur humble et parfaite soumission à toutes les décisions de l'Eglise, épouse de Jésus-Christ, par la régularité et la sainteté de leur vie, seront trouvés selon le Cœur de Jésus et dont les noms seront écrits dans ce Cœur adorable. Il sera leur guide dans les routes dangereuses de ce monde, leur consolation dans leur misère, leur asile dans les persécutions, leur défenseur contre les portes de l'enfer, et leurs noms ne seront jamais effacés du livre de vie. »
Mgr de Belsunce, Extraits de l'ordonnance du 22 octobre 1720.
Le 1° novembre, il préside une procession dans la ville, et après avoir lu un acte d'amende honorable, consacre Marseille et l'ensemble du diocèse au Sacré-Cœur. Les Echevins de la ville refusent de s'associer à la célébration. Il s'agit de la première consécration d'un diocèse au Sacré Cœur de Jésus.
« O Cœur adorable du Sauveur de tous les hommes, je Vous consacre de nouveau, dans cette solennité, cette ville et ce diocèse, mon cœur et celui de tous mes diocésains. Nous dévouons, tous ensemble, entièrement, sans réserve et sans retour, nos cœurs à votre divin service. Venez, ô Dieu de bonté, venez en prendre possession ; venez y régner Vous seul ; venez en bannir l'amour profane et criminel des créatures et des biens périssables. Chassez-en tout ce qui Vous déplaît ; purifiez-en les intentions, ornez-les de toutes les vertus qui peuvent les rendre des cœurs selon le vôtre, doux, humbles et patients ; embrasez-les du feu sacré de votre amour ; qu'ils n'oublient jamais les saintes résolutions qu'ils ont formées dans ces jours de deuil et de larmes ; fortifiez leur faiblesse ; soyez leur guide, leur consolateur, leur défenseur. Que rien ne soit jamais capable de les séparer de Vous pendant la vie et surtout au moment redoutable de la mort. Qu'ils ne respirent plus que pour Vous, afin que, nos noms restant inscrits dans votre Cœur comme au livre de vie, nous Vous adorions tous, nous Vous louions, nous Vous bénissions, nous Vous aimions pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il.
1721 : Le 27 mars, Pacte d'alliance entre les Bourbons de France et d'Espagne.
De nouveaux diocèses sont consacrés au Sacré-Cœur : le 30 mai, Mgr de la Tour du Pin de Montauban, évêque de Toulon, le 2 juillet, Mgr de Vintimille du Luc, archevêque d'Aix, le 14 juillet, Mgr Forbin Janson, archevêque d'Arles, le 17 novembre, Mgr Abbaty, évêque de Carpentras, et enfin Mgr d'Hallencourt de Droménil, évêque d'Autun, suivent chacun leur tour l'exemple de Mgr de Belsunce.
Fondation en l'église paroissiale et abbatiale de Saint-Pierre de Lyon d'une Confrérie du Sacré-Cœur de Jésus, la première établie en cette ville. Elle est approuvée par un bref de Clément XII en date du 12 mai 1739.
Le 20 juin (vendredi après l'octave du Saint-Sacrement), au couvent de Paray-le-Monial, l'abbé d'Amanzé, directeur spirituel de l'hospice, bénit solennellement la chapelle du Sacré-Cœur qui vient d'être érigée dans l'église extérieure de la Visitation. Le Révérend Père Dom de La Val, bénédictin de l'étroite observance de Cluny, y célèbre la première messe. Puis, tandis qu'il transporte le Saint-Sacrement de l'église paroissiale vers la nouvelle chapelle du couvent, la ville se rassemble en procession, portant un étendard sur les deux côtés duquel se trouve l'image du Sacré-Cœur, escorté par 400 hommes d'armes.
Le Sacré-Coeur de Jésus Deux mille ans de Miséricorde Le recueil qui est reproduit dans les pages de ce dossier avait trouvé un éditeur, Téqui, en juin 2008. Une version considérablement enrichie, et actualisée jusqu'en juin 2019, est disponible à la vente chez le même éditeur depuis le 4 décembre 2019, en ligne sur son site internet ICI. Merci de faire connaître autour de vous la nouvelle version de ce travail, augmentée de plus de 200 pages par rapport à la première édition. « Les personnes qui propageront cette dévotion, auront leur nom inscrit dans mon Cœur, et il ne sera jamais effacé. » (11ème promesse du Sacré-Coeur à sainte Marguerite-Marie) |