« Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou. » Mat 5, 20-26 |
Voici ce que je proclame, ce que j'atteste, ce que je dis à voix retentissante : Qu'aucun de ceux qui ont un ennemi n'approche de la Table sainte et ne reçoive le Corps du Seigneur ; que nul qui s'approche n'ait un ennemi. Tu as un ennemi ? N'approche pas. Si tu veux le faire, alors, va d'abord te réconcilier, puis reçois le sacrement. Ce n'est pas moi qui parle ainsi : c'est le Seigneur qui le dit, lui qui a été crucifié pour nous ; pour te réconcilier à son Père, il n'a pas refusé d'être immolé ni de répandre son sang ; et toi, pour te réconcilier avec ton frère, tu ne veux même pas dire un mot et prendre l'initiative d'aller le trouver ? Ecoute ce que dit le Seigneur à propos des gens comme toi :
Si tu offres ton don à l'autel, et que là, tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre toi… il ne dit pas : Attends qu'il vienne te trouver, ou qu'il reçoive la visite d'un de tes envoyés comme réconciliateur, ou que tu lui envoies quelqu'un d'autre, mais bien que toi, en personne, tu coures à lui :
laisse ton offrande, dit-il, va d'abord te réconcilier avec ton frère. Incroyable ! Alors que Dieu ne se tient pas déshonoré de voir laissé en plan le don qu'on allait lui offrir, toi, tu t'estimerais déshonoré de faire le premier pas pour te réconcilier avec ton frère !
Saint Jean Chrysostome (v.344-407),
Homélie Au peuple d'Antioche, in H. Tardif, Ed. Ouvrières, 1962.
Si nous avions la charité accompagnée de compassion et de peine, nous ne prendrions pas garde aux défauts du prochain, selon cette parole : « La charité couvre une multitude de péchés » (1P 4,8) et encore : « La charité ne s'arrête pas au mal, elle excuse tout » (1Co 13,5.7). Si donc nous avions la charité, la charité elle-même couvrirait toute faute, et nous serions comme les saints quand ils voient les défauts des hommes. Les saints sont-ils donc aveugles pour qu'ils ne voient pas les péchés ? Mais qui déteste le péché autant que les saints ? Et pourtant, ils ne haïssent pas le pécheur, ils ne le jugent pas, ils ne le fuient pas. Au contraire, ils compatissent, l'exhortent, le consolent, le soignent comme un membre malade ; ils font tout pour le sauver... Lorsqu'une mère a un enfant handicapé, elle ne se détourne pas de lui avec horreur, elle prend plaisir à bien l'habiller et fait tout pour le rendre beau. C'est ainsi que les saints protègent toujours le pécheur et le prennent en charge pour le corriger au moment opportun, pour l'empêcher de nuire à un autre, et aussi pour progresser eux-mêmes davantage dans la charité du Christ...
Acquérons donc, nous aussi, la charité ; acquérons la miséricorde à l'égard du prochain, pour nous garder de la terrible médisance, du jugement et du mépris. Portons-nous secours les uns aux autres, comme à nos propres membres... Car « nous sommes membres les uns des autres », dit l'apôtre Paul (Rm 12,5) ; « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » (1Co 12,27)... En un mot, ayez soin, chacun selon son pouvoir, d'être unis les uns aux autres. Car plus on est uni au prochain, plus on est uni à Dieu.
Dorothée de Gaza (VIe siècle),
Instructions, IV, 76.
Ne méprise pas le pécheur, car nous sommes tous coupables. Si pour l'amour de Dieu tu t'élèves contre lui, pleure plutôt sur lui. Pourquoi le méprises-tu ? Méprise ses péchés, et prie pour lui, afin d'être pareil au Christ, qui ne s'est pas irrité contre les pécheurs mais a prié pour eux. Ne vois-tu pas comment il a pleuré sur Jérusalem ? Car nous aussi plus d'une fois sommes joués par le diable. Pourquoi mépriser celui qui comme nous a été joué par le diable qui se moque de nous tous ? Pourquoi, ô homme, mépriser le pécheur ? Est-ce parce qu'il n'est pas juste comme toi ? Mais où est ta justice, dès lors que tu n'as pas l'amour ? Pourquoi n'as-tu pas pleuré sur lui ? Au contraire tu le persécutes. C'est par ignorance que certains s'irritent, eux qui croient avoir le discernement des oeuvres des pécheurs.
Isaac le Syrien (VIIe siècle),
Discours ascétiques, 1ère série, n° 60.
Jette ton manteau sur l'homme pécheur pour l'en recouvrir.
Isaac le Syrien (VIIe siècle),
Homélie 89.
N'essaie pas de distinguer celui qui est digne de celui qui ne l'est pas. Que tous les hommes soient égaux à tes yeux pour les aimer et les servir. Ainsi tu pourras les amener tous au bien. Le Seigneur n'a-t-il pas partagé la table des publicains et des femmes de mauvaise vie, sans éloigner de lui les indignes ? Ainsi tu accorderas les mêmes bienfaits, les mêmes honneurs à l'infidèle, à l'assassin, d'autant plus que lui aussi est un frère pour toi, puisqu'il participe à l'unique nature humaine. Voici, mon fils, un commandement que je te donne : que la miséricorde l'emporte toujours dans ta balance, jusqu'au moment où tu sentiras en toi la miséricorde que Dieu éprouve envers le monde.
Quand l'homme reconnaît-il que son coeur a atteint la pureté ? Lorsqu'il considère tous les hommes comme bons sans qu'aucun lui apparaisse impur et souillé. Alors en vérité il est pur de coeur (Mt 5,8)...
Qu'est-ce que cette pureté ? En peu de mots, c'est la miséricorde du coeur à l'égard de l'univers entier. Et qu'est-ce que la miséricorde du coeur ? C'est la flamme qui l'embrase pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour tout être créé. Quand il songe à eux ou quand il les regarde, l'homme sent ses yeux s'emplir des larmes d'une profonde, d'une intense pitié qui lui étreint le coeur et le rend incapable de tolérer, d'entendre, de voir le moindre tort ou la moindre affliction endurée par une créature. C'est pourquoi la prière accompagnée de larmes s'étend à toute heure aussi bien sur les êtres dépourvus de parole que sur les ennemis de la vérité, ou sur ceux qui lui nuisent, pour qu'ils soient gardés et purifiés. Une compassion immense et sans mesure naît dans le coeur de l'homme, à l'image de Dieu.
Isaac le Syrien (VIIe siècle),
Discours ascétiques, 1ère série, n° 81, trad. AELF ; cf trad. Touraille, DDB 1981, p. 395.
Si tu veux cheminer correctement, avec discrétion et avec fruit sur la route de la vraie religion, tu dois être austère et rigide avec toi-même, mais paraître toujours joyeux et ouvert avec les autres, t'efforçant en ton coeur de cheminer sur les sommets de la droiture, tout en sachant t'abaisser avec bonté vers les faibles. Bref, devant le jugement de ta conscience, tu dois modérer les rigueurs de la justice, de telle sorte que tu ne sois pas dur pour les pécheurs, mais accessible au pardon et indulgent…
Estime ton péché dangereux et mortel ; celui des autres, nomme-le fragilité de la condition humaine. La faute que tu estimes chez toi digne d’une correction sévère, pense que, chez les autres, elle ne mérite qu’un petit coup de baguette. Ne sois pas plus juste que le juste : crains de commettre le péché, mais n'hésite pas à pardonner au pécheur. La vraie justice n'est pas celle qui précipite les âmes des frères dans le piège du désespoir... Il est bien dangereux le feu qui, en brûlant des buissons, menace d'embraser la maison elle-même avec l'ardeur de ses flammes. Non, celui qui épluche volontiers les défauts des autres n'évitera pas le péché, car, même s'il est mû par le zèle de la justice, tôt ou tard, il se laissera aller au dénigrement.
Evidemment, si notre vie ne nous paraissait pas si brillante, celle des autres ne nous semblerait pas si laide. Et si, comme il le faudrait, nous étions pour nous des juges sévères, les fautes d'autrui ne trouveraient pas en nous des censeurs aussi rigoureux.
Saint Pierre Damien (1007-1072), Opuscule 51 ; PL 145, 749s (trad. Migne 1992, p. 125 rev.)
Nous devons nous considérer nous-mêmes comme les pires coupables, pardonner au prochain toute transgression et haïr seulement le démon qui l'a tenté. Il peut nous sembler parfois que l'autre fait mal, tandis qu'en réalité, à cause de son intention qui est bonne, il fait bien. La porte du repentir est ouverte à tous, et on ne sait pas qui y entrera le premier – toi qui juges, ou celui qui est jugé par toi. […] Juge-toi toi-même, et tu cesseras de juger les autres.
Saint Seraphim de Sarov (1759-1833), Irina Gorainoff, Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale n°11, 1976.
Le Christ nous demande donc deux choses : condamner nos péchés, pardonner ceux des autres, faire la première chose à cause de la seconde, qui sera alors plus facile, car celui qui pense à ses péchés sera moins sévère pour son compagnon de misère. Et pardonner non seulement de bouche, mais « du fond du coeur », pour ne pas tourner contre nous-mêmes le fer dont nous croyons percer les autres. Quel mal peut te faire ton ennemi, qui soit comparable à celui que tu te fais toi-même ?… Si tu te laisses aller à l'indignation et à la colère, tu seras blessé non par l'injure qu'il t'a faite, mais par le ressentiment que tu en as.
Ne dis donc pas : « Il m'a outragé, il m'a calomnié, il m'a fait quantité de misères. » Plus tu dis qu'il t'a fait du mal, plus tu montres qu'il t'a fait du bien, puisqu'il t'a donné occasion de te purifier de tes péchés. Ainsi, plus il t'offense, plus il te met en état d'obtenir de Dieu le pardon de tes fautes. Car si nous le voulons, personne ne pourra nous nuire ; même nos ennemis nous rendent ainsi un grand service… Considère donc combien tu retires d'avantages d'une injure soufferte humblement et avec douceur.
Saint Jean Chrysostome (v.345-407),
Homélies sur saint Matthieu, n°61 (trad. Véricel, L’Evangile commenté).
L'Eglise n'existe pas pour que nous restions divisés en y venant, mais bien pour que nos divisions y soient éteintes ; c'est le sens de l'assemblée. Si c'est pour l'eucharistie que nous venons, ne posons donc aucun acte qui contredise l’eucharistie, ne faisons pas de peine à notre frère. Vous venez rendre grâce pour les bienfaits reçus : ne vous séparez pas de votre prochain.
C’est à tous sans distinction que le Christ offre son corps en disant : « Prenez et mangez en tous ». Pourquoi n’admettez-vous pas tous à votre propre table ?… Vous faites mémoire du Christ, et vous dédaignez le pauvre ?… Vous prenez part à ce repas divin ; vous devez être le plus compatissant des hommes. Vous avez bu le sang du Seigneur et vous ne reconnaissez pas votre frère ? Même si vous l’avez méconnu jusque-là, vous devez le reconnaître à cette table. Il nous faut tous être dans l'Église comme dans une commune maison : nous ne formons qu'un seul corps Nous n'avons qu'un même baptême, une même table, une même source, et aussi un seul Père. (cf Ep 4,5 ;1Co 10,17)
Saint Jean Chrysostome (v.345-407),
Homélies sur la 1° lettre aux Corinthiens, n°27 (trad. AELF).