Livres anciens - Beaux textes




Saint Jean de la Croix (1542-1591) : Le discernement


Introduction

Malgré l’austérité et la difficulté de ses écrits, saint Jean de la Croix, docteur de la vie spirituelle, est un guide sûr dans le discernement des réalités surnaturelles. Ecoutons Pie XI vanter ses mérites : « Là [au couvent du Calvaire] comme ailleurs, en quelque maison que ses fonctions ultérieures le contraignissent de résider, il composa de nouveaux écrits que l'on dirait inspirés d'en haut, tant il y témoigne de clairvoyance dans l'étude des charismes divins, ces jalons de la voie parfaite qu'il propose aux âmes. Quelque ardues, quelque voilées de mystère que puissent paraître La Montée au Carmel, La nuit obscure, La vive flamme d'amour, y compris plusieurs autres de ses œuvres, ainsi que ses Lettres, elles révèlent néanmoins une spiritualité si substantielle et une si excellente méthode d'adaptation à l’intelligence du lecteur, que leur ensemble mérite d'être regardé comme le code et le guide de l'âme fidèle en marche vers une haute perfection de la vie. La bulle de canonisation [27 décembre 1726] affirme donc avec raison que Jean de la Croix écrivit des livres sur la théologie mystique remplis d'une sagesse toute céleste : jugement par lui-même fort appréciable, mais dont le verdict presque unanime de la postérité a encore accentué la valeur intrinsèque. Après la mort de Jean, survenue en l'an de grâce 1591, son autorité dans le domaine mystique progressa si bien avec le temps que, depuis lors, les auteurs écrivant sur cette science sacrée, voire de saints personnages, n'ont jamais cessé ni de le reconnaître expérimentalement pour un maître en matière de sainteté et de piété, ni de puiser en sa doctrine et ses écrits, comme à une source très pure du sentiment chrétien et de l'esprit de l'Eglise, les principes de leurs traités de spiritualité. » (Lettre apostolique Die vicesima septima du 24 août 1926 proclamant saint Jean de la Croix Docteur de l’Eglise universelle).
En notre époque de confusion et de recherche effrénée de sensationnel, il nous semble bon de reprendre La Montée du Carmel (livre 2, chapitre 21, n° 4-5 et 7-12 : traduction des Œuvres complètes par Mère Marie du Saint-Sacrement, c.d., édition établie par Dominique Poirot, c.d., éditions du Cerf, 1990, pages 727-732).

Abbé Marc-Antoine DOR


A vrai dire, je regarde comme bien plus funeste de chercher à apprendre quelque chose par voie surnaturelle que de vouloir des goûts et des consolations sensibles. Je ne vois même pas comment peut s'exempter de péché, au moins véniel, une âme qui prétend à ces connaissances surnaturelles, si bonnes que soient d'ailleurs ses intentions et si avancée qu'elle puisse être dans la perfection. J'en dis autant de ceux qui conseilleraient semblable hardiesse ou y donneraient leur approbation. D'ailleurs il ne saurait y avoir de nécessité qui motive ce procédé. La raison naturelle, la loi et la doctrine évangéliques suffisent parfaitement pour se gouverner. Il n'est point de difficulté qui ne puisse se dénouer par ces moyens à la satisfaction de Dieu et à l'avantage de l'âme.

Nous devons même tellement nous attacher à la raison et à la doctrine évangélique que s'il nous arrivait, malgré nous ou de notre plein gré, de recevoir quelque communication surnaturelle, nous ne devrions en admettre que ce qui se trouverait parfaitement conforme à l'une et à l'autre, et en ce cas l'admettre non parce que c'est une révélation, mais parce que c'est une chose raisonnable, en laissant de côté ce qui est purement révélation. Même alors, il faudrait examiner de beaucoup plus près ce parti raisonnable que si la révélation n'était pas intervenue. La raison en est que le démon a coutume d'annoncer beaucoup de choses futures, en apparence très véritables et très conformes à la raison, en vue de nous tromper.

D’où il ressort avec évidence que dans tous nos besoins, dans toutes nos peines, dans toutes nos difficultés, nous n'avons pas de meilleure et plus sûre ressource que la prière et une ferme confiance que Dieu nous viendra en aide par les moyens qu'il lui plaira de choisir. C'est la Sainte Ecriture qui nous en avertit. Nous y lisons que le roi Josaphat, profondément affligé, environné d'une foule d'ennemis, se mit en prière et dit à Dieu : Cum ignoramus quod facere debeamus, hoc solum habemus residui, ut oculos nostros dirigamus ad te (2 Ch 20,12).

Comme s’il avait dit : Etant à bout de ressources et ne sachant que faire, il ne nous reste qu'à lever les yeux vers toi, afin que tu disposes de nous suivant ton bon plaisir. (...)

Je me bornerai donc à répéter qu'il est dangereux, et plus que je ne saurais le dire, de traiter avec Dieu par des voies semblables [les voies surnaturelles]. Celui qui les affectionne ne manquera pas de commettre des erreurs graves et encourra fréquemment des déceptions étranges. Il suffira qu'il les ait pratiquées, pour m'entendre par expérience.

Au reste, outre la difficulté qu'on rencontre à tomber juste dans l'interprétation des paroles et des visions qui ont Dieu pour auteur, il y a un autre inconvénient. C'est que d'ordinaire beaucoup d'autres paroles et d'autres visions s'y entremêlent, qui proviennent du démon. En effet, dans ses relations avec l'âme, il se sert de voies tout à fait analogues à celles que Dieu tient avec nous ; il nous présente des choses qui ont une analogie frappante avec les communications de Dieu, afin de se glisser à leur faveur jusqu'à nous, comme le loup vêtu d'une peau de brebis se glisse parmi les moutons (Mt 7, 15). En un mot, la distinction est presque impossible à faire. Comme il annonce des choses très vraisemblables, conformes à la raison et qui se réalisent exactement, on peut s'y méprendre avec la dernière facilité, car il nous semble que des annonces concernant l'avenir qui se vérifient de la sorte ne peuvent venir que de Dieu. (...)

Le seul moyen d'échapper à tant de pièges est de fuir toutes les révélations, visions et paroles surnaturelles.


Saint Jean de la Croix, extrait de La Montée du Carmel, livre 2, chapitre 21, n° 4-5 et 7-12 (traduction des Œuvres complètes par Mère Marie du Saint-Sacrement, c.d., édition établie par Dominique Poirot, c.d., éditions du Cerf, 1990, pages 727-732).

Extrait des Bulletins n° 135 & 136 de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, à Lyon (bulletins mensuels édités par les prêtres de la Maison Sainte-Blandine).


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