Angèle de Foligno (v.1248-1309) : L'humilité
Vaine est la prière sans l'humilité ; après la prière, l'humilité est le premier besoin de l'homme. Enfants bénis du Seigneur, regardez dans le Christ crucifié le type de l'humilité, et que la forme de toute perfection se grave en vous. Voyez sa route, voyez sa doctrine ; elle n'est pas appuyée sur de vaines paroles, mais fondée sur des œuvres et confirmée par des miracles. De toute la force de votre âme suivez Celui qui, étant dans le sein du Père, s'est anéanti, a pris le rôle de serviteur, s'est humilié jusqu'à la mort, et a obéi jusqu'à la croix.
Il a posé en lui le type suprême de l'humilité ; c'est là qu'il a mis son cœur, et il nous a demandé d'attacher sur lui nos regards, quand il a dit : "Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur."
O mes enfants, regardez, voyez l'importance, la nécessité de cette chose ; voyez sa racine, voyez ses fondements. Par une profonde et savoureuse contemplation, descendez dans cet abîme, et jetez vos regards vers cette sublimité. Ecoutez bien. Il ne dit pas : "Apprenez l'humilité des apôtres ; apprenez-la des anges." Non. Il dit : "Apprenez-la de moi. Ma majesté seule est assez haute pour que mon humilité soit au fond de l'abîme."
Il ne dit pas : "Apprenez de moi à jeûner", malgré l'exemple des quarante jours et des quarante nuits. Il ne dit pas : "Apprenez de moi le mépris du monde ; apprenez de moi la pauvreté", quoiqu'il ait fait et conseillé ces choses. Il ne dit pas : "Apprenez de moi comment j'ai créé le ciel." Il ne dit pas : "Apprenez de moi à faire des miracles", quoiqu'il en ait fait par sa puissance propre, et qu'il ait ordonné aux disciples d'en faire en son nom. Il ne dit jamais : "Apprenez ceci de moi." Il ne le dit que dans une occasion : "Apprenez l'humilité." En d'autres termes : "Si je ne suis pas en fait et en vérité le type de l'humilité, regardez-moi comme un menteur." Et il revient sur ce sujet d'une manière étonnante, pour forcer notre attention. Après avoir lavé de ses mains, de ses mains à lui, les pieds des disciples : "Savez-vous, dit-il, ce que je viens de faire ? Si moi, Maître et Seigneur, j'ai lavé vos pieds, faites suivant ce modèle : j'ai donné l'exemple pour qu'il soit suivi. Je vous le dis en vérité, le serviteur n'est pas plus grand que le maître. Vous serez bienheureux si, sachant ces choses, vous les accomplissez."
En vérité, en vérité, le Sauveur du monde a posé la douceur et l'humilité à la base des vertus. Abstinence, jeûne, austérité, pauvreté intérieure ou extérieure, bonnes œuvres, miracles, tout n'est rien sans l'humilité du cœur. Mais toutes ces choses reprendront vie et recevront bénédiction, si l'humilité les soutient : l'humilité du cœur est la force génératrice des vertus. La tige et les branches ne procèdent que de la racine. Parce que son prix est infini, parce qu'elle est le fondement sur lequel s'élève toute perfection spirituelle, le Seigneur n'a voulu confier qu'à lui-même le soin de nous dire : "Soyez humbles." Et la Vierge Marie, parce que l'humilité est la gardienne universelle, la Vierge Marie, comme si elle eût oublié toutes les autres vertus de son âme et de son corps, n'a admiré qu'une chose en elle-même, et n'a donné qu'une raison à l'incarnation du Fils de Dieu en elle :
"Parce qu'il a regardé l'humilité de sa servante."
C'est pour cela, et non pas pour autre chose, que s'est élevé le cri des générations qui l'ont proclamée bienheureuse.
O mes fils, c'est dans la même humilité qu'il faut prendre substance et racine, comme des membres unis à la tête, par une union naturelle et vraie, si vous désirez le repos de vos âmes. O mes enfants, où trouver le repos et la paix, sinon dans Celui qui est le repos et la paix substantiels ? La condition de la paix est l'humilité. Sans l'humilité, toute vertu, toute course vers Dieu, est vraiment un néant. Cette humilité de cœur, que Dieu vous demande et vous enseigne, est une lumière merveilleuse et éclatante qui ouvre les yeux de l'âme sur le néant de l'homme et l'immensité de Dieu. Plus vous connaîtrez sa bonté immense, plus vous connaîtrez votre néant. Plus vous verrez votre néant et votre dénuement propre, plus s'élèvera dans votre âme la louange de l'Ineffable ; l'humilité contemple la bonté divine, elle fait couler de Dieu les grâces qui font fleurir les vertus.
La première d'entre elles est l'amour de Dieu et du prochain, et c'est la lumière de l'humilité qui donne naissance à l'amour. L'âme voyant son néant, et Dieu penché sur ce néant, et les entrailles de Dieu étreignant ce néant, l'âme s'enflamme, se transforme et adore. L'âme transformée aime toute créature comme Dieu aime toute créature ; car dans toute créature c'est Dieu qu'elle voit, c'est le nom de Dieu qu'elle lit. Aussi elle partage les joies et les douleurs du prochain. Les fautes des hommes n'enflent pas l'âme et ne l'inclinent pas vers le mépris ; car la lumière qui l'éclaire lui montre qu'elle est aussi coupable ou plus coupable. Si elle est innocente, elle sait qu'elle ne l'est pas par elle-même, qu'elle a été tenue par la main, fortifiée, que la tentation a été diminuée ; et, au lieu de l'enfler, les fautes des autres hommes l'aident à rentrer dans son propre abîme ; et là, voyant ses défauts à la clarté de l'abîme, elle voit qu'elle serait tombée avant tout autre dans le précipice, sans la main qui la tenait. Elle sent aussi les maux que le prochain souffre dans son corps, et compatit comme l'Apôtre : "Qui est malade, disait-il, sans que je le sois aussi ?"
Comme la Charité, la Foi, l'Espérance et toutes les vertus, selon leur nature propre et leurs propriétés particulières, reposent sur l'humilité. Il serait trop long d'expliquer en détail toutes ces filiations. L'homme qui voit la faiblesse de sa pensée, et comment le vide de Dieu est à chaque instant dans son esprit, croit ce que la foi enseigne. L'homme, voyant qu'il ne peut rien par lui ni par personne, place en Dieu toute son espérance. Mais l'expérience vous parlera plus haut que moi. Je n'ai qu'un mot à vous dire : tenez-vous sur la base des choses, debout, immobiles, fermes, fixes. Celui qui est fondé en humilité a sa conversation avec les anges, très douce, très pure et pacifique. L'homme humble a une action singulière sur le cœur des hommes, sur le cœur des élus. Il est posé devant eux comme une lumière, et sa douceur les tourne comme elle veut. Parce qu'il est pacifié par la pacification interne, nul malheur ne le trouble, et il dit avec l'Apôtre : "Qui pourra me séparer de la charité de Jésus ?" O mes enfants, cherchez, cherchez jusqu'à ce que vous ayez trouvé le fondement sans lequel toute édification est une ruine. Gardez-vous de la route qui n'aboutit pas. Je vois la nécessité de cette nécessité, parce que sans l'humilité je vois de mes yeux ouverts le néant des vertus. Accomplissez le désir de l'éternel Roi, de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui vous supplie, en vous serrant, d'accepter de lui l'humilité. Approfondissez la profondeur; creusez le néant de votre abîme. Accomplissez le désir de l'éternelle Vérité, de l'éternelle Sagesse, qui a caché l'humilité aux sages du siècle comme on cache un trésor, mais qui l'a relevée et livrée aux enfants.
Je désire, je désire, j'ai faim et soif, mes enfants ; j'ai faim et soif que vous vous abîmiez dans l'abîme, que vous vous engloutissiez dans la profondeur de votre néant et dans la hauteur de l'immensité divine. Si cela est, si vous êtes solides sur la base, vos lèvres et vos âmes ne seront plus promptes aux querelles. Semblables au Crucifié, vous serez comme des sourds qui n'entendent pas, comme des muets qui ne peuvent plus remuer les lèvres. Vous serez les membres véridiques, les membres authentiques du Seigneur, du Dieu de gloire. Lisez l'Ecriture, vous verrez s'il a jamais eu la moindre complaisance pour les misérables vanités, pour les rivalités qui s'agitaient autour de lui.
Nul ne sait jusqu'où va la bienfaisance de cette humilité, qui remplit d'elle-même les âmes pacifiques, les vases d'élection où Dieu se complaît ; car la profondeur de leur paix intérieure arme les humbles contre le dehors. S'ils entendent l'injure les attaquer ou attaquer la vérité, ils ne peuvent se justifier que brièvement et sans emphase. La calomnie les trouve plutôt prêts à avouer leur ignorance et à se retirer, qu'à entrer en discussion : ils n'ont pas cette complaisance.
Quand je cherche la source du silence, je ne la trouve que dans le double abîme, où l'Immensité divine est en tête à tête avec le néant de l'homme. Et la lumière du double abîme, cette lumière, c'est l'humilité.
Humilité, lumière, silence, quelle route mène à vous, sinon la route indiquée ? C'est la prière qui vous trouve, prière ardente, pure, continuelle, prière fille des entrailles. C'est aussi le livre de vie, c'est la croix qui, en nous montrant nos crimes, nous ouvre les portes de l'humilité. O chers enfants de mon âme, je vous le demande, et je me le demande à moi-même : soyons unis dans la même sagesse, bien loin, bien loin de toute discorde. Oh ! cette paix, cette paix, cette paix qui fait l'unité entre les frères ennemis, je vous la souhaite ardemment. La force que donne cette paix, c'est l'esprit d'enfance. Quand vous le posséderez, au lieu de vous laisser enfler par la science ou par le sens naturel, des péchés d'autrui vos regards tomberont sur vos péchés, et si vous querellez quelqu'un, ce quelqu'un ce sera vous. L'esprit d'enfance ignore les questions de préséance ; il ignore la lourdeur, la pesanteur de l'homme qui dispute.
Je désire, ô mes enfants, que votre vie, même dans le silence, soit un miroir où les adversaires de la vérité contemplent son image dans l'esprit d'enfance, dans l'esprit de zèle, dans l'esprit de compassion discrète. O mes enfants, si j'apprenais que vous n'avez qu'un cœur et qu'une âme, et que l'esprit d'enfance est descendu sur vous, je serais tranquille sur votre vie et tranquille sur votre mort ; car je vois dans la lumière vraie que sans unité vous ne pouvez pas plaire à Dieu. O mes enfants, pardonnez-moi mon orgueil ; c'est donc moi qui ose engager les autres à être humbles ! C'est votre désir et votre amour qui m'ont contrainte à parler.
Bienheureuse Angèle de Foligno (v.1248-1309), extrait du "Livre des visions et instructions", Soixante-troisième chapitre, trad. Ernest Hello, Paris, Tralin, 1910 (4° éd.)