Les saintes Marie Salomé et Jacobé, saint Lazare, saint Maximin et sainte Marie Madeleine, sainte Marthe, voilà autant de noms qui nous sont familiers, et dont les premiers pas en Provence nous ont été transmis par la Tradition.
Cette Tradition, il ne venait à personne l'idée de la remettre en cause, jusqu'à l'avènement de ce siècle que l'on appelé le "siècle des lumières", celui de la raison s'élevant contre Dieu et qui allait enfanter la révolution française, siècle que l'on présente encore aujourd'hui dans nos écoles comme l'un des plus brillants de l'histoire de notre pays. Ce sont en effet les "savants" du XVII° siècle qui entreprirent de démontrer que les traditions provençales ne reposaient sur aucun fondement sérieux. Jean de Launoy publie un 1° volume en latin en 1641, tirant à boulets rouges sur la Tradition. Malheureusement, ses contradicteurs n'ont alors que peu d'arguments historiques à lui opposer. Et l'école "critique" semble l'emporter… Jusqu'en 1865, où un prêtre de Saint-Sulpice originaire de Provence, l'abbé Faillon, s'emploie à réfuter les thèses de Launoy à l'aide de sérieux documents d'archive. Il publie un énorme volume, intitulé "Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence et sur les autres apôtres de cette contrée", dans lequel il accumule les preuves qui accréditent la Tradition de cet apostolat. L'école "critique" encaisse le coup, mais ne s'avoue pas vaincue. Et c'est un ecclésiastique (et oui…), Mgr Duchesne, qui s'emploie à son tour à démonter l'ouvrage de l'érudit sulpicien, dans un livre sur l'"Histoire ecclésiastique des premiers siècles". Partant du principe qu'on ne trouve trace de cet apostolat dans aucun document antérieur au XI° siècle, il se refuse à accorder une valeur historique quelconque à cette tradition provençale. Ce "silence de mille ans" – c'est sa formule – devient le principal argument des opposants à la réalité de cet apostolat en Provence. Mais les recherches historiques se poursuivent tout au long du XX° siècle, et l'étude critique des documents anciens tend de plus en plus à accréditer la Tradition.
Voici une liste (non exhaustive) des principaux documents et monuments qui accréditent la Tradition provençale, telle que la présentait le Frère Philippe André-Vincent o.p., dans le livre remarquable qu'il consacra à la Sainte-Baume en 1950 ("La Sainte Baume", Paris, Robert Laffont, pp.137-139. Cet ouvrage a depuis été réédité par Tequi, sous le titre "Marie-Madeleine et la Sainte-Baume").
IV° siècle. – Les sarcophages de Saint-Maximin avec leur "fenestella" attestant la présence de reliques vénérées. Parmi eux, le sarcophage de marbre blanc, dont le couvercle, aujourd'hui disparu, reproduisait, au dire des anciennes chroniques, les épisodes de la vie de sainte Marie-Madeleine.
V° siècle. – a) Vestiges gallo-romains de l'oratoire de Saint-Cassien attestant la présence des moines cassianistes au V° siècle dans le massif de la Sainte-Baume (Bouisson "Archives").
b) L'inscription trouvée lors de l'invention des reliques en 1279, en même temps que celle de 716 (Le Blanc, Inscriptions, L. p.9 ; Sicard ; Escudier) : "Hic requiescit corpus Mariae Magdalenae", c'est-à-dire " Ici repose le corps de sainte Madeleine".
A noter qu'une inscription semblable, trouvée dans le sarcophage de sainte Marthe à Tarascon en 1187, indiquant en latin : "Beata Martha Jacet Hic", date de ce même V° siècle.
VI° siècle. – L'ancienne Vie de sainte Marie-Madeleine, reproduite par plusieurs hagiographe du XI° siècle (Escudier ; Sicard : op. cit. p.132-142).
VII° siècle. – La lettre de saint Didier à Aspasie (Sicard et Escudier).
VIII° siècle. – Le parchemin de 716 découvert avec les reliques en 1279 (Albanès ; Sicard ; Escudier).
IX° siècle. – a) Le martyrologe anglo-saxon "du roi Alfred" (Bollandistes ; Sicard ; Escudier).
b) Hagiographies attribuées à Raban-Maur (Bollandistes ; Sicard ; Escudier).
c) Le journalier de la Sainte-Baume (détruit en 1791, mais reproduit par de Haitze (Escudier).
X° siècle. – Le journalier de la Sainte-Baume (Escudier).
XI° siècle. – a) 1038 : charte de donation des lettres de Saint-Maximin à l'abbaye de Saint-Victor.
b) 1040 : bulle de consécration de Saint-Victor.
c) 1033 et 1044 : chartes de donation des terres de deux prieurés dits de Saint-Cassien.
d) entre 1056 et 1082: charte de Rostang de Fos, archevêque d'Aix (raconte par le détail l'arrivée en Provence des saints apôtres de la Gaule).
e) 1092 : charte de Pierre Gauffridi, archevêque d'Aix.
f) 2° moitié du XI° siècle : les deux relations de Vézelay sur l'enlèvement des reliques.
XII° siècle. – a) 1102 : bulle de Pascal II à Pierre archevêque d'Aix.
b) 1113, 1135, 1150 : bulles de Pascal II, Innocent II, Eugène II mentionnant une église à la Sainte-Baume.
c) un manuscrit de la vie de sainte Marie-Madeleine (bibliothèque de la Faculté de médecine de Montpellier, 1, 3, 127, 139).
XIII° siècle. – a) 1220 :l'inscription de la Nunziatella attestant la dévotion de pélerins italiens à la Sainte-Baume.
b) 1248 : le pèlerinage de Fra Salimbene à la Sainte-Baume (relaté par lui).
c) 1254 : le pèlerinage de Saint-Louis à Saint-Maximin et à la Sainte-Baume, relaté par Joinville.
d) 1279 : "l'invention des reliques" à Saint-Maximin, d'après les historiens et chroniqueurs contemporains (Fra Salimbene, Ptolémée de Lucques, Bernard Guy, Philippe de Cabassole).
Ajoutons à cette belle liste les indices suivants :
- Saint Irénée, vers l'an 185, parle déjà "de la foi traditionnelle des Eglises établies dans la Germanie, dans l'Ibérie et parmi les Celtes…"
- Deux textes du V° siècle attestent de la fondation du siège d'Arles au 1° siècle par saint Trophime, disciple de saint Pierre.
- Des épitaphes gravées dans la pierre, retrouvées lors de fouilles à Marseille, témoignent de la présence de tombes chrétiennes dès les 1° siècles, elles seraient contemporaines de Néron.
De nouvelles preuves voient encore le jour aujourd'hui, au gré des fouilles archéologiques effectuées dans ces lieux saints. Mais il est certain que les invasions successives subies dans le midi de la France ont effacé bien des traces : les Visigoths au V° siècle, les Francs au VI°, puis les Sarrasins au VII° qui saccagent Nîmes, Aigues-Mortes, Saint-Gilles, puis Arles, Fréjus, Marseille, Lérins… La Provence ne sera libérée qu'en 975 par Guillaume le Conquérant. Quand on sait par exemple qu'en 400 ans, de 465 à 969, la ville d'Arles fut assiégée dix fois, prise et pillée sept fois, il ne faut guère s'étonner que l'on trouve aussi peu de vestiges intacts de ces premiers temps du christianisme en Provence.
C'est curieusement sur un fait antérieur à la prédication de nos apôtres en Provence que critiques et partisans de la Tradition provençale trouvent un terrain d'entente : on lit en effet dans la 2° épître de saint Paul à Timothée que "Crescent est parti pour la Galatie" (2Ti 4,10)… Or, selon les manuscrits, on trouve la mention "Galatia" ou "Gallia", autrement dit la Gaule. Et le terrible Mgr Duchesne que je citais tout à l'heure reconnaît lui-même qu'il peut bien s'agit ici d'une visite en notre pays… Et Saint Paul lui-même n'y serait-il pas passé, lui qui annonce dans son épître aux Romains son intention de passer en Espagne (Ro 15,24-28) ? Saint Clément de Rome et saint Jérôme confirmeront ce voyage. Or les anciens avaient l'habitude de faire du cabotage, et de Rome, par Ostie, ils allaient en Espagne en longeant les côtes. Il n'est donc pas interdit de penser que saint Paul ait fait une escale sur la côte provençale, et peut-être à Marseille, qui était alors avec Narbonne l'un des grands ports méditerranéens… Renan lui-même, si enclin à s'attaquer aux racines du christianisme à la fin du XIX° siècle, n'excluait pas cette idée !
Ce qui est certain, c'est que Crescent remontera jusqu'à Vienne, dont il deviendra le 1° évêque. Pour le reste… Dieu seul le sait !
Mais revenons à nos apôtres de la Provence, pour suivre leurs pas sur les terres du Midi de la France. Tout en n'oubliant pas de faire la part de ce qui relève de la légende et de ce qui appartient à l'histoire - preuves à l'appui - voyons donc comment ces saints apôtres sont parvenus jusqu'à nous pour nous porter la Bonne Nouvelle, l'Evangile de Jésus ressuscité.