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Sur la solitude Cesse d'aimer le siècle et ses fausses maximes, Quitte un bien passager pour un bien éternel, Et, t'offrant à ton Dieu par un vœu solennel, Brûle du feu sacré qui brûle ses victimes. Ne livre plus ton âme à l'horreur de tes crimes, Dépouille le vieil homme et son esprit charnel, Et, fuyant les plaisirs du monde criminel, Défend même à tes sens les plaisirs légitimes. Lasse-toi d'inviter la colère des cieux, Cours à la pénitence et viens dans ces saints lieux Où les cœurs n'ont que Dieu pour objet de leur flamme. Mais n'attends pas de toi ces généreux efforts Si Dieu ne rend ton corps esclave de ton âme, Ton âme est pour jamais esclave de ton corps Gomberville (1600-1674) |
Qu'il faut souffrir avec patience les misères temporelles à l'exemple de Jésus-Christ "Vois, mortel, combien tu me dois : J'ai quitté le sein de mon Père, Je me suis revêtu de toute ta misère, J'en ai voulu subir les plus indignes lois ; Le ciel était fermé, tu n'y pouvais prétendre ; Pour t'en ouvrir la porte il m'a plu d'en descendre, Sans que rien m'imposât cette nécessité ; Et, pour prendre une vie amère et douloureuse, J'ai suivi seulement la contrainte amoureuse De mon immense charité. Mais je veux amour pour amour, Je veux, mon fils, que tu contemples Ce que je t'ai laissé de précieux exemples Comme autant de leçons pour souffrir à ton tour ; Que, sous l'accablement des misères humaines, L'esprit dans les ennuis et le corps dans les gênes, Tu tiennes toujours l'œil sur ce que j'ai souffert, Et que, malgré l'horreur qu'en conçoit la nature, Tu t'offres sans relâche à souffrir sans murmure, Ainsi que je m'y suis offert. Examine chaque moment Qu'en terre a duré ma demeure, Va du premier instant jusqu'à la dernière heure, Remonte de la fin jusqu'au commencement, Tiens en toute l'image à tes yeux étendue : Verras-tu de mes maux la course suspendue, De ces maux où pour toi je me suis abîmé ? La crèche où je naquis vit mes premières larmes, Tous mes jours n'ont été que douleurs et qu'alarmes, Et ma croix a tout consommé. Au manquement continuel Des commodités temporelles On a joint contre moi les plaintes, les querelles, Et tout ce que l'opprobre avait de plus cruel : J'en ai porté la honte avec mansuétude ; J'ai vu sans m'indigner la noire ingratitude Payer tous mes bienfaits d'un outrageux mépris, La fureur du blasphème attaquer mes miracles, Et l'orgueil ignorant condamner les oracles Dont j'illuminais les esprits. " * * * Il est vrai, mon Sauveur, que toute votre vie Est de la patience un miroir éclatant, Et qu'un si grand exemple à souffrir me convie Tout ce qu'a le malheur de plus persécutant. Puisque par là surtout vous sûtes satisfaire Aux ordres que vous fit votre Père éternel, Avec quelle raison voudrais-je m'y soustraire ? L'innocent lui doit-il plus que le criminel ? II faut bien qu'à son tour le pécheur misérable Accepte de ses maux toute la dureté Et soumette une vie infime et périssable Aux souverains décrets de votre volonté. Il est juste, ô mon Dieu, que sans impatience J'en porte le fardeau pour mon propre salut ; Et que de ses ennuis la triste expérience Ne produise en mon cœur ni dégoût ni rebut. La faiblesse attachée à notre impure masse Trouve sa charge lourde et fâcheuse à porter ; Mais, pour l'heureux secours de votre sainte grâce, Plus le poids en est grand, plus il fait mériter. Votre exemple nous aide à souffrir avec joie ; Celui de tous vos saints nous rehausse 1e cœur ; L'un et l'autre du ciel nous aplanit la voie, L'un et l'autre y soutient notre peu de vigueur. Sans la loi de Moïse et son rude esclavage La vie avait bien moins de quoi nous consoler ; Le ciel toujours fermé laissait peu de passage Par où jusque sur nous sa douceur pût couler. Sa route était alors beaucoup plus inconnue, Et semblait se cacher sous tant d'obscurité, Que peu pour la trouver avaient assez de vue, Et très peu, pour la suivre, assez de fermeté. Encor ce petit nombre, en qui l'âme épurée Avait fait sur le monde un vertueux effort, Voyait bien dans le ciel sa place préparée, Mais pour s'y voir assis il fallait votre mort. Il leur fallait attendre, après tous leurs mérites, Que votre sang versé les rendît bienheureux, Et vers votre justice ils n'étaient pas bien quittes A moins que votre amour payât encor pour eux. Que je vous dois d'encens, que je vous dois de grâces De m'avoir enseigné 1e bon et droit chemin, Et de m'avoir frayé ces douloureuses traces Qui mènent sur vos pas à des plaisirs sans fin ! La faveur m'est commune avec tous vos fidèles, Qu'unit la charité sous votre aimable loi : Recevez-en, Seigneur, des grâces éternelles ; Je vous en rends pour eux aussi bien que pour moi. Car, enfin, votre vie est cette voie unique Où par la patience on marche jusqu'à vous ; Par là votre royaume à tous se communique ; Par là votre couronne est exposée à tous. Si vous n'aviez vous-même enseigné cette voie, Si vous n'y laissiez voir l'empreinte de vos pas, Vous offririez en vain votre couronne en proie : Prendrait-on un chemin qu'on ne connaîtrait pas ? Si nous cessions d'avoir votre exemple pour guide Les moindres embarras nous feraient rebrousser, Et toute notre ardeur, abattue et languide, Tournerait en arrière au lieu de s'avancer. Hélas ! puisqu'on s'égare avec tant de lumière Qu'épandent votre vie et vos enseignements, Qui pourrait arriver au bout de la carrière Si nous étions réduits à nos aveuglements ? Pierre Corneille (1606-1684) Extrait de : L'Imitation de Jésus-Christ, traduite et paraphrasée en vers français, Liv. III, chap. XVIII. |
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Les larmes de la pénitence Grâce, grâce, suspend l'arrêt de tes vengeances Et détourne un moment tes regard irrités. J'ai péché, mais je pleure ; oppose à mes offenses, Oppose à leur grandeur celle de tes bontés. Je sais tous mes forfaits, j'en connais l'étendue : En tous lieux, à toute heure, ils parlent contre moi ; Par tant d'accusateurs mon âme confondue Ne prétend pas contre eux disputer devant toi. Tu m'avais par la main conduit dès ma naissance ; Sur ma faiblesse en vain je voudrais m'excuser : Tu m'avais fait, Seigneur, goûter ta connaissance, Mais, hélas ! de tes dons je n'ai fait qu'abuser. De tant d'iniquités la foule m'environne ; Fils ingrat, cœur perfide en proie à mes remords, La terreur me saisit ; je frémis, je frissonne ; Pâle et les yeux éteints, je descends chez les morts. Ma voix sort du tombeau ; c'est du fond de l'abîme Que j'élève vers toi mes douloureux accents : Fais monter jusqu'aux pieds de ton trône sublime Cette mourante voix et ces cris languissants. O mon Dieu... Quoi ! ce nom, je le prononce encore ? Non, non, je t'ai perdu, j'ai cessé de t'aimer, O juge qu'en tremblant je supplie et j'adore ! Grand Dieu, d'un nom plus doux je n'ose te nommer. Dans le gémissement, l'amertume et les larmes, Je repasse des jours perdus dans les plaisirs ; Et voilà tout le fruit de ces jours pleins de charmes : Un souvenir affreux, la honte et les soupirs. Ces soupirs devant toi sont ma seule défense : Par eux un criminel espère t'attendrir ; N'as-tu pas en effet un trésor de clémence ? Dieu de miséricorde, il est temps de l'ouvrir. Où fuir, où me cacher, tremblante créature, Si tu viens en courroux pour compter avec moi ? Que dis-je ? Etre infini, ta grandeur me rassure, Trop heureux de n'avoir à compter qu'avec toi ! Près d'une majesté si terrible et si sainte, Que suis-je ? Un vil roseau : voudrais-tu le briser ? Hélas ! si du flambeau la clarté s'est éteinte, La mèche fume encor : voudrais-tu l'écraser ? Que l'homme soit pour l'homme un juge inexorable : Où l'esclave aurai-t-il appris à pardonner ? C'est la gloire du maître ; absoudre le coupable N'appartient qu'à celui qui peut le condamner. Tu le peux, mais souvent tu veux qu'il te désarme : Il te fait violence, il devient ton vainqueur. Le combat n'est pas long : i1 ne faut qu'une larme. Que de crimes efface une larme du cœur ! Jamais de toi, grand Dieu, tu nous l'as dit toi-même, Un cœur humble et contrit ne sera méprisé. Voilà le mien : regarde, et reconnais qu'il t'aime ; Il est digne de toi : la douleur l'a brisé. Si tu le ranimais de sa première flamme, Qu'il reprendrait bientôt sa joie et sa vigueur ! Mais non, fais plus pour moi : renouvelle mon âme, Et daigne dans mon sein créer un nouveau cœur. De mes forfaits alors je te ferai justice, Et ma reconnaissance armera ma rigueur ! Tu peux me confier le soin de mon supplice : Je serai contre moi mon juge et ton vengeur. Le châtiment au crime est toujours nécessaire ; Ma grâce est à ce prix, il faut la mériter. Je te dois, je le sais, je te veux satisfaire : Donne-moi seulement le temps de m'acquitter. Ah ! plus heureux celui que tu frappes en père ! Il connaît ton amour par ta sévérité. Ici-bas quels que soient les coups de ta colère, L'enfant que tu punis n'est pas déshérité. Coupe, brûle ce corps, prends pitié de mon âme ; Frappe, fais-moi payer tout ce que je te dois. Arme-toi, dans le temps, du fer et de la flamme, Mais dans l'éternité, Seigneur, épargne-moi. Quand j'aurais à tes lois obéi dès l'enfance, Criminel en naissant, je ne dois que pleurer. Pour retourner à toi, la route est la souffrance Loi triste, route affreuse... entrons sans murmurer. De la main de ton fils je reçois le calice ; Mais je frémis, je sens ma main prête à trembler. De ce troupeau honteux mon cœur est-il complice ? Suis-je si criminel ? Voudrais-je reculer ? Louis Racine (1692-1763) |