Les plus belles pages sur Marie


Les Pères de l'Eglise - XII° au XVI° siècle - XVII° siècle - XVIII° et XIX° siècles - XX° siècle


XX° siècle

Saint Pie X (Pape de 1903 à 1914)
Bse Elisabeth de la Trinité (1880-1906)
Léon Bloy (1846-1917)
Francis Jammes (1868-1938)
Pie XI (Pape de 1922 à 1939)
A.-D. Sertilanges o.p. (1863-1948)


Saint Pie X (Pape de 1903 à 1914)

La vraie dévotion à Marie

Pour être de bon aloi, le culte de la Mère de Dieu doit jaillir du cœur ; les actes du corps n'ont ici utilité ni valeur s'ils sont isolés des actes de l'âme. Or, ceux-ci ne peuvent se rapporter qu'à un seul objet, qui est que nous observions pleinement ce que le divin Fils de Marie commande. Car, si l'amour véritable est celui-là seul qui a la vertu d'unir les volontés, il est de toute nécessité que nous ayons cette même volonté avec Marie de servir Jésus Notre-Seigneur. La recommandation que fit cette Vierge très prudente aux serviteurs des noces de Cana, elle nous l'adresse à nous-mêmes : " Faites tout ce qu'il vous dira " (Joan., II, 5). Or, voici la parole de Jésus-Christ : " Si vous voulez entrer dans la vie, observez les commandements " (Matth., XIX, 17).

Que chacun se persuade donc bien de cette vérité que, si sa piété à l'égard de la bienheureuse Vierge ne le retient pas de pécher ou ne lui inspire pas la volonté d'amender une vie coupable, c'est là une piété fallacieuse et mensongère, dépourvue qu'elle est de son effet propre et de son fruit naturel.

Que si quelqu'un désire à ces choses une confirmation, il est facile de la trouver dans le dogme même de la Conception Immaculée de Marie. Car, pour omettre la tradition, source de vérité aussi bien que la Sainte Ecriture, comment cette persuasion de l'Immaculée Conception de la Vierge a-t-elle paru de tout temps si conforme au sens catholique, qu'on a pu la tenir comme incorporée et comme innée à l'âme des fidèles ? " Nous avons en horreur de dire de cette femme - c'est la réponse de Denys le Chartreux - que, devant écraser un jour la tête du serpent, elle ait jamais été écrasée par lui, et que, Mère de Dieu, elle ait jamais été fille du démon " (III Sent., d. II, q. 1). Non, l'intelligence chrétienne ne pouvait se faire à cette idée que la chair du Christ, sainte, sans tache et innocente, eût pris origine au sein de Marie, d'une chair ayant jamais, ne fût-ce que pour un rapide instant, contracté quelque souillure. Et pourquoi cela, si ce n'est qu'une opposition infinie sépare Dieu du péché ? C'est là, sans contredit, l'origine de cette conviction commune à tous les chrétiens, que Jésus-Christ, avant même que, revêtu de la nature humaine, " il nous lavât de nos péchés dans son sang ", dut accorder à Marie cette grâce et ce privilège spécial d'être préservée et exemptée, dès le premier instant de sa conception, de toute contagion de la tache originelle.

Si donc Dieu a en telle horreur le péché que d'avoir voulu affranchir la future Mère de son Fils non seulement de ces taches qui se contractent volontairement, mais, par une faveur spéciale et en prévision des mérites de Jésus-Christ, de cette autre encore dont une sorte de funeste héritage nous transmet à nous tous, les enfants d'Adam, la triste marque, qui peut douter que ce ne soit un devoir pour quiconque prétend à gagner par ses hommages le cœur de Marie, de corriger ce qu'il peut y avoir en lui d'habitudes vicieuses et dépravées, et de dompter les passions qui l'incitent au mal ?

Quiconque veut, en outre - et qui ne doit le vouloir ? - que sa dévotion envers la Vierge soit digne d'elle et parfaite, doit aller plus loin, et tendre, par tous les efforts, à l'imitation de ses exemples. C'est une loi divine, en effet, que ceux-là seuls obtiennent l'éternelle béatitude qui se trouvent avoir reproduit en eux, par une fidèle imitation, la forme de la patience et de la sainteté de Jésus-Christ : " Car ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils, afin que celui-ci soit l'aîné entre plusieurs frères " (Rom., VIII, 29). Mais telle est généralement notre infirmité, que la sublimité de cet exemplaire aisément nous décourage. Aussi a-ce été, de la part de Dieu, une attention toute providentielle, que de nous en proposer un autre aussi rapproché de Jésus-Christ qu'il est permis à l'humaine nature, et néanmoins merveilleusement accommodé à notre faiblesse. C'est la Mère de Dieu, et, nul autre. " Telle fut Marie, dit à ce sujet saint Ambroise, que sa vie, à elle seule, est pour tous un enseignement. " D'où il conclut avec beaucoup de justesse : " Ayez donc sous vos yeux, dépeintes comme dans une image, la virginité et la vie de la bienheureuse Vierge, laquelle réfléchit, ainsi qu'un miroir, l'éclat de la pureté et la forme même de la vertu " (De Virginib., 1. II, c. II).

Or, s'il convient à des fils de ne laisser aucune des vertus de cette Mère très sainte sans l'imiter, toutefois désirons-nous que les fidèles s'appliquent de préférence aux principales et qui sont comme les nerfs et les jointures de la vie chrétienne. Nous voulons dire la foi, l'espérance et la charité à l'égard de Dieu et du prochain. Vertus dont la vie de Marie porte, dans toutes ses phases, la rayonnante empreinte, mais qui atteignirent à leur plus haut degré de splendeur dans le temps qu'elle assista son Fils mourant - Jésus est cloué à la croix, et on lui reproche en le maudissant, " de s'être fait Dieu " (Joan., XIX, 7). Marie, elle, avec une indéfectible constance, reconnaît et adore en lui la divinité. Elle l'ensevelit après sa mort, mais sans douter un seul instant de sa résurrection. Quant à 1a charité dont elle brûle pour Dieu, cette vertu va jusqu'à la rendre participante des tourments de Jésus-Christ et l'associée de sa Passion ; avec lui, d'ailleurs, et comme arrachée au sentiment de sa propre douleur, elle implore pardon pour les bourreaux, malgré ce cri de leur haine : " Que son sang soit sur nous et sur nos enfants " (Matth., XXVII, 25).

Encyclique Ad. diem illud, 2 février 1904, Actes de Pie X, Bonne Presse.

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Bse Elisabeth de la Trinité (1880-1906)

Marie, modèle des âmes intérieures

Si tu savais le don de Dieu ! Il est une créature qui connut ce don de Dieu, qui n'en perdit pas une parcelle, une créature qui fut si pure, si lumineuse qu'elle semble être la lumière elle-même : " Speculum justitiae " ; une créature dont la vie fut si simple, si perdue en Dieu que l'on ne peut presque rien en dire : " Virgo fidelis ", c'est la Vierge fidèle, celle qui " gardait toutes choses en son cœur ". Elle se tenait si petite, si recueillie en face de Dieu, dans le secret du temple, qu'elle attira les complaisances de la Trinité sainte.

Parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante, désormais toutes les générations m'appelleront bienheureuse !... Le Père, se penchant vers cette créature si belle, si ignorante de sa beauté, voulut qu'elle fût dans le temps la Mère de celui dont il est le Père dans l'éternité ; alors l'Esprit d'amour qui préside à toutes les opérations de Dieu survint, la Vierge dit son " Fiat " : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ", et le plus grand des mystères fut accompli, et par la descente du Verbe en elle, Marie fut toujours la proie de Dieu.

Il me semble que l'attitude de la Vierge durant les mois qui s'écoulèrent entre l'Annonciation et la Nativité est le modèle des âmes intérieures, des êtres que Dieu a choisis pour vivre au dedans, au fond de l'abîme sans fond. Dans quelle paix, quel recueillement Marie se rendait et se prêtait à toutes choses ! Comme celles qui étaient les plus banales étaient divinisées par elle, - car à travers tout, la Vierge restait l'adorante du don de Dieu, - cela ne l'empêchait pas de se dépenser au dehors lorsqu'il s'agissait d'exercer la charité ; l'Evangile nous dit que " Marie parcourut en toute diligence les montagnes de Judée pour se rendre chez sa cousine Elisabeth ". Jamais la vision ineffable qu'elle contemplait en elle-même ne diminua sa charité extérieure, car si la " contemplation s'en va vers la louange et vers l'éternité de son Seigneur, elle possède l'unité et ne la perdra pas. "

[…]

Marie, son âme est si simple, les mouvements en sont si profonds que l'on ne peut les surprendre ; elle semble reproduire sur la terre cette vie qui est celle de l'Etre divin, l'Etre simple. Aussi, est-elle si transparente, si lumineuse, qu'on la prendrait pour la lumière. Pourtant elle n'est que " miroir du Soleil de justice. Speculum justitiae "... Plus qu'aucune autre sainte, elle me semble imitable, sa vie était si simple !

[…]

Rien qu'à la regarder, je me sens apaisée.

" La Vierge conservait ces choses en son cœur. " Toute son histoire peut se résumer en ces quelques mots ; c'est en son cœur qu'elle vécut, et en une telle profondeur que le regard humain ne peut la suivre.

Quand je lis dans l'Evangile que " Marie parcourut en toute diligence les montagnes de Judée " pour aller remplir son office de charité près de sa cousine Elisabeth, je la vois passer belle, calme, majestueuse, recueillie au dedans, avec le Verbe de Dieu ! Comme lui, sa prière fut toujours celle-ci : ! Ecce ! Me voici ! - Qui ? - La servante du Seigneur, la dernière de ses créatures, elle, sa Mère ! "

[…]

Il me semble que l'on peut dire que nul n'a pénétré le mystère du Christ en sa profondeur, si ce n'est la Vierge. Saint Paul parle souvent de " l'intelligence " qui lui en a été donnée, et pourtant, comme tous les saints restent dans l'ombre, quand on regarde aux clartés de la Vierge ! Elle, c'est l'inénarrable ! Le secret qu'elle gardait et repassait dans son cœur, nulle langue n'a pu le révéler, nulle plume n'a pu le traduire. Cette Mère de grâce va former mon âme, afin que sa petite enfant soit une image vivante, saisissante de son premier-né, le Fils de l'Eternel, celui-là qui fut la parfaite louange de la gloire de son Père.

La Vie spirituelle, 1928.

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Léon Bloy (1846-1917)

Les larmes de Marie

Les larmes de la Mère des Douleurs remplissent l'Ecriture et débordent sur tous les siècles. Toutes les mères, toutes les veuves, toutes les vierges qui pleurent n'ajoutent rien à cette effusion surabondante qui suffirait pour laver les cœurs de dix mille mondes désespérés. Tous les blessés, tous les dénués et tous les opprimés, toute cette procession douloureuse qui encombre les atroces chemins de la vie, tiennent à l'aise dans les plis traînants du manteau d'azur de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Toutes les fois que quelqu'un éclate de pleurs, dans le milieu de la foule ou dans la solitude, c'est elle-même qui pleure, parce que toutes les larmes lui appartiennent en sa qualité d'Impératrice de la Béatitude et de l'Amour. Les larmes de Marie sont le Sang même de Jésus-Christ, répandu d'une autre manière, comme sa compassion fut une sorte de crucifiement intérieur pour l'Humanité sainte de son Fils. Les larmes de Marie et le Sang de Jésus sont la double effusion d'un même cœur et l'on peut dire que la compassion de la Sainte Vierge était la Passion sous sa forme la plus terrible. C'est ce qu'expriment ces paroles adressées à sainte Brigitte : " L'affliction du Christ était mon affliction parce que son cœur était mon cœur ; car comme Adam et Eve ont vendu le monde pour une seule pomme, mon Fils et moi, nous avons racheté ce monde avec un seul Cœur. "

Les larmes sont un legs de la Mère des Douleurs, legs tellement redoutable qu'on ne peut le dissiper dans les vaines affections du monde sans se rendre coupable d'une sorte de sacrilège. Sainte Rose de Lima disait que nos larmes sont à Dieu et que quiconque les verse sans songer à lui, les lui vole. Elle sont à Dieu et à celle qui a donné à Dieu la chair et le sang de son Humanité. Si saint Ambroise, se souvenant de Monique, appelle Augustin " le Fils de si grandes larmes ; filius tantarum lacrymarum ", à quelle profondeur ne faut-il pas entendre que nous sommes fils des Larmes de la Créature d'exception qui a reçu l'incomparable privilège, en tant que Mère de Dieu, d'offrir au Père éternel une réparation suffisante pour le crime sans nom ni mesure qui servit à Jésus à accomplir la rédemption du monde ? Quand sainte Monique pleurait sur les égarements du futur docteur de la grâce, ses larmes étaient comme un fleuve de gloire qui portait son fils incrédule dans ses bras infatigablement étendus à l'Auteur de la Grâce. Mais cependant, elle n'avait que ses larmes à offrir et c'était la conversion de ce seul fils qu'elle avait en vue. Quand Marie pleure sur nous, ses Larmes sont un véritable déluge universel du Sang divin, dont elle est la Dispensatrice souveraine, et cette effusion est en même temps la plus parfaite de toutes les oblations. Comme elle est la seule Mère selon la Grâce qui ait le pouvoir de le faire adorer à l'innombrable multitude de ses autres enfants par la seule vertu de ses larmes.

Les larmes de la Sainte Vierge ne sont mentionnées dans l'Evangile qu'une seule fois, lorsqu'elle prononce sa quatrième parole, après avoir retrouvé son Fils. Et c'est elle-même qui en parle à ce moment-là. Ailleurs, les évangélistes disent simplement que Jésus pleura, et cela doit nous suffire pour deviner ce que faisait sa Mère. Saint Bernardin de Sienne dit que la douleur de la Sainte Vierge a été si grande que si elle était divisée et partagée entre toutes les créatures capables de souffrir, celles-ci périraient à l'instant. Or, si l'on tient compte de la prodigieuse illumination de cette âme remplie de l'Esprit-Saint pour qui les choses futures avaient sans doute une réalité actuelle et sensible, il faut entendre cette affirmation, non seulement du Vendredi Saint, mais encore de tous les instants de sa vie, depuis la salutation de l'archange jusqu'à sa mort.

Lorsque la Sainte Famille, repoussée de toutes les portes de Bethléem, s'en allait chercher un refuge dans cette caverne sauvage où devait se lever le Soleil du monde, les larmes de Marie marquèrent le seuil de ces demeures inhospitalières qui n'avaient pas de place pour accueillir la misère de Dieu. Ces larmes sorties du même Cœur que le Sang du Verbe incarné furent un signe de colère divine pour les misérables habitants de ce désert de cœurs. Elles durent ronger le granit et le sol à des profondeurs épouvantables, et il ne fallut rien moins que le sang innocent de tous les nouveau-nés pour en apaiser la fureur et pour en effacer la trace. Plus tard, pendant la Fuite en Egypte, quand Jésus enfant prenait possession de l'immense monde obscur de la gentilité représenté par " cette terre d'angoisse ", il était porté dans les bras de sa Mère qui préludait ainsi aux conquêtes de sa domination future. La longue route de ces pauvres pèlerins et les lieux pleins d'idoles où ils s'arrêtèrent furent arrosés de beaucoup de larmes silencieuses qui coulaient le long des joues de la Vierge sans tache et tombaient sur le sol comme une semence, après avoir roulé sur les membres de l'Enfant divin. Deux cents ans après, cette même Egypte, devenue patrie des tribulations volontaires, se remplissait de ces sublimes anachorètes qui furent, après les martyrs, la plus splendide floraison du catholicisme.

Le mystère des trois jours d'absence étant arrivé, Marie parcourt les rues et les places de Jérusalem à la recherche de son Enfant perdu. La recherche dure trois jours en compagnie de l'homme extraordinaire que les saints ont appelé l'ombre du Père éternel. Ils pleurent tous les deux, et, cette fois, leurs larmes sont attestées par elle-même qui parle si rarement. Ils cherchent de tous côtés, ils interrogent les passants, riches on pauvres, vertueux ou criminels, moqueurs ou compatissants. Qu'on se représente cet interrogatoire unique de tous les habitants d'une ville indifférente ou affairée par la Mère des Vivants à la recherche du Verbe de Dieu. Ces trois jours d'absence qui furent le troisième glaive de Marie et que quelques écrivains catholiques regardent comme le plus douloureux de tous, méritent qu'on y pense profondément. Il est bon de remarquer que cette Mère incomparable, dans l'impuissance absolue de découvrir son Fils avant le terme mystérieux et incertain pour elle des trois jours, et connaissant d'ailleurs par la plénitude de son illumination prophétique les détails les plus affreux de la Passion, dut principalement porter ses recherches sur la future Voie douloureuse où elle savait que son Amour serait un jour foulé aux pieds de la plus cruelle et de la plus vile populace. C'est là, sans doute, qu'elle répandit ses larmes les plus amères, préparant ainsi le sol pour d'autres effusions à venir dans un temps où personne ne chercherait plus le Verbe de Dieu dans Jérusalem. L'éternité seule pourra donner à la conscience humaine la vraie mesure de ce fait d'une telle Mère cherchant un tel Fils dans une ville si étrangement prédestinée. C'est bien autre chose qu'à Bethléem où du moins Marie ne cherchait qu'un abri pour enfanter la Lumière ? Ici, elle cherche la Lumière absente avec l'étonnante incertitude d'avoir mérité cet abandon et l'évidence supérieure de l'inutilité parfaite de ses recherches, si ce soupçon déchirant est réellement fondé. Dans le premier cas, la dureté de cœur des habitants de Bethléem est une espèce de prodige humain qui regarde tous les pécheurs et qui démasque soudainement les abîmes de la nature de l'homme déchu ; dans le second cas, l'apparente cruauté de Jésus pour sa Mère est un mystère divin qui la regarde seule, une sorte de préparation ineffable, par la pratique d'une transcendante humiliation, aux abandons terribles d'un avenir de sang et d'agonie. Dans ces deux circonstances évangéliques, ce qu'il y a d'extérieur et de sensible pour nous, c'est toujours l'effusion d'un même cœur immense et brisé qui ne se contente pas d'avoir donné la vie au Soleil de justice, mais qui voudrait encore lui faire un océan de larmes amoureuses où il pût se coucher avec splendeur.

Le Symbolisme de l'Apparition, Paris, Mercure de France, 1925.

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Francis Jammes (1868-1938)

Le couronnement de la Sainte Vierge (Prière)

" Sainte Marie, sainte Mère de Dieu ", priez pour le poète qui vous dédie ce livre qui a poussé comme un arbre rond qu'éclairent tour à tour le soleil et la lune et dont chaque feuille loue le Créateur en chantant. La pomme rouge et odorante qui est au milieu, c'est la vivante Dominica. Elle est à votre petit Enfant. Qu'il la cueille et la pose en se jouant sur son Sacré Cœur.
" Sainte Vierge des vierges ", priez pour la jeune fille qui danse, vêtue d'une robe éclatante ; qu'elle soit semblable à la vivante Dominica, ne vacille point ; que son cœur demeure comme la flamme abritée par la veilleuse ; comme l'immobile feu du géranium dans l'azur. Et qu'un jour, arrachant de sa chevelure la fleur changeante du monde, elle la change pour le lis de vos autels...
[…]
" Mère de la divine grâce ", priez pour que cette grâce se répande sur les âmes, les pénètre, les adoucisse comme l'eau ruisselante imbibe et lisse les prairies.
" Mère très pure, Mère très chaste, Mère toujours vierge, Mère sans tache ", rendez vos filles semblables à ces gouttes de pluie teintées de ciel qui roulent sur les feuilles sans y adhérer ni prendre aucune poussière ; aux roses qui conservent jusqu'à leur mort, et malgré le soleil brûlant, au dedans d'elles, leur cœur dans une ombre fermée ; aux nymphéacées qui savent vivre dans le marécage sans que la boue ait prise sur leur blancheur.
[…]
" Mère du Créateur ", priez pour ceux à qui ressemblent ces portraits que j'ai peints, que je n'ai pu ainsi peindre que parce que les modèles m'en ont été proposés par la Toute-Puissance créatrice. Dira-t-on que la vivante Dominica n'a point existé ? Eh ! qu'importe si cette ombre poétique suscite quelque vocation ; si la grâce, se servant du néant, lui donne une sœur de chair et d'esprit qui vive au pied des autels ?
" Mère du Sauveur ", priez pour celles qui ramènent les âmes perdues comme vous retirez de la mer les naufragés lorsque, du haut du rocher de la Garde, vous leur lancez les bouées et les câbles du salut ; ô vous qui avez eu pitié de la petite marchande de fruits marins repêché par la vivante Dominica dans les filets d'or de la grâce !
[…]
" Vierge digne de louange ", priez pour que mon pipeau soit juste quand il vous chante, pour qu'il exhale cette harmonie qui, du cœur de la vivante Dominica, s'élève sans effort. Moi aussi, je ne suis qu'un roseau et le plus faible de la nature. Comment entonnerais-je un cantique en votre honneur si vous-même ne le souteniez de votre voix ?
" Vierge puissante ", priez afin que se réalisent, sur la grande trame que le ciel ourdit, les projets que l'on forme pour de modestes bonheurs humains. Qu'il nous soit permis de voir grandir dans l'aisance l'orphelin que nous avons connu dépossédé. Qu'il épouse celle qu'il a aimée toute petite et qui l'a aimé tout petit ! Que l'obscure boutique de Lucien s'agrandisse sous la conduite du charpentier qui couronne votre front avec l'ombre d'un lis ! Que les marteaux des artisans sonnent clair comme des angélus et comme les cris des coqs à l'ombre des platanes !
" Siège de la sagesse ", priez pour que nous puissions instruire dans la loi de Dieu l'enfant sur nos genoux, puisque les vôtres ont servi d'escabeau à l'Enfant qui vous enseignait.
" Cause de notre joie ", priez pour que nous sentions planer, sur nos douleurs mêmes, cette ineffable allégresse qui nous saisit comme un embrassement lorsque nous vous voyons poindre dans l'anfractuosité du roc de Lourdes ; pour que, d'aussi loin que l'on vous aperçoive, on vous reconnaisse et ressente, dans son cœur, comme les fumées d'un vin de fête.
[…]
" Rose mystique ", priez pour nous, épanouie sur la couronne d'épines, sans que personne puisse comprendre comment le buisson des saintes femmes a poussé si haut cette tige.
" Maison d'or ", priez pour nous ! Que ce titre reluise comme l'enseigne de l'hôtellerie où vont s'héberger le père sans femme et le fils sans mère ! Tendez la nappe, coupez le pain de chaque jour, emplissez la carafe pour ceux qui ne prennent point de longs repas, mais qui mangent avec amour.
" Arche d'Alliance ", priez pour nous ! Vous avez contenu la loi et le législateur, vous avez fait fleurir et embaumer après des siècles l'acacia dont s'était servi Moïse pour construire le coffre du Témoignage.
" Porte du ciel ", priez pour nous à l'heure où nous frapperons à votre cœur ainsi que, le soir venu, les pauvres prennent dans leur main le heurtoir de la femme charitable. Faites fléchir pour nous la rigueur. Que nous puissions franchir votre seuil, les pieds dans la douceur des gazons de la miséricorde qui croissent à jamais entre les dalles du perron, la face dans le rideau de volubilis de l'éternelle joie !
" Etoile du matin " , priez pour nous, ô vous qui êtes toute pure dans l'air frais, et solitaire comme un rossignol perdu dans la lumière et dont le chant parlerait bien après la nuit ! Astre couleur de rosée et de lis, attirez nos cœurs dans vos réseaux qui traînent dans l'océan du ciel.
" Refuge des pécheurs ", priez pour ceux qui, perdus dans la nuit et la forêt, aperçoivent soudain votre lampe qui rend comme des roses les carreaux de votre chaumière placée sur la bonne route. Ouvrez-leur. Que leurs pieds, fatigués par la course vaine, se purifient dans le chaudron plein d'eau de source ; que leur tête soit lavée aussi et que leurs mains, blessées par tant de ronces qu'elles étreignirent, soient adoucies par le suc des olives du Gethsémani ; que leur corps rompu s'étende entre les draps de l'apaisement et que, la porte fermée à la tempête des tentations, ils ne voient plus, ô Reine ! se dresser devant eux que votre ombre couronnée de lumière !
" Consolatrice des affligés ", priez, non seulement pour les infirmes de corps, mais pour ces infirmes qui sont comme les pauvres honteux du monde des âmes, qui cachent une humiliation, une tristesse, une sollicitude, un remords. Soutenez-les, vous qui avez reçu entre vos bras, sans trébucher, le lourd corps de Jésus-Christ...
" Reine des apôtres ", priez pour nous, vous qui avez voyagé plus que tous les missionnaires ensemble et que l'on retrouve aux quatre coins du monde, et jusqu'en cette humble et verte vallée où les eaux vives mêlent leurs murmures... Vierge de Lourdes, couronnée par les neiges de mon pays !
" Reine des martyrs ", priez pour nous, vous qui avez reçu les rubis de la croix sur le front et qui, davantage que le voile de Véronique, vous êtes imprégnée du supplice de Jésus.
[…]
" Reine des confesseurs ", priez pour nous, vous qui n'avez qu'à vous taire au pied de la croix pour que nous croyions à votre témoignage.
[…]
" Reine de tous les saints ", priez pour que nous comp-tions, parmi vos plus obscurs sujets, ceux qui, en arrière de la foule des élus, pourront du moins apercevoir un reflet de votre front.
" Reine du très saint rosaire ", priez pour nous, pour que Dieu introduise dans ce rosaire qu'achève son médiocre serviteur ce qu'il y manque. C'est vous qui m'avez remis cette poignée de grains de bois dans l'année mil neuf cent cinq que je me suis converti. Je me souviens de Dieu dans le jardin de l'hospice, de la fanfare naïve, du fléchissement des moissons sous la brise, des femmes qui, à l'approche de l'ostensoir, s'affaissaient comme des blés fauchés. Mon rosaire est dit. J'en tiens la croix grossière en écrivant ces lignes. Je sais quelle force j'ai puisée là depuis ce jour où je me suis cru mort, jusqu'à celui où, plein de vie éternelle, j'écoute, sûr de moi, le vent. J'ai vu les miens se relever de leurs couches funèbres. Je louerai mon Dieu et j'appuierai devant lui mon cœur contre la terre. Cette poignée de grains, ô Vierge ! voici la pauvre gerbe qu'elle a produite. Mais il y avait, au milieu, ce coquelicot qui riait.

Le Rosaire au Soleil, Mercure de France, 1917.

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Pie XI (Pape de 1922 à 1939)

Le Royaume de France est le Royaume de Marie

« Il est certain, selon un ancien adage, que le Royaume de France a été appelé le Royaume de Marie, et cela à juste titre. Car, depuis les premiers siècles de l'Eglise jusqu'à notre temps, Irénée et Eucher de Lyon, Hilaire de Poitiers, Anselme, qui, de France, passa en Angleterre comme archevêque, Bernard de Clairvaux, François de Sales, et nombre d'autres saints docteurs, ont célébré Marie et contribué à promouvoir et amplifier à travers la France le culte de la Vierge Mère de Dieu. (...) Les monuments sacrés attestent d'éclatante manière l'antique dévotion du peuple (...) L'immense affluence des fidèles accourant de loin chaque année aux sanctuaires de Marie, montre clairement ce que peut dans le peuple la piété envers la Mère de Dieu (...)

La Vierge en personne, trésorière de Dieu de toutes les grâces, a semblé, par des apparitions répétées, approuver et confirmer la dévotion du peuple français (...) Les principaux et les chefs de la nation se sont fait gloire longtemps d'affirmer et de défendre cette dévotion envers la Vierge. (...) C'est pourquoi, après avoir pris les conseils de nos Vénérables Frères les cardinaux de la Sainte Eglise Romaine préposés aux Rites, motu proprio, de science certaine et après mûre délibération, dans la plénitude de notre pouvoir apostolique, par la force des présentes et à perpétuité, nous déclarons et confirmons que la Vierge Marie Mère de Dieu, sous le titre de son Assomption dans le ciel, a été régulièrement choisie comme principale patronne de toute la France auprès de Dieu, avec tous les privilèges et les honneurs que comportent ce noble titre et cette dignité. (...) Nous concédons ces privilèges, décidant que les présentes Lettres soient et demeurent toujours fermes, valides et efficaces, qu'elles obtiennent et gardent leurs effets pleins et entiers, qu'elles soient, maintenant et dans l'avenir, pour toute la nation française, le gage le plus large des secours célestes ; qu'ainsi il en faut juger définitivement, et que soit tenu pour vain dès maintenant et de nul effet pour l'avenir tout ce qui porterait atteinte à ces décisions, du fait de quelque autorité que ce soit, sciemment ou inconsciemment. »

Lettre « Galliam Ecclesiae filiam », 2 mars 1922.

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A.-D. Sertilanges o.p. (1863-1948)

O pur rayon devenu femme, sourire de la terre délivrée en toi de tout mal et rendue à l'espérance, quelle annonce que ta sainte beauté! Tu es un nuage d'encens qui se répand dans notre atmosphère, tu es un flot parfumé qui côtoie nos chemins. Grâce à toi, nous savons ici-bas ce qu'est la vie des anges, et nous n'ignorons plus les grâces de l'Eden. Phénomène de l'ordre moral, miraculée de l'âme, nous apprenons de ta pureté congénitale le prix de la pureté acquise. Ton Immaculée Conception est plus qu'un baptême ; mais elle rehausse la grâce du baptême qu'elle montre exaltée et débordante. Tu es Marie, ce qu'on peut traduire " la Dame " ; sois notre Dame à partir de ce don qui précède tous les autres, qui les enveloppe de charme et de séduction ravissante pour l'âme tentée ou inquiète, ô Notre-Dame de Blancheur, Notre-Dame du Lys !

Mois de Marie, Éditions du Cerf.