Le Saint Esprit

Les plus belles pages






Ecrits du XX° siècle

- A.-D. Sertilanges, o.p. (1863-1948)
- Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1873-1897)
- Bse Elisabeth de la Trinité (1880-1906)
- Simone Weil (1909-1943)
- A.-M. Carré, o.p.


A.-D. Sertilanges, o.p. (1863-1948)

Grâce à l'Esprit, l'Eglise universelle, si variée qu'elle soit dans ses tendances locales et superficielles, est toujours l'Eglise ; elle réalise cet idéal de la " permanence du type " qui dans les espèces vivantes peut toujours fléchir. Son idée directrice essentielle est immuable, et elle l'est dans toutes les lignes où l'Eglise s'avance, comme une troupe de toutes armes et d'un seul élan. Son dogme, sa morale, sa discipline, sa liturgie sacramentelle, sa constitution hiérarchique sont essentiellement au XX° siècle ce qu'ils furent sous saint Paul, ce qu'ils sont au Cénacle.

Il y a eu des fléchissements individuels, et nombreux ; il y a eu même des maladies collectives ; mais c'était la vivante Eglise, qui était malade, ou bien tel membre, ou bien telle fonction, et l'Eglise n'était pas réduite pour cela à l'état de cadavre. Cette maladie, comme celle de Lazare, n'était pas la mort. L'Eglise ne meurt pas ; l'Esprit palpite en elle, et ses époques de fléchissement sont précisément celles qui incitent cet Esprit à de violentes et merveilleuses réactions.

Toutes les époques troublées sont des époques de sainteté et d'héroïsme. Dans les siècles déshérités socialement des personnalités puissantes semblent destinées à concentrer et à tenir en réserve l'activité spirituelle commune ; elles sont le ferment de l'avenir. Tel est le travail de l'Esprit, flamme intime, flamme pareille à celle qui soutient nos corps, anime nos foyers et nos cités, ses tributaires.

Enfin du moment qu'il conquiert et qu'il organise, il serait oiseux de dire de l'Esprit divin qu'il rassemble. Il faut noter cependant le caractère universel de ce rassemblement. L'Esprit de Jésus est un Esprit de la race ; c'est de plus un Esprit transcendant à toutes les différences créées ou créables, Esprit des esprits, et, plus loin, Esprit des êtres. Tout dépend de lui, et quand il s'agite, on doit s'attendre à un branle universel.

C'est ici l'âme du monde, pénétrant sa matière multiple et en formant un tout qui est le Royaume de Dieu évangélique, ce Tout que Jésus voyait et qu'il voit plus encore au moment de lui donner son sang.

Jusque-là, le monde était chaotique, ou s'il était en partie organisé, comme la Synagogue, c'était en vertu d'une anticipation, d'un emprunt ; le Cénacle rayonnait en arrière. Mais en avant le rayonnement unifiant révèle plus de puissance ; l'Esprit polarise le monde ; il polarise les âges ; il met en un tous les fils de Dieu dispersés! (Jean, XI, 52) Ceux qui croient lui échapper réalisent d'une autre manière ses desseins et le servent dans ses élus.

Le monde était inanimé, un cadavre, un Lazare dans ses bandelettes et qui sentait la corruption, c'est-à-dire la dissémination des éléments et des forces.

L'Esprit du Christ rattache 1a chaîne de vie. Le vivant univers tient désormais debout ; l'œuvre créatrice est d'une seule venue, dans le temps et dans l'immensité de l'être.

Le langage chrétien manifeste cette unité, en faisant voir identique en tout temps et partout la doctrine qui codifie la vie et la contient pour ainsi dire tout entière. Le langage chrétien si nuancé ici ou là, aujourd'hui ou hier, ne sera jamais qu'une seule voix à travers les âges, les civilisations et les groupes. Il y aura beaucoup de témoins, il n'y aura qu'un seul témoignage. Le don des langues accordé à la doctrine comme à ses premiers prédicateurs ne sera que le don de faire retentir en divers idiomes spirituels une parole identique, d'épanouir dans le prisme humain la lumière blanche du ciel ; et le ciel même, en son silence de multitude et en son mystère, a-t-il un autre langage ?

C'est grâce à l'Esprit que le message de Jésus exprime un autre monde, et que cet autre monde et le monde du pèlerinage ne font qu'un. Le Royaume de Dieu est partout : l'Esprit en est la lumière. Et ce que je dis de l'unité lumineuse se répéterait de l'unité de tendance, de l'unité d'orientation, de l'unité d'action, de l'unité du résultat qui est - invisiblement ici et clairement là-haut - la vie éternelle.
L'Esprit divin est un Esprit d'éternité ; l'eau vive que donne Jésus doit remonter à son niveau ; partie du ciel elle y rejaillit spontanément et elle y demeure. Sa surface d'équilibre est là, et si le Christ ressuscité ne meurt plus, si là où Il est, Il veut et Il fait que nous y soyons aussi, la raison en est que son Esprit souffle entre le Père et le Verbe auquel sa chair est jointe, auquel son âme s'unit, en lequel nous aussi, par Lui, nous ne faisons qu'un seul tout spirituel, que la vie divine traverse. [...] Esprit du Christ, que vous êtes puissant, et que la petite demeure visitée par vous a de vastes horizons au creux de ses arcades ! La Croix maintenant saigne et le Sauveur gémit ; mais le Sauveur gémissant n'est que l'ouvrier qui ahane au cours de sa tâche. La tâche finie, on verra que les moyens et la fin se proportionnent, et que l'éternel Témoin ne mentait pas : " Mon Père, je remets mon Esprit entre tes mains. "

Extrait de Ce que Jésus voyait du haut de la Croix, Paris, Revue des Jeunes, 1924.


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Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1873-1897)

Peu de temps après ma première communion, j'entrai de nouveau en retraite pour ma confirmation. Je m'étais préparée avec beaucoup de soin à la visite de l'Esprit-Saint ; je ne pouvais comprendre qu'on ne fît pas une grande attention à la réception de ce sacrement d'amour. La cérémonie n'ayant pas eu lieu au jour marqué, j'eus la consolation de voir ma solitude un peu prolongée. Ah ! que mon âme était joyeuse ! Comme les apôtres, j'attendais avec bonheur le Consolateur promis, je me réjouissais d'être bientôt parfaite chrétienne, et d'avoir sur le front, éternellement gravée, la croix mystérieuse de ce sacrement ineffable.

Je ne sentis pas le vent impétueux de la première Pentecôte ; mais plutôt cette brise légère dont le prophète Elie entendit le murmure sur la montagne d'Horeb. En ce jour je reçus la force de souffrir, force qui m'était bien nécessaire, car le martyre de mon âme allait commencer peu après [...].

Extrait de Histoire d'une âme, Lisieux, Office central, 1926.


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Bse Elisabeth de la Trinité (1880-1906)

Elévation à la Sainte Trinité

O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en Vous, immobile et paisible, comme si déjà mon âme était dans l'éternité ; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère !

Pacifiez mon âme ; faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos ; que je ne vous y laisse jamais seul ; mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice.

O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre cœur ; je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer jusqu'à en mourir !... Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me revêtir de vous-même, d'identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m'envahir, de vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu'un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme adorateur, comme réparateur et comme sauveur.

O Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire tout enseignable afin d'apprendre tout de vous ; puis à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissantes, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière. O mon astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement.

O Feu consumant, Esprit d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe ; que je lui sois une humanité de surcroît, en laquelle Il renouvelle tout son mystère.

Et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, couvrez-la de votre ombre, ne voyez en elle que le Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complaisances.

O mes " Trois ", mon Tout, ma béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à Vous comme une proie, ensevelissez-vous en moi pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs.

Extrait de Réflexions et Pensées sous forme de retraite, Dijon, Ed. du Carmel, 1942.


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Simone Weil (1909-1943)

Vienne ton règne

Il s'agit maintenant de quelque chose qui doit venir, qui n'est pas là. Le règne de Dieu, c'est le Saint-Esprit emplissant complètement toute l'âme des créatures intelligentes. L'Esprit souffle où Il veut. On ne peut que L'appeler.

Il ne faut même pas penser d'une manière particulière à L'appeler sur soi, ou sur tels ou tels autres, ou même sur tous, mais L'appeler purement et simplement ; que penser à Lui soit un appel et un cri. Comme quand on est à la limite de la soif, qu'on est malade de soif, on ne se représente plus l'acte de boire par rapport à soi-même, ni même en général l'acte de boire. On se représente seulement l'eau, l'eau prise en elle-même, mais cette image de l'eau est comme un cri de tout l'être.

Extrait de Attente de Dieu, Paris, La Colombe, 1950.


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A.-M. Carré, o.p.

" J'aurais encore beaucoup de choses à vous confier, avouait Jésus à ses apôtres, mais vous ne les supporteriez pas en ce moment. Quand il viendra, l'Esprit de vérité vous introduira comme un guide dans la vérité tout entière. " Qu'est-ce à dire ? Sans doute, cette " introduction " a lieu de façon " vitale ", quoique invisible, et le plus humble des fidèles en est, du fait de son baptême, le bénéficiaire. Nous n'en prenons pas conscience, nous ne nommons pas Celui qui est le principe intérieur et permanent de notre vie surnaturelle ; pourtant il agit, il nous comble de grâces, il parle, commente, suggère, et il est la voix de Dieu au fond de nous-mêmes.

Mais ne trouvez-vous pas déconcertant que nous n'y prêtions pas attention ? Et n'est-ce point cette carence d'attention qui nous fait nous refuser au dialogue familier que le Christ proposait à ses apôtres ? Car il ne suffit pas d'être en état de grâce, et de savoir que son âme devient la demeure de la Trinité et que l'Esprit l'anime constamment : le Seigneur aurait-il parlé de soutien, et de soutien permanent - " il restera à jamais avec vous " -, le Seigneur aurait-il proclamé avec tant de force la nécessité de son départ, devant des hommes qui étaient ses intimes, ses confidents, ses compagnons de toutes les heures, si une présence comparable à la sienne ne leur était offerte ? Je veux dire : dans la foi, la présence d'un être vivant avec qui l'on converse, à qui l'on pose des questions et de qui l'on attend, avec autant d'anxiété que de confiance, les réponses libératrices.

Le mot " familier " vient d'être employé : il qualifie bien la nature des relations établies avec les Douze. " Je ne vous appelle pas mes serviteurs, mais mes amis. " - Et pourquoi une telle promotion ? - " Parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père. " Au soir des randonnées apostoliques, au hasard d'un arrêt sur les pentes du mont des Oliviers, face à la Ville, ou bien dans une grotte, les disciples bien-aimés " prenaient à part " Jésus, si l'on peut dire, et la foule étant loin, cette foule qui ne devait être enseignée pour le moment que par paraboles, la conversation devenait plus directe, plus concrète : Maître, qu'avez-Vous voulu dire ? [...] Jésus éclairait les paroles mystérieuses. [...]

Le Sauveur une fois disparu, les apôtres accueillirent aussi simplement le Paraclet de la Pentecôte, ils virent en Lui cet autre soutien qui leur avait été annoncé, et le dialogue reprit. En dépit des manifestations éclatantes de cet Esprit qui faisait littéralement " irruption " dans le monde (1) et donnait aux Gentils eux-mêmes, pour qu'ils se convertissent, le don des langues, l'hôte invisible fut, semble-t-il, consulté comme Jésus, interrogé comme Lui, mais cette fois dans le secret des consciences. Une phrase des " Actes " révèle éloquemment cette familiarité : " Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous (2) ", déclarèrent les apôtres au Concile de Jérusalem, alors qu'ils venaient de trancher le problème épineux de l'accession des Gentils à la Foi.

Or toute vie chrétienne devrait connaître une semblable intimité. Surtout nos vies chrétiennes à nous, qui n'avons pas, comme les apôtres après le départ de Jésus, le souvenir d'une présence humaine. Il faudrait entrer en dialogue avec Celui dont notre corps même est le temple, et qui nous " habite " donc aussi totalement qu'il est possible. Les " caractères " sacramentels imposés à l'âme par le baptême et surtout la confirmation nous disposent de façon permanente à écouter l'Esprit autant qu'à nous laisser agir par Lui. Les Dons, où s'exprime sa présence multiforme, trouveraient dans ce contact quotidien un moyen d'expression toujours renouvelé.

Esprit-Saint, - pourrait dire le chrétien dans le recueillement de sa prière du soir, - Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et de vérité, ma vie aussi est une parabole. Le Seigneur n'est plus là pour m'en dévoiler les secrets, comme il fit pour les Douze; je ne peux pas m'asseoir à ses pieds, et le presser de mes questions, et offrir à sa lumière, une à une, les zones enténébrées de mon esprit et de mon cœur ; du moins êtes-vous là, envoyé par Lui, en son Nom et pour tenir sa place.

Esprit de conseil, il y a tant de choses que je ne comprends pas, en moi et autour de moi, tant d'événements qui m'accablent, et aujourd'hui même j'ai tracé si mal ma route que je ne vois plus très bien où demain sera mon devoir.

Esprit de force, entendez gronder en moi ces tentations avilissantes, voyez ces flots tumultueux qui bientôt vont déborder de toutes parts et submerger ma fragile volonté. Je ne suis pas loin de la désespérance.

Esprit d'amour, moi qui avais tant rêvé d'aimer le Christ et mes frères à plein cœur, pourquoi suis-je aussi ingrat et égoïste ? Pourquoi les voix de la chair et du sang sont-elles si séduisantes que j'ai peur de ne plus savoir entendre votre voix ?

Esprit de science, faites que mes yeux découvrent avec lucidité le vrai visage du monde créé et sachent lire le nom des idoles.

Esprit d'intelligence, ouvrez en même temps mes yeux sur les insondables mystères du Père et du Fils, et apprenez-moi l'adoration.

Esprit de mon Dieu, permettez que je tienne, ce soir, conseil avec vous...

Et l'Esprit-Saint répondrait.

(1) Actes, a, 44.
(2) Actes, XV, 28.


In Le Saint-Esprit, auteur de la Vie spirituelle, Paris, Le Cerf, Cahiers de la Vie spirituelle.