Ecrits du XI° au XVI° siècle
Saint Bernard (1091-1153)
Partout dans ce Cantique des cantiques, l'amour parle ; si on veut comprendre ce qu'on y lit, il faut aimer. Ce serait vainement qu'on lirait ou que l'on écouterait le chant de l'amour, si on n'aime pas ; un cœur froid ne peut comprendre une parole de feu. […] Ceux qui ont reçu de l'Esprit-Saint la grâce d'aimer comprennent son langage, et à ses paroles d'amour, qui leur sont bien connues, ils répondent aussitôt par un langage semblable, c'est-à-dire par des œuvres d'amour et de piété.
Extrait du Commentaire du Cantique des cantiques, in Textes mystiques d'Orient et d'Occident, Solange Lemaître, Paris, Plon, 1936, t. II., cité par l'abbé Pourrat, in La Spiritualité chrétienne, Paris, Gabalda, 1926
Qu'est-ce qu'Il te demande donc Celui qui t'a cherché avec tant de sollicitude, sinon que tu aies la sollicitude de ne pas te séparer de ton Dieu au cours de ta vie ? Cette sollicitude ne peut être que l'œuvre de l'Esprit-Saint, lui qui scrute les profondeurs de nos cœurs, qui discerne nos pensées et les intentions de notre cœur, lui qui ne supporte pas que le moindre brin de paille séjourne à l'intérieur du cœur qu'il possède sans qu'aussitôt il l'enflamme aux ardeurs de son regard subtil et pénétrant, cet Esprit, dis-je, plein de douceur et de suavité, qui plie notre volonté, ou plutôt qui la redresse et la conforme à la sienne, afin que nous puissions la comprendre avec vérité, l'aimer avec ferveur et réellement l'accomplir.
Extrait du II° Sermon pour le jour de la Pentecôte, in Textes mystiques d'Orient et d'Occident, Solange Lemaître, Paris, Plon, 1936, t. II., Œuvres de saint Bernard, trad. M.-M. Davy, Paris, Aubier
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Adam de Saint-Victor (XII° siècle)
Séquences
I
O Toi, qui procèdes du Père et du Fils, divin Paraclet, par ta flamme féconde viens rendre éloquent notre organe, et embraser nos cœurs de tes feux.
Amour du Père et du Fils, l'égal des deux et leur semblable en essence, tu remplis tout, tu donnes la vie à tout ; dans ton repos, tu conduis les astres, tu règles le mouvement des cieux.
Lumière éblouissante et chérie, tu dissipes nos ténèbres intérieures ; ceux qui sont purs, tu les rends plus purs encore ; c'est toi qui fais disparaître le péché et la rouille qu'il apporte avec lui.
Tu manifestes la vérité, tu montres la voie de la paix et celle de la justice ; tu fuis les cœurs pervers, et tu combles des trésors de ta science ceux qui sont droits.
Si tu enseignes, rien ne demeure obscur; si tu es présent à l'âme, rien ne reste impur en elle ; tu lui apportes la joie et l'allégresse, et la conscience que tu as purifiée goûte enfin le bonheur. [...]
Secours des opprimés, consolation des malheureux, refuge des pauvres, donne-nous de mépriser les objets terrestres ; entraîne notre désir à l'amour des choses célestes.
Tu consoles et tu affermis les cœurs humbles ; tu les habites et tu les aimes ; expulse tout mal, efface toute souillure, rétablis la concorde entre ceux qui sont divisés, et apporte-nous ton secours.
Tu visitas un jour les disciples timides ; par toi ils furent instruits et fortifiés ; daigne nous visiter aussi et répandre ta consolation sur nous et sur le peuple fidèle. [...]
II
[...] Viens donc à nous, auguste Consolateur! gouverne nos langues, apaise nos cœurs : ni fiel ni venin n'est com-patible avec ta présence. Sans ta grâce, il n'est ni délice, ni salut, ni sérénité, ni douceur, ni plénitude. [...]
In L'année liturgique, Dom Guéranger, Tours, Mame et Fils, 1920, t.III
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Sainte Hildegarde (1098-1188)
O feu de l'Esprit paraclet, vie de la vie de toute créature, tu es saint, toi qui vivifies les formes.
Tu es saint, toi qui couvres de baume les dangereuses fractures ; tu es saint, toi qui panses les fétides blessures.
O souffle de sainteté, ô feu de charité, ô douce saveur dans les cœurs, et pluie dans les âmes, odorante de vertus.
O très pure fontaine où l'on voit Dieu assembler les étrangers et rechercher les égarés.
O cuirasse de la vie, espoir de l'union de tous les hommes, retraite de la beauté, sauve les êtres !
Garde ceux qu'a emprisonnés l'ennemi et délivre ceux qui sont enchaînés, ceux que veut sauver la divine puissance !
O chemin très sûr, qui passes par tous lieux, sur les cimes et dans les plaines et dans les abîmes, pour rappro-cher et réunir tous les êtres !
Par toi les nuages courent, l'air plane, les pierres se couvrent d'humidité, les eaux deviennent ruisseaux et la terre transpire la verdoyante sève.
C'est toi aussi qui toujours mènes ceux qui savent et les remplis de joie par l'inspiration de ta sagesse.
Donc, louange à toi qui fais résonner les louanges et réjouis la vie, à toi l'espoir, l'honneur et la force, à toi qui apportes la lumière.
In Textes mystiques d'Orient et d'Occident, Solange Lemaître, Paris, Plon, 1936, t. II., traduit du latin par Bertrand Guédan, in Mesures, 15 avril 1936
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Sainte Gertrude (1256-1303)
Prière
O Saint-Esprit, Dieu amour, nœud de la sainte Trinité par l'amour, vous vous reposez et vous prenez vos délices entre les enfants des hommes, dans la sainte chasteté qui, par l'influence de votre force et de vos charmes, fleurit ici-bas comme la rose entre les épines.
Esprit-Saint ! Amour ! Amour ! Dites-moi quel chemin conduit à un si délicieux séjour, où est le sentier de la vie qui mène à ces prairies fécondées de la rosée divine, où se désaltèrent les cœurs altérés. O Amour, vous seul connaissez ce chemin qui mène à la vie et à la vérité. C'est en vous que s'accomplit l'alliance pleine de délices qui unit entre elles les divines personnes de la Trinité sainte. Par vous, ô Esprit-Saint, sont répandus sur nous les plus précieux dons. De vous procèdent les semences fécondes qui produisent les fruits de la vie. De vous émane le miel si doux des délices qui ne sont qu'en Dieu. Par vous descendent sur nous les eaux fertiles des bénédictions divines, les dons si chers de l'Esprit, mais si rares, hélas! dans notre région.
Extrait des Exercices, 3° Exercice, in De l'Eucharistie à la Trinité, par Bernardot, Paris, Le Cerf, 1937
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Saint Jean de la Croix (1542-1591)
0 vive flamme d'Amour,
Comme vous me blessez avec tendresse,
Dans le centre le plus profond de mon âme.
Puisque vous ne me causez plus de chagrin,
Achevez votre œuvre, si vous le voulez bien,
Déchirez la toile qui s'oppose à notre douce rencontre.
L'âme s'écrie : " O vive flamme d'amour "
Cette flamme d'amour est l'esprit de son époux, c'est-à-dire l'Esprit-Saint. Elle le sent en elle-même comme un feu qui non seulement la consume et la transforme en un suave amour, mais qui, de plus, brûle en elle et, comme je l'ai dit, lance des flammes ; cette flamme, chaque fois qu'elle jaillit, baigne de gloire l'âme elle-même et lui confère un rafraîchissement de vie éternelle. Telle est l'opération du Saint-Esprit dans l'âme transformée en amour ; elle produit des actes intérieurs qui jettent des flammes et sont tout brûlants d'amour ; la volonté s'y unissant aime d'une manière très élevée, parce qu'elle est transformée en amour avec cette flamme. Voilà pourquoi ces actes d'amour sont du plus haut prix. Un seul d'entre eux a plus de mérite et plus de valeur que tout ce qu'elle a pu faire de plus grand dans toute sa vie avant sa transformation. La différence qui existe entre l'habitude et l'acte se retrouve dans la transformation en amour et la flamme d'amour. Il en est de même du bois enflammé qui diffère de la flamme, car la flamme est un effet du feu dont il brûle. Aussi pouvons-nous dire de l'âme qui est dans cet état de transformation d'amour, qu'elle a contracté l'habitude même de l'amour ; elle est semblable au bois qui est toujours incandescent ; ses actes sont des flammes qui jaillissent des feux de l'amour et s'élancent avec d'autant plus de force que le feu de l'union est plus intense. C'est dans ces flammes que s'unissent et s'élèvent les actes de la volonté quand elle est ravie et absorbée par la flamme de l'Esprit-Saint. Elle agit comme l'ange qui s'éleva vers Dieu dans la flamme du sacrifice de Manué (Livre des Juges, ch. XIII, v. 20).
Aussi lorsque l'âme est dans cet état, elle ne peut produire des actes par elle-même ; c'est l'Esprit-Saint qui les produit tous ou la porte à les produire. Dès lors qu'elle est divinisée et mue par Dieu, tous ses actes sont divins. Chaque fois que cette flamme s'élance et provoque en elle un amour plein de suavité et de force divine, il lui semble qu'on lui donne à goûter la vie éternelle, car elle est élevée à agir comme Dieu et en Dieu. C'est là un langage, ce sont là des paroles que Dieu adresse aux âmes qui sont purifiées et sans tache quand il traite avec elles. Ses paroles sont toutes embrasées d'amour comme le dit David : " Votre parole est toute embrasée. " Le prophète Jérémie a dit de même : " Est-ce que ma parole n'est pas comme du feu ? " Le Seigneur nous dit dans saint Jean : " Mes paroles sont esprit et vie. " Or les âmes qui ont des oreilles pour les entendre sont, je le répète, celles qui sont pures et embrasées d'amour ; mais celles dont le palais n'est pas sain parce qu'elles se nourrissent de choses étrangères, ne peuvent en goûter l'esprit et la vie ; elles en éprouvent au contraire du dégoût [...] Or, cette âme se trouvant si près de Dieu qu'elle est transformée en cette flamme d'amour où le Père, le Fils, et le Saint-Esprit lui sont communiqués, est-ce qu'il serait incroyable qu'elle goûte quelque peu à la vie éternelle, quoique d'une façon imparfaite, à cause des conditions de la vie présente ? Mais les délices dont elle est inondée sont tellement élevées que cet amour ardent que l'Esprit-Saint produit en elle lui donne déjà à savourer ce que sera la vie éternelle ; aussi l'appelle-t-elle une vive flamme ; ce n'est pas que cette flamme soit toujours ardente, mais parce que l'effet qu'elle produit est tel qu'il la fait vivre en Dieu spirituellement et sentir la vie de Dieu de la même manière que l'éprouvait David quand il dit : " Mon cœur et ma chair ont tressailli d'allégresse dans le Dieu vivant. "
Extrait de La Vive Flamme d'Amour, in Œuvres spirituelles, Paris, Le Seuil, 1923