Mois de Marie

d'après Bossuet



Vingt-et-unième Jour

Le fils du marin

C’était dans un village des bords de la Manche : y vivait, honnête et heureux, un jeune ménage composé du père, de la mère et d’un petit enfant de cinq ans. Le mari allait à la pêche au long cours, dans le temps voulu, et gagnait ainsi la vie de sa petite famille. Un jour il partit avec un temps magnifique, sans que rien pût faire prévoir le drame qui se préparait. En effet, le soir de son départ, le soleil se ternit tout à coup et au fond de l’horizon on aperçut un point noir qui épouvanta les gens du village. Ce point noir, ils le connaissaient. C’était avant qu’on ait le temps de prendre les précautions voulues, en pleine mer, la tempête qui arrivait. Elle fut terrible, affreuse et fit rage toute la nuit. La pauvre femme du pécheur était sur le bord de la mer en furie sous les rafales du vent et les cris du tonnerre, scrutant l’horizon épouvantable, priant, à genoux dans le sable détrempé, pour que Dieu sauve l’absent. La nuit passa, la tempête tomba et au matin, quand les flots chantaient insouciants, rien n’était revenu de la haute mer. Si, pourtant, le vent poussait au bord, des débris de barque. On s’approche, c’est celle du mari de la pauvre femme. Ciel ! elle a dû se briser contre les récifs qui sont à quelques lieues de la grève, peut-être y est-il échoué lui-même. Vite, on dépêche une chaloupe, on explore et hélas ! on vient apprendre à la pauvre femme qu’elle est veuve.
Elle pleura beaucoup, fut triste à mourir, mais elle était mère et, à cause du petit gars, elle se reprit et travailla. Mais elle devint rapidement pauvre et quand son fils eut dix-huit ans, elle, brisée par la souffrance et ne pouvant plus travailler, force fut d’envoyer le jeune homme, à son tour, à la pêche au long cours.
Et le temps était beau et la mer était calme. Et le soir, oh ! même scène qu’il y a treize ans pour son père. La tempête est aussi implacable, la pauvre femme plus suppliante. Cependant elle avait un espoir. Avant que son fils ne parte, elle l’avait appelé, lui présentant un vieux chapelet tout rouillé. « Prends ce chapelet, avait-elle dit, c’est celui de ton vieux grand-père. Le cher vieillard a subi trente tempêtes et il est mort tranquillement dans son lit. Mais aussi, lorsque le vent était méchant, il récitait toujours son chapelet. Jure-moi que si la tempête vient, tu saisiras ce chapelet et tu te recommanderas à Marie. » L’enfant jura en pleurant.
Et pourtant la tempête faisait rage et, atroce analogie, au matin, elle était calmée et les flots souriants ramenaient encore des débris de barque et c’étaient ceux de la barque du fils de la pauvre femme.
Oh ! Dieu ! quel coup. On va en exploration sur les récifs et les hommes qui s’étaient prêtés à cet office charitable allaient regagner le bord, la mort dans l’âme, quand soudain l’un d’eux pousse un cri. Il aperçoit un corps. On court, c’est bien celui du jeune homme. Il est pâle comme un mort mais son cœur bat. On remarque qu’il fut jeté sur la pente du rocher, tout prêt à tomber à la mer. Qu’est-ce donc qui l’avait retenu là ? On regarde de près. Dans sa chute, il avait accroché sa main droite à une anfractuosité du roc où elle semblait fixée comme une ancre de sauvetage. On regarde de plus près encore et l’on voit dans cette main droite un vieux chapelet !
Marie avait sauvé l’enfant.

Résolution. – Maintenir en nous la componction du cœur.


Pratique du jour

Comme Marie aima Jésus enveloppé des langes de Bethléem, aimons-le voilé sous les langes eucharistiques sur nos autels. C’est l’amour qui l’enchaîne dans nos tabernacles : que ce soit l’amour qui nous attire à ses pieds. Il nous donne non seulement tout ce qu’il a, mais encore tout ce que nous sommes. Et si cette donation ne nous semble pas, dans notre faiblesse, pouvoir être accomplie tout d’un coup, faisons-lui du moins hommage de notre bonne volonté.
Mais ne nous y méprenons-pas. Il n’y a pas d’autre bonne volonté que celle qui est conforme à la volonté de Dieu. « Réglons donc notre volonté par celle de Dieu (1), et nous serons des hommes de bonne volonté, pourvu que ce ne soit pas par insensibilité, par indolence, par négligence et pour éviter le travail, mais par la foi que « nous rejetions tout sur Dieu ». Les âmes molles et paresseuses ont plus tôt fait en disant tout à coup : Que Dieu fasse ce qu’il voudra ! et ne se soucient que de fuir la peine et l’inquiétude. Mais pour être véritablement conforme à la volonté de Dieu, il faut savoir lui faire un sacrifice de ce qu’on a de plus cher, et avec un cœur déchiré lui dire : Tout est à vous ; faites ce qu’il vous plaira… celui qui adore en cette sorte est vrai homme de bonne volonté ; et, élevé au-dessus des sens et de sa volonté propre, il glorifie Dieu dans les lieux hauts. C’est ainsi qu’il a la paix, et il tâche de calmer le trouble de son cœur, non point à cause qu’il le peine, mais parce qu’il empêche la perfection du sacrifice qu’il veut faire à Dieu ; autrement il ne chercherait qu’un faux repos, et voilà ce que c’est que la bonne volonté.
La bonne volonté, c’est le sincère amour de Dieu, et, comme parle saint Paul, « c’est la charité d’un cœur pur, d’une conscience droite et d’une foi qui ne soit pas feinte. » (a) »

       (1) : Elévations, XVIe sem., IXe élévat.
       (a) : II Timoth. I, 5.


Prière

C’est vous, Mère heureuse entre toutes, qui avez donné un jour l’Homme-Dieu à la terre, et c’est vous encore qui l’avez fait naître en chacun de nous. Il était bien petit et bien faible à Bethléem, ce divin Enfant ; il est bien petit et bien faible aussi dans nos pauvres cœurs ! Faites-l’y croître, Mère chérie : qu’il y grandisse pour qu’il en chasse tout le reste, et qu’il les remplisse seul à jamais ! Modelez-nous ensuite sur lui comme sur le type éternel de la sainteté véritable. N’êtes-vous pas Celle que saint Augustin ose appeler « le moule de Dieu », forma Dei ? De vos mains virginales moulez donc notre argile corrompue sur cet exemplaire parfait dès sa première heure. Retranchez de nos cœurs tout ce qui doit en être retranché ; ajoutez-y ce qui leur manque, et faites qu’ils n’aient plus qu’un souci sur la terre : vous plaire, se haïr et aimer Dieu. Ainsi soit-il.


Premier Jour       Jour précédent       Jour suivant