Sixième Jour Le « Souvenez-vous » Nous sommes à Nice, dans la chambre d’une jeune orpheline qui a fait partie d’une troupe théâtrale. Pourquoi est-elle actrice ? Parce que, malgré ses répugnances, son tuteur a voulu qu’elle fut élève du Conservatoire. Contrainte, elle avait dû obéir ; mais, avant de quitter son pays natal, elle avait promis à la sainte Vierge, à genoux au pied de son autel, qu’elle ne passerait pas un jour sans réciter le « Souvenez-vous ». Elle était donc actrice ; un soir elle ne jouait pas, elle voulut se délasser en assistant elle-même au spectacle. Au moment de sortir, le facteur lui remet une lettre. La lettre avait de longues pages : elle lui venait d’une amie intime, son ancienne compagne de la Congrégation. Souvenir d’une amitié, nouvelles du pays, détails sur la Congrégation, conseils pieux, rappel de la promesse du « Souvenez-vous », tout autant de choses qui empoignent le cœur de la jeune actrice, lui font oublier l’heure du spectacle et la mettent en retard. Elle sort cependant et se rend au théâtre lentement, livrée à ses pensées. Elle s'apprêtait à pénétrer dans la salle, lorsque le cri sinistre : Au feu ! se fait entendre. Arrachée brusquement à sa rêverie, elle s'enfuit affo¬lée ; et, tandis qu'elle s'éloigne, elle entend les cla¬meurs de l'assistance qui s'est précipitée comme un torrent vers toutes les issues. Elle arrive chez elle plus morte que vive. Et la pre¬mière chose qu'elle aperçoit, c'est la lettre qui l'a absorbée et empêchée d'aller occuper la loge où elle s'était promise de prendre place. Un éclair traverse son esprit et la foudroie ; elle se reconnait redevable à la Sainte Vierge de la conserva¬tion de sa vie ; tombant aussitôt à genoux, elle récite en sanglotant le « Souvenez-vous ». Le lendemain, elle dit un adieu éternel au théâtre et à tous les plaisirs du monde. Quelques mois plus tard, vous auriez pu entendre dans la chapelle du Carmel une voix fraîche et pure, qu'une émotion mal contenue rendait plus belle encore : c'était l'ancienne actrice qui chantait le Quid retribuam ? Le « Souvenez-vous », la carmélite le récite plusieurs fois chaque jour, toujours avec émotion ; et elle le récite pour obtenir que Marie fasse à d'autres la même grâce de salut. (Abbé Millot, Trésor d'Histoires). Résolution. – Confier tout ce qui nous touche à Marie comme à une mère très amante. Pratique du jour « Tout arbre qui ne produira pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » Cette malédiction portée par Jésus-Christ contre la stérilité est effrayante, et un trop grand nombre de chrétiens n’y prennent point garde. Elle demeure pourtant ; car si les cieux et la terre passeront, les paroles de Dieu ne passent point. Pour être admise à l’éternelle récompense, notre âme doit dès lors porter des fruits de salut. Or qui lui confèrera la fécondité nécessaire ? La charité, cette charité si divinement féconde au ciel, si saintement féconde sur la terre, si puissante dans tous les cœurs. Pratiquons-la donc aujourd’hui aussi parfaitement que possible, et, sous le regard des anges, laissons-lui faire aussi dans nos âmes l’œuvre de Dieu. Prière « Intercédez pour nous (1), ô bienheureuse Marie ; vous avez en vos mains, si je l’ose dire, la clef des bénédictions divines. C’est votre Fils qui est cette clef mystérieuse par laquelle sont ouverts les coffres du Père éternel ; il ferme, et personne n’ouvre ; il ouvre, et personne ne ferme ; c’est son sang innocent qui fait inonder sur nous les trésors des grâces célestes. Et à quel autre donnera-t-il plus de droit sur ce sang qu’à celle dont il a tiré tout son sang ? Sa chair est votre chair, ô Marie, son sang est votre sang ; et il me semble que ce sang précieux prenait plaisir de ruisseler pour vous à gros bouillons sur la Croix, sentant ben que vous étiez la source dont il découlait. Au reste, vous vivez avec lui dans une amitié si parfaite, qu’il est impossible que vous n’en soyez pas exaucée. » Priez donc ce maître miséricordieux entre tous pour qu’il nous abreuve de ses grâces et que, remédiant ainsi à notre stérilité criminelle, il rende nos âmes fécondes pour l’éternité. Ainsi soit-il. (1) : Bossuet, Œuvres orat., t. I, p. 86, 87. |