« Je ne sais ni bêcher, ni herser, ni faucher, Et je mange le pain que d'autres ont semé. Mais tout ce que l'on peut moissonner de douceur, Je l'ai semé, Seigneur. Je ne sais ni dresser un mur de bonne pierre, Ni couler une vitre où se prend la lumière. Mais tout ce que l'on peut bâtir sur le bonheur, Je l'ai bâti, Seigneur. Je ne sais travailler ni la soie, ni la laine, Ni tresser en panier le jonc de la fontaine. Mais ce qu'on peut tisser pour habiller le cœur, Je l'ai tissé, Seigneur. Je ne sais ni jouer de vieux airs populaires, Ni même retenir par cœur une prière. Mais ce qu'on peut chanter pour se sentir meilleur, Je l'ai chanté, Seigneur. Ma vie s'est répandue en accords à vos pieds. L'humble enfant que je fus est enfant demeuré, Et le peu qu'un enfant donne dans sa candeur, Je vous l'offre, Seigneur. » Maurice Carême (1899-1978), Poèmes (Heure de Grâce, 1957). |