Quatorzième Jour L’espoir d’un vieillard Un évêque écossais parcourait à pied les montagnes de son diocèse. La nuit le surprit dans une forêt où il s’était égaré. Après avoir longtemps cherché, il rencontra enfin une chaumière, habitée par une pauvre famille. Ces braves gens le reçurent sans savoir qui ils possédaient sous leur toit, car l’étranger s’était enveloppé d’un large manteau. L’évêque de son côté ignorait quels étaient ses hôtes. Etaient-ils catholiques ? Etaient-ils protestants ? Aucun indice n’était là pour éclairer ce doute. Cependant, après un moment d’une mutuelle réserve, la physionomie de cette humble famille commença à se dessiner et l’évêque put avoir des soupçons favorables. Il ne tarda pas à s’apercevoir, malgré les efforts qu’on faisait pour le cacher, qu’une grande tristesse accablait ces pauvres gens et que quelque deuil profond les affligeait. Après avoir hésité quelque peu, l’évêque s’enhardissant leur dit : - Vous êtes tous bien bons, mais vous me paraissez bien tristes. - Hélas, oui, répondit aussitôt la mère, qui semblait attendre cette question pour se décharger, oui, nous sommes tristes. Ici, à côté de nous, couché sur un pauvre lit, notre vieux père va mourir ; et ce qui nous afflige le plus, c’est qu’il prétend vivre encore, et refuse obstinément de se préparer à la mort. - Pourrais-je le voir ? demanda l’évêque ému et surpris. - Volontiers, répondit la femme, avec cette confiance qui est le propre des âmes affligées. Et de suite elle introduisit son hôte dans la petite chambre du malade. Effectivement, le vieillard était réduit à l’extrémité : la mort semblait n’avoir plus qu’un pas à faire pour l’atteindre, et le malade ne voulait pas mourir. A la première allusion que fit l’évêque de son état, il sembla retrouver toute sa vigueur et répondit avec force : - Non, je ne mourrai pas. - Mais, mon ami, songez-y donc ; nous devons tous mourir, et votre maladie jointe à votre âge… - Je vous dis que je ne mourrai pas ! C’est impossible. Et à toutes les réflexions qu’on lui opposa pour le persuader, ce fut son invariable réponse : « Je ne mourrai pas ! Je ne mourrai pas encore ! » - Mais, lui dit enfin l’évêque, me direz-vous pour quelle raison, n’ayant plus qu’un souffle de vie, vous prétendez ne pas mourir ? A cette question, le moribond semble frappé, et jetant sur son interlocuteur un regard plein de vie, il lui dit d’un ton profondément ému : - Monsieur, êtes-vous catholique ? - Oui, je le suis, répondit l’évêque. - En ce cas, dit le malade, je vous dirai pourquoi je ne mourrai pas. Et ramassant toute son énergie, il se leva sur son séant, et lui dit d’une voix mourante, mais encore forte : - Je suis catholique aussi, monsieur. Depuis ma première communion jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais manqué de demander chaque jour à la Sainte Vierge la grâce de ne pas mourir sans avoir un prêtre à mon lit de mort, et vous croyez que ma Mère pourrait ne pas m’exaucer ? C’est impossible ! C’est impossible ! Je ne mourrai pas. - Mon enfant, s’écria alors l’évêque, touché jusqu’au fond de l’âme, mon enfant, vous êtes exaucé. Celui qui vous parle est plus qu’un prêtre, c’est votre évêque. La sainte Vierge elle-même l’a conduit à travers les forêts pour recueillir votre dernier soupir. Et, ouvrant son manteau, il fit briller aux yeux du vieillard sa croix pectorale. A cette vue, le malade transporté de joie s’écria : « O Marie, ô ma bonne Mère, je vous remercie ! » Puis, se tournant vers l’évêque : « Confessez-moi, dit-il ; maintenant je crois que je vais mourir. » Quelques instants après, purifié une dernière fois, il mourait en prédestiné. (Abbé Allègre, Nouvelle Corbeille, page 174). Résolution. – Donner souvent dans la journée notre cœur à Jésus. Pratique du jour « Quels sont les enfants de Marie (1) ? Qui ne voit que ses véritables enfants sont ceux qu’elle trouve au pied de la croix avec Jésus-Christ crucifié ? Et qui sont ceux-là ? Ce sont ceux qui mortifient en eux le vieil homme, qui crucifient le péché et ses convoitises par l’exercice de la pénitence. Voulez-vous être enfants de Marie ? Prenez sur vous la croix de Jésus. » (1) : Bossuet, Œuvres orat., t. II, p. 236. Prière En votre divin Fils seul, ô Mère de miséricorde, habitent la plénitude de la Divinité et toutes les autres plénitudes de grâce. Il est l’unique Maître qui doive nous enseigner, l’unique Seigneur de qui nous devions dépendre, l’unique chef auquel nous devions être, l’unique modèle que nous devions copier, l’unique médecin qui puisse nous guérir, l’unique voie que nous ayons à suivre, l’unique vérité qu’il nous faille croire, l’unique vie qui soit capable de nous vivifier, l’unique tout enfin qui nous doive suffire. Il n’y a pas d’autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés (1). Et notre perfection, notre salut, notre gloire n’ont pas d’autre fondement que Jésus-Christ, pierre angulaire du monde. Jésus-Christ nous est donc indispensable. Une première fois nous l’avons reçu de vos mains : donnez-le-nous de plus en plus, ô Vierge sainte. Revêtez-nous de lui, suivant le conseil de l’Apôtre. Transformez-nous en lui, et faites de chacun de nous des copies si fidèles de ce divin exemplaire, que nous soyons vraiment en Lui, par Lui et avec Lui pendant tout le temps de notre vie. Ainsi soit-il. (1) : Actes IV, 12. |