Treizième Jour Au second « Ave Maria » C’était en 1880, raconte un missionnaire. Une femme naguère dévote s’était si malheureusement laissé envenimer par la rancune contre son propre frère, qu’elle avait juré de ne lui pardonner ni en ce monde ni en l’autre. Elle avait délaissé pour cela les sacrements et même la prière. Or, une maladie mortelle survint qui la minait sans pitié. Le curé de la paroisse essaya vainement tout son zèle. Quand j’eus commencé la mission, il me pria d’essayer à mon tour. Cette pauvre femme me dit des choses terribles. « Voyez, ajouta-t-elle, je veux que sur ma tombe on grave ces paroles : Ci-git une femme qui s’est vengée ! – Et l’enfer ? lui répliquai-je avec compassion. – L’enfer ? La pensée de m’être vengée me consolera de tous mes tourments. » Epuisé à mon tour, je conseillai à cette malheureuse de prier pour obtenir la force de pardonner. « Je sais, répondit-elle, que j’obtiendrais cette grâce, mais je ne veux pas l’obtenir. – Et pour moi, repris-je, consentiriez-vous à prier ? – Oh ! tant que vous voudrez ! » Je me mis à genoux, en tirant de mon bréviaire une image de la Sainte Vierge, je la lui mis entre les mains en récitant l’Ave Maria. Au second Ave, cette pauvre pécheresse m’arrêta : « Père, dit-elle, n’allez pas plus loin. Je pardonne ! Confessez-moi ! » On ne saurait peindre le rayonnement qui éclaira son visage, mais j’aime à attester à la gloire de la très sainte Vierge, que ce jour-là je vis de mes yeux que la prière, présentée surtout par la sainte Vierge, est une flèche qui transperce les cieux. (Abbé Millot, Trésor d’Histoires). Résolution. – Etre docile à correspondre à la grâce. Pratique du jour Rendons à notre divine Mère amour pour amour. Mais comme l’amour que nous lui offrirons serait sans aucun prix à ses yeux, s’il n’avait pour base solide le véritable amour de Dieu, établissons-nous fermement dans la perfection de cet amour. Or « l’ordre est parfait, si on aime Dieu plus que soi-même (1), soi-même pour Dieu, le prochain non pour soi-même, mais comme soi-même pour l’amour de Dieu. » Par conséquent, « il faut s’aimer soi-même pour Dieu, et non pas Dieu pour soi. » Principe fécond et que nous sommes si portés à oublier ; mais principe si vrai, que « s’il fallait, pour plaire à Dieu, s’anéantir et qu’on sûr que ce sacrifice lui fût agréable, il faudrait le lui offrir sans hésiter. » Le véritable amour l’exige. Qu’est-ce en effet que cet amour, sinon « un consentement et une union à ce qui est juste et à ce qui est le meilleur ? Or n’est-il pas plus juste et mille fois meilleur que Dieu soit nous ? Mais l’amour-propre étant le vrai fond laissé en nous par le péché originel, « nous rapportons tout à nous et Dieu même, au lieu de nous rapporter à Dieu et de nous aimer pour Dieu. » Quant à l’amour du prochain, il doit aussi découler de l’amour de Dieu ; car « qui n’aime pas Dieu n’aime que soi. Pour aimer son prochain comme soi-même, il faut être auparavant sorti de soi-même et aimer Dieu plus que soi-même. L’amour, une fois uni à cette source, se répand avec égalité sur le prochain. » (1) : Bossuet, Médit. Sur l’Evang., XI, VIIe jour. Prière O Marie, Mère immaculée du Verbe, Sauveur du monde, que pourrons-nous jamais dire qui ne soit au-dessous de votre gloire ? Fussent-elles unies en un même concert, toutes les langues humaines ne parviendraient pas encore à vous louer dignement, ô Vierge sainte ! N’êtes-vous pas, en effet, la femme bénie entre toutes qui a porté dans son chaste sein le Dieu qui lui-même porte le mode ? N’êtes-vous pas la co-rédemptrice du genre humain ? Source du bien comme Eve avait été la source du mal ici-bas, ne nous y avez-vous pas donné Celui qui est la vie et la lumière ? Fontaine scellée, jardin clos du Maître, temple de Dieu, ne portez-vous pas autour de votre front radieux la double auréole de la Vierge et de la Mère, qui ne couronne pas d’autre front que le vôtre ? Comment donc chanterions-nous dignement tant de grandeur ? Ah ! plutôt que de vouloir l’essayer, « que nos lèvres, suivant le mot de saint Augustin, cessent de balbutier les louanges qui montent vers vous du sanctuaire de nos âmes. » Mais si ces gloires nous avertissent de nos faiblesses, elles nous rappellent aussi votre puissance, Mère bénie. Laissez-nous l’implorer ardemment, cette puissance, des profondeurs de notre misère. Prêtez l’oreille à nos voix d’exilés et à nos suppliantes prières. Priez pour nous le Roi des rois, et obtenez-nous de sa profusion divine la grâce de le servir toujours avec une fermeté d’âme indomptable. Ainsi soit-il. |