4. Différence entre les damnés et les âmes du purgatoire.

Les âmes qui sont au purgatoire se trouvent sans la coulpe du péché. (7) En conséquence, il n'y a pas d'obstacle entre Dieu et elles, hors cette peine qui les retarde et qui consiste en ce que leur instinct béatifique n'a pas atteint sa pleine perfection.

Voyant en toute certitude combien importe le moindre empêchement, voyant que la justice exige que leur attrait soit retardé, il leur naît au coeur un feu d'une violence extrême, qui ressemble à celui de l'enfer.

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(7) Vue profonde de Catherine. A la mort, tout le sensible disparaît, tout le transitoire s'évanouit. L'âme s'établit dans l'absolu. Il n'y a plus dans l'au-delà de péché véniel. C'est le refus ou le don, total et définitif l'un et l'autre. Dans l'âme au purgatoire règne la charité divine sans mélange d'aucun péché. Catherine y revient plus loi
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Il y a la différence du péché qui rend mauvaise la volonté des damnés de l'enfer ; à ceux-ci Dieu ne fait point part de sa bonté. Il demeurent dans cette malice désespérée, opposée à la volonté de Dieu.

On voit par là que cette opposition de la volonté mauvaise à la volonté de Dieu est cela même qui constitue le péché. Comme leur volonté s'obstine dans le mal, le péché aussi se maintient. Ceux de l'enfer sont sortis de cette vie avec leur volonté mauvaise. Aussi leur péché n'est pas remis et ne peut l'être, parce qu'ils ne peuvent plus changer de volonté, une fois qu'ils sont sortis ainsi disposés de cette vie. En ce passage l'âme s'établit définitivement dans le bien ou dans le mal, selon qu'elle s'y trouve par sa volonté délibérée, conformément à ce qui est écrit ; «Là où je te trouverai, c'est-à-dire au moment de la mort, avec cette volonté ou du péché ou de rejet et de regret du péché, là je te jugerai.» (8)

Ce jugement est sans rémission puisque après la mort la liberté du libre vouloir n'est plus sujette au changement. Elle reste fixée dans la disposition où elle se trouvait au moment de la mort.

Ceux de l'enfer, pour s'être trouvés à ce moment avec la volonté de pécher, portent sur eux la coulpe et la peine. Celle-là est infinie ; celle-ci n'est pas aussi grave qu'ils l'ont méritée, mais ils la porteront sans fin.

Au contraire, ceux du purgatoire ont seulement la peine, puisque le péché fut effacé au moment de la mort. car ils étaient contrits de leurs fautes et se repentaient d'avoir offensé la bonté de Dieu. Aussi leur peine aura sa fin, elle va diminuant sans cesse dans le temps, comme il a été dit. (9)

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(8) Ce texte n'est pas dans l'Écriture sainte. C'est une parole du Christ rapportée par saint Justin et d'autres premiers Pères.
(9) Selon Catherine, la peine diminue, non en intensité, mais seulement en durée, à mesure qu'on approche de la délivrance.
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5. Dieu montre sa bonté même envers les damnés.

Ce châtiment des damnés n'est pas infini en quantité. La raison en est que la douce bonté divine étend le rayon de sa miséricorde jusqu'en enfer.

En effet, l'homme décédé en état de péché mortel mérite un châtiment infini et pour un temps infini. Mais la miséricorde de Dieu a disposé que seul le temps serait sans fin, et les peines limitées en quantité. En toute justice, il aurait pu leur infliger une peine plus grande qu'il ne fait.

Oh ! quel est le danger du péché commis par mauvais vouloir ! C'est à grand'peine que l'homme s'en repent, et tant qu'il n'en a pas de repentir, le péché demeure et ce péché continue aussi longtemps que l'homme reste dans la volonté du péché qu'il a commis ou dans celle de le commettre.

6. Purifiées du péché, c'est avec joie que les âmes du Purgatoire s'acquittent de leurs peine.

Mais les âmes du purgatoire tiennent leur volonté en tout conforme à celle de Dieu. En conséquence, Dieu s'accorde avec elles dans sa bonté et elles demeurent contentes (quant à leur volonté) et purifiées de la coulpe du péché originel et du péché actuel.

Ces âmes sont rendues aussi pures que Dieu les a créées. Quand elles sortent de cette vie contrites de tous les péchés qu'elles ont commis, s'en étant confessées et animées de la volonté de ne les plus commettre, Dieu les absout aussitôt de leur coulpe et il ne reste plus en elles que la rouille du péché. Elles s'en purifient ensuite dans le feu par la souffrance.

Ainsi purifiées de toute coulpe et unies à Dieu par leur volonté, elles voient Dieu clairement, selon le degré de connaissance qu'il leur accorde ; (10) elles voient aussi de quelle valeur il est de jouir de Dieu et que les âmes sont créées précisément pour cela.

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(10) Il ne s'agit pas de la vision face à face réservée au ciel, mais d'une connaissance plus claire que sur terre, puisqu'il n'y a plus de passions ni de perceptions ou souvenirs sensibles pour en troubler la netteté.
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7. De quel violent amour les âmes du Purgatoire aspirent à jouir de Dieu.

Exemple du pain et de l'affamé.

Elles éprouvent de plus une conformité si unifiante à leur Dieu, cette conformité les tire vers lui avec une si grande force par l'instinct de nature qui existe entre Dieu et l'âme. (11) qu'on ne peut donner aucun raisonnement, aucune comparaison, aucun exemple qui puisse expliquer assez cette chose au degré où l'âme la ressent dans son opération en elle et par son expérience intime. J'en donnerai cependant un exemple qui se présente à mon esprit.

Supposons qu'il n'y eût dans le monde entier qu'un seul pain pour enlever la faim à toute créature ; supposons de plus que rien qu'à voir ce pain les hommes en seraient rassasiés.

Étant donné que l'homme, à moins d'être malade, a l'instinct naturel de manger, s'il vient à ne plus manger, tout en étant préservé de maladie et de mort, sa faim grandirait continuellement puisque son instinct de manger ne diminuerait jamais.

Il sait que ce pain est seul capable de le rassasier ; s'il ne peut l'avoir sa faim ne s'en ira pas, il restera dans un tourment intolérable. Plus il s'en approche sans arriver cependant à le voir, plus aussi s'allume le désir naturel que son instinct ramasse tout entier sur le pain en quoi se trouve tout contentement.

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(11) Idée plus d'une fois énoncée par Catherine. Il y a entre Dieu et ses créatures spirituelles un conformité de nature et surnaturelle qui les attire vers lui, si elles n'y mettent obstacle par le péché. On se rappelle S,. Augustin : «Tu nous as faits pour toi, Seigneur ... »
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S'il savait avec certitude que jamais il ne lui sera donné de voir ce pain, à ce moment l'enfer s'accomplirait pour lui ; il serait dans l'état des âmes damnées qui sont privées de toute espérance d'arriver jamais à voir le pain qui est Dieu leur vrai Sauveur.

Mais les âmes du purgatoire ont l'espérance de contempler le pain et de s'en rassasier pleinement. Par suite, elles souffrent la faim et restent dans leur tourment aussi longtemps qu'elles sont retenues de se rassasier de ce pain, Jésus-Christ, vrai Dieu Sauveur, notre Amour.


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