8. L'Enfer et le Purgatoire font connaître l'admirable sagesse de Dieu.

De même que l'esprit net et purifié ne se connaît aucun lieu de repos sinon Dieu même puisqu'il a été créé à cette fin, de même l'âme pécheresse n'a de place nulle part sinon l'enfer puisque Dieu le lui a destiné pour sa fin.

C'est pourquoi au moment même où l'esprit est séparé du corps, l'âme se rend au lieu qui lui est destiné, sans autre guide que la nature même de son péché, au cas où l'âme se détache du corps en état de péché mortel.

Si l'âme ne trouvait pas à ce moment même cette destination qui procède de la justice divine, elle serait dans un enfer pire que l'enfer même. La raison en est que l'âme se trouverait hors de cette disposition divine qui n'est pas sans une part de miséricorde, puisque la peine infligée n'est pas aussi grande qu'elle le mérite. Aussi l'âme, ne trouvant aucun lieu qui lui convienne davantage ni lui soit moins douloureux, Dieu l'ayant disposé ainsi, elle se jette d'elle-même en enfer puisque c'est là sa place.

Il en est de même du purgatoire dont nous parlons. Séparée du corps, l'âme qui ne se trouve pas dans cette netteté dans laquelle Dieu l'a créée, voyant en elle l'obstacle qui la retient et sachant qu'il ne peut être enlevé que par le moyen du purgatoire, elle s'y jette aussitôt et de grand coeur.

Si elle ne découvrait ce moyen disposé par Dieu pour la débarrasser de cet empêchement, à l'instant se formerait en elle un enfer pire que le purgatoire, parce qu'elle se verrait empêchée d'atteindre sa fin qui est Dieu. Cela est pour elle d'une telle importance qu'en comparaison le purgatoire est comme rien, quoique, comme il a été dit, le purgatoire est semblable à l'enfer. Mais c'est en comparaison qu'il est comme rien.

9. Nécessité du purgatoire.

J'ajoute encore ceci que je vois. De la part de Dieu, le paradis est ouvert, y entre qui veut. C'est que Dieu est toute miséricorde, il reste tourné vers nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. (12)

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(12) Jésus a dit : «Celui qui vient à moi je ne le jetterai pas dehors » (Jean, 6,37).
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Mais je vois d'autre part comment cette divine essence est d'une telle pureté et netteté, au-delà de tout ce qu'on pourrait imaginer, que l'âme qui aurait en soi une imperfection aussi légère qu'un fétu minuscule, se jetterait en mille enfers plutôt que de se trouver avec cette tache en présence de la majesté divine.

Aussi voyant que le purgatoire a été fait pour lui enlever ces taches, elle s'y jette. Elle voit que c'est là une grande miséricorde pour elle que ce moyen d'enlever cet empêchement.

10. Comme le purgatoire est chose terrible.

De quelle gravité est le purgatoire, ni la langue ne le peut expliquer, ni l'esprit le saisir. Je ne vois que ceci : que les tourments y égalent ceux de l'enfer. Néanmoins, je vois que l'âme qui découvre la moindre tache d'imperfection le reçoit, selon ce qui a été dit, comme un bienfait qui lui est accordé. Dans un certain sens, elle le tient pour rien en comparaison de cette tache qui arrête son amour.

Je vois aussi que le tourment des âmes du purgatoire consiste bien davantage en ceci qu'elles voient en elles quelque chose qui déplaît à Dieu et qu'elles l'ont contracté volontairement en agissant contre une si grande bonté, plutôt que dans nul autre tourment qu'elles ressentent en purgatoire. C'est qu'étant dans la grâce divine elles voient la réalité et l'importance de cet empêchement qui ne leur permet pas d'approcher de Dieu.

Tout ce qu'on vient de dire, qu'est-ce en comparaison des évidences qui me sont données dans mon esprit (pour autant que j'en ai pu concevoir dans cette vie) ? Devant de telles extrémités, toute vue , toute parole, tout sentiment, toute imagination, toute justice, toute vérité, tout cela n'est pour moi que tromperies et choses de néant.

Je reste confuse, faute de pouvoir trouver des expressions plus fortes.

11. L'amour de Dieu, qui attire les âmes saintes, et l'empêchement qu'elles trouvent dans le péché sont les causes des tourments du purgatoire.

Je vois entre Dieu et l'âme une incroyable conformité. Lorsqu'il la voit dans cette pureté où sa majesté l'a créée, il lui donne une certaine force d'attraction faite d'amour brûlant, capable de la réduire au néant, tout immortelle qu'elle soit.

Il la met dans un état de si parfaite transformation en lui son Dieu, qu'elle se voit n'être plus autre chose que Dieu. Il la tire continuellement à lui, il l'embrasse, il ne la laisse pas jusqu'à ce qu'il l'ait menée à cet être divin dont elle procède, c'est-à-dire à cette pureté dans laquelle il l'a créée.

L'âme se voit, par une vue intérieure, ainsi tirée par Dieu avec un tel feu d'amour. Alors, sous l'ardeur de cet amour embrasé de son doux Seigneur et Dieu qu'elle sent rejaillir en son esprit, elle se liquéfie tout entière.

À la lumière divine, elle voit comment Dieu ne cesse pas un instant de la tirer vers lui pour la conduire à son entière perfection. Il y met un soin extrême, une continuelle sollicitude ; en tout cela Dieu n'agit que par un pur amour. Mais elle-même, par cet obstacle de péché qui subsiste en elle, se trouve empêchée de se livrer à ce divin attrait, c'est -à-dire à ce regard unitif que Dieu lui a donné pour qu'elle soit tirée à lui.

Elle voit aussi combien lui est douloureux se retardement qui la retient de contempler la divine lumière.

S'y ajoute l'instinct de l'âme impatiente d'être libérée de cet empêchement, attirée qu'elle est par ce regard unitif. Je dis que tout cela et la vue qu'en ont les âmes, est ce qui engendre en elles la peine du purgatoire. De cette peine, si grande qu'elle soit cependant, elles ne tiennent pas compte.

Elles s'occupent bien davantage de l'opposition qu'elles ont à la volonté de Dieu. Elles le voient brûler pour elles d'un extrême et pur amour. Cet amour, avec son regard unitif, les tire à soi avec une puissance extrême et sans arrêt, comme s'il n'avait autre chose à faire.

C'est au point que si l'âme pouvait découvrir un autre purgatoire plus fort que celui où elle se trouve, elle s'y jetterait aussitôt pour se débarrasser plus vite de cet empêchement. Tant est violent l'amour de conformité entre Dieu et l'âme.

12. Comment Dieu purifie les âmes: exemple de l'or dans le creuset.

De ce divin Amour, je vois jaillir vers l'âme certains rayons et flammes brûlantes, si pénétrantes et si forts qu'ils sembleraient capables de réduire au néant non seulement le corps, mais l'âme elle-même s'il était possible.

Ces rayons opèrent de deux manières : l'une est de purifier, l'autre d'anéantir.

Vois l'or. À mesure que tu le fonds, à mesure il s'améliore. Tu pourrais le fondre au point de détruire en lui toute imperfection.

Tel est l'effet du feu dans les choses matérielles. Il y a cette différence que l'âme ne peut s'anéantir en Dieu, mais uniquement dans son être propre. Plus tu la purifies, plus aussi elle s'anéantit en elle-même et pour finir elle est toute purifiée en Dieu.

L'or, quand il est purifié à vingt-quatre carats, ne se consume plus, quel que soit le feu par où tu le ferais passer. Ce qui peut être consumé en lui, ce n'est que sa propre imperfection.

Ainsi opère dans l'âme le feu divin. Dieu la maintient dans le feu jusqu'à ce que toute imperfection soit consumée. Il la conduit à la pureté totale de vingt-quatre carats, chaque âme cependant selon son degré. (13) Quand elle est purifié elle reste tout entière en Dieu, sans rien en elle qui lui soit propre, et son être est Dieu.

Une fois que Dieu a ramené à lui l'âme ainsi purifiée, alors celle-ci est mise hors d'état de souffrir encore, puisqu'il ne lui reste plus rien à consumer. Supposé que dans cet état de pureté on la tienne dans le feu, elle n'en sentirait nulle souffrance. Ce feu ne serait autre chose que celui du divin amour de la vie éternelle, sans rien de pénible.
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(13) Le purgatoire purifie l'âme sans accroître sa charité ni son mérite.
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