« Nous ne saurions nous contenter d'avoir pour Notre-Dame une dévotion ordinaire comme celle que nous portons aux autres saints ; ce n'est pas un culte de dulie que nous nous contentons de lui rendre, mais un culte de dulie éminente, hyperdulie, comme le disent les théologiens. En effet, ce n'est pas s'expliquer assez explicitement que de parler de la dévotion à Marie, qui est en soi une chose excellente, mais pourvu qu'on entende ce mot d'une façon toute particulière, et non point comme facultative et de surérogation, parce que Marie appartient au symbole de notre foi. Et de même que sa maternité envers nous ne consiste pas seulement dans des sentiments, des dispositions, un dévouement de mère vraiment incomparable, mais qu'elle se base sur des réalités et non sur des sentiments seuls, de même il nous faut prendre conscience des liens que nous avons avec elle, et qui reposent sur un ensemble doctrinal beaucoup plus profond et plus résistant qu'une pieuse et douce sensibilité. Nous abaissons le culte rendu à la sainte Vierge en le réduisant à une dévotion ; et nous diminuons l'amour que nous lui portons en ne l'élevant pas jusqu'à la doctrine. Pour récapituler brièvement la parfaite convenance de ce culte théologique envers Notre-Dame, disons que sa dignité de Mère de Dieu la met absolument hors de pair et en fait un monde à part. Cette maternité divine la fait entrer dans un rapport d'intimité singulière avec le Père, dont le Fils unique est aussi son Fils ; avec le Verbe, à qui elle a donné sa nature humaine ; avec le Saint-Esprit, car le Fils de la Vierge est comme Dieu le principe de ce divin Esprit, et comme homme, son fruit saint et sanctifiant. En outre, la maternité divine n'est pas seulement pour Marie un privilège ; c'est encore pour elle la source d'une grâce éminente et d'une sanctification incomparable ; et ce n'est pas sans raison qu'elle a été proclamée par l'ange gratia plena (1). Il faut joindre à ce point de départ les trente années qui s'écoulèrent pour elle à côté de celui qui est la source de la grâce et de la beauté surnaturelle ; son assistance dans les mystères de la Passion, de la Résurrection, de l'Ascension du Seigneur ; les quinze ans de soins, de dévouement, prodigués à l'Eglise naissante ; et tout cet ensemble s'écoulant avec des accroissements continuels de vertu, de pureté, de charité. Il faut reconnaître que nos hommages ne peuvent rencontrer, après Dieu, un objet plus digne de notre amour. » 1. Luc I, 28. [Madame Cécile J. Bruyère (1845-1909), Abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes], La Vie Spirituelle et l'Oraison d'après la Sainte Ecriture et la Tradition monastique (ch. XXI), Solesmes, Imprimerie Saint-Pierre, 1899. Cf. Ad. Tanquerey, "Précis de Théologie Ascétique et Mystique", 10e édition, Desclée et Cie, 1928, 1ère partie, chap. II, par. 169, p. 119 : "Cette vénération doit être plus grande que celle que nous avons pour les Anges et les Saints, parce que par sa dignité de mère de Dieu, son rôle de médiatrice et sa sainteté elle surpasse toutes les créatures. Aussi son culte, tout en étant un culte de dulie (réservé aux saints) et non de latrie (réservé à Dieu), est appelé avec raison le culte d'hyperdulie, étant supérieur à celui qu'on rend aux Anges et aux Saints." Cf. Henri-Jacques Stiker, "Dulie & Hyperdulie", Encyclopædia Universalis. |