« « Réjouissons-nous » me crie l'Eglise qui, elle aussi, est mère et partage avec Marie la joie d'enfanter des enfants de Dieu, des frères de Jésus. « Réjouissons-nous » à la première personne du pluriel. Toutes ces voies unies par la sainte mère Eglise autour de la sainte mère de Dieu font un concert unique qui n'est plus du temps, n'est pas encore de l'éternité, qui participe des deux, qui n'est pas plus beau que l'hymne des élus et ne peut l'être, mais... je ne sais vraiment pas dire cela. La vie menacée d'ici-bas, la marche incessante vers un terme qu'on peut ne pas atteindre, donnent à nos notes une nuance toute particulière. Elles viennent de la patrie ; elles viennent d'une part de nous-mêmes, qui est la terre de notre Père, elles y retournent. Elles sont ses notes en nous ; son Esprit les inspire, les règle, les anime ; ce sont les notes de son Amour, qui nous enseignent à l'aimer. Mais ce ne sont que des exercices, et nous sommes souvent de bien pauvres élèves. Que de notes nettement fausses, que d'intervalles hésitants, que d'accords défectueux ! Pourtant nous devons les jeter dans la joie si nous voulons les jeter avec amour. La mère du bel Amour reconnaît en elles, comme toute mère, son « petit », son pauvre petit, un enfant blessé et qui lui tend les bras. « Réjouissons-nous ». La joie d'amour, la joie d'être aimé et de pouvoir aimer, voilà la nuance qui doit passer dans tous nos chants d'exil. Même au bord des fleuves de Babylone, les harpes suspendues à des saules étrangers demeurent les harpes de Jérusalem ; et les notes dont le vent d'exil les fait vibrer rendent le son de la patrie. Une mère, une mère surtout, reconnaît cela ; elle n'entend que cela, elle entend ce son comme un rappel de tendresses passées et un appel aux tendresses futures. C'est là la nuance des chants d'exil. Ils expriment un présent mouvant et mêlé à travers lequel l'amour retrouve la note de fond, l'harmonie essentielle qui ne passe pas. Je puis mêler ma joie et ma louange à celle de là-haut. Elles s'accordent, elles ne font qu'un. Ma patrie est à l'octave inférieure ; elle a des arrêts, des intermittences, des silences et des soupirs, des retards et des précipitations, mais elle entre dans l'ensemble si elle aime, parce qu'elle est aimée. L'amour et la joie d'aimer, voilà sa lumière où vibrent toutes les notes des enfants. Les textes sacrés où se sont incarnées ces notes - et que la divine mère, où la parole du Père s'est incarnée, doit aimer à ce seul titre - ont une richesse de sens et d'horizons qui me stupéfie et m'épouvante presque. J'ai peur de trop voir et de dépasser les lignes où s'arrête la prudence. Mais dans une parole de l'Ecriture n'y a-t-il pas un reflet de la Lumière infinie, et en la regardant, en la suivant longuement, n'est-il pas normal qu'on rejoigne le foyer d'où elle procède ? O liens subtils qui rattachent tous nos mots de la terre et du temps au seul mot du ciel et de l'éternité, ceux qui vous perçoivent sont-ils imprudents, parce que tant d'harmonies secrètes les ravissent, que nos inattentions ne savent pas découvrir ? » Dom Augustin Guillerand (1877-1945), Hauteurs sereines (Deuxième Partie : La Vierge, de "Contemplations mariales"), Deuxième édition, Roma, Benedettine di Priscilla, 1959. |