Ballade Mystique Sur la douceur de la Pauvreté Par les chemins où croît l'épine affreuse, La Vierge aux maigres flancs, la Pauvreté, Malgré Douloir qui sa paupière creuse Et Malefaim debout à son côté, Franchit sans peur le roc ensanglanté. Car elle sait, la Dame tutélaire, Quel vêtement de gloire, et quel salaire, Et quels joyaux faits des pleurs anciens L'investiront d'une gloire stellaire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens. Un astre dort sous guenille poudreuse. Amour sans fin, éternelle Beauté, Vont rajeunir ta face, bienheureuse Reine du simple et du déshérité ! Sur les parvis d'azur, en la Cité Qu'un blanc soleil immarcessible éclaire, Tes pieds lassés par la fange et par l'erre, Malgré les cris des vils pharisiens, Se poseront comme un aiglon sur l'aire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens. Donnez la rose avec la tubéreuse ! Et le Poète aussi, tant molesté, Verra finir sa course douloureuse Au matin bleu de l'Immortalité. Son fier désir, à présent exalté, Resplendira sur sa face très claire. Pour ce dolent accoiter et complaire, Des chœurs épris d'Anges musiciens Diront ses vers à l'Agneau jubilaire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens. Envoi A Paul Verlaine Prince des vers si doux, le scapulaire Et l'humble froc, chez tels béotiens, Ebaudit un mufle patibulaire. Mais toi, sans peur, sans feinte, sans colère, Sois de ton Dieu l'éternel vexillaire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens. Laurent Tailhade (1854-1919) (Poèmes élégiaques) |