Poésies d'inspiration chrétienne



Les larmes de la pénitence

Grâce, grâce, suspend l'arrêt de tes vengeances
Et détourne un moment tes regard irrités.
J'ai péché, mais je pleure ; oppose à mes offenses,
Oppose à leur grandeur celle de tes bontés.

Je sais tous mes forfaits, j'en connais l'étendue :
En tous lieux, à toute heure, ils parlent contre moi ;
Par tant d'accusateurs mon âme confondue
Ne prétend pas contre eux disputer devant toi.

Tu m'avais par la main conduit dès ma naissance ;
Sur ma faiblesse en vain je voudrais m'excuser :
Tu m'avais fait, Seigneur, goûter ta connaissance,
Mais, hélas ! de tes dons je n'ai fait qu'abuser.

De tant d'iniquités la foule m'environne ;
Fils ingrat, cœur perfide en proie à mes remords,
La terreur me saisit ; je frémis, je frissonne ;
Pâle et les yeux éteints, je descends chez les morts.

Ma voix sort du tombeau ; c'est du fond de l'abîme
Que j'élève vers toi mes douloureux accents :
Fais monter jusqu'aux pieds de ton trône sublime
Cette mourante voix et ces cris languissants.

O mon Dieu... Quoi ! ce nom, je le prononce encore ?
Non, non, je t'ai perdu, j'ai cessé de t'aimer,
O juge qu'en tremblant je supplie et j'adore !
Grand Dieu, d'un nom plus doux je n'ose te nommer.

Dans le gémissement, l'amertume et les larmes,
Je repasse des jours perdus dans les plaisirs ;
Et voilà tout le fruit de ces jours pleins de charmes :
Un souvenir affreux, la honte et les soupirs.

Ces soupirs devant toi sont ma seule défense :
Par eux un criminel espère t'attendrir ;
N'as-tu pas en effet un trésor de clémence ?
Dieu de miséricorde, il est temps de l'ouvrir.

Où fuir, où me cacher, tremblante créature,
Si tu viens en courroux pour compter avec moi ?
Que dis-je ? Etre infini, ta grandeur me rassure,
Trop heureux de n'avoir à compter qu'avec toi !

Près d'une majesté si terrible et si sainte,
Que suis-je ? Un vil roseau : voudrais-tu le briser ?
Hélas ! si du flambeau la clarté s'est éteinte,
La mèche fume encor : voudrais-tu l'écraser ?

Que l'homme soit pour l'homme un juge inexorable :
Où l'esclave aurai-t-il appris à pardonner ?
C'est la gloire du maître ; absoudre le coupable
N'appartient qu'à celui qui peut le condamner.

Tu le peux, mais souvent tu veux qu'il te désarme :
Il te fait violence, il devient ton vainqueur.
Le combat n'est pas long : i1 ne faut qu'une larme.
Que de crimes efface une larme du cœur !

Jamais de toi, grand Dieu, tu nous l'as dit toi-même,
Un cœur humble et contrit ne sera méprisé.
Voilà le mien : regarde, et reconnais qu'il t'aime ;
Il est digne de toi : la douleur l'a brisé.

Si tu le ranimais de sa première flamme,
Qu'il reprendrait bientôt sa joie et sa vigueur !
Mais non, fais plus pour moi : renouvelle mon âme,
Et daigne dans mon sein créer un nouveau cœur.

De mes forfaits alors je te ferai justice,
Et ma reconnaissance armera ma rigueur !
Tu peux me confier le soin de mon supplice :
Je serai contre moi mon juge et ton vengeur.

Le châtiment au crime est toujours nécessaire ;
Ma grâce est à ce prix, il faut la mériter.
Je te dois, je le sais, je te veux satisfaire :
Donne-moi seulement le temps de m'acquitter.

Ah ! plus heureux celui que tu frappes en père !
Il connaît ton amour par ta sévérité.
Ici-bas quels que soient les coups de ta colère,
L'enfant que tu punis n'est pas déshérité.

Coupe, brûle ce corps, prends pitié de mon âme ;
Frappe, fais-moi payer tout ce que je te dois.
Arme-toi, dans le temps, du fer et de la flamme,
Mais dans l'éternité, Seigneur, épargne-moi.

Quand j'aurais à tes lois obéi dès l'enfance,
Criminel en naissant, je ne dois que pleurer.
Pour retourner à toi, la route est la souffrance
Loi triste, route affreuse... entrons sans murmurer.

De la main de ton fils je reçois le calice ;
Mais je frémis, je sens ma main prête à trembler.
De ce troupeau honteux mon cœur est-il complice ?
Suis-je si criminel ? Voudrais-je reculer ?

Louis Racine (1692-1763)


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