Les larmes de la pénitence Grâce, grâce, suspend l'arrêt de tes vengeances Et détourne un moment tes regard irrités. J'ai péché, mais je pleure ; oppose à mes offenses, Oppose à leur grandeur celle de tes bontés. Je sais tous mes forfaits, j'en connais l'étendue : En tous lieux, à toute heure, ils parlent contre moi ; Par tant d'accusateurs mon âme confondue Ne prétend pas contre eux disputer devant toi. Tu m'avais par la main conduit dès ma naissance ; Sur ma faiblesse en vain je voudrais m'excuser : Tu m'avais fait, Seigneur, goûter ta connaissance, Mais, hélas ! de tes dons je n'ai fait qu'abuser. De tant d'iniquités la foule m'environne ; Fils ingrat, cœur perfide en proie à mes remords, La terreur me saisit ; je frémis, je frissonne ; Pâle et les yeux éteints, je descends chez les morts. Ma voix sort du tombeau ; c'est du fond de l'abîme Que j'élève vers toi mes douloureux accents : Fais monter jusqu'aux pieds de ton trône sublime Cette mourante voix et ces cris languissants. O mon Dieu... Quoi ! ce nom, je le prononce encore ? Non, non, je t'ai perdu, j'ai cessé de t'aimer, O juge qu'en tremblant je supplie et j'adore ! Grand Dieu, d'un nom plus doux je n'ose te nommer. Dans le gémissement, l'amertume et les larmes, Je repasse des jours perdus dans les plaisirs ; Et voilà tout le fruit de ces jours pleins de charmes : Un souvenir affreux, la honte et les soupirs. Ces soupirs devant toi sont ma seule défense : Par eux un criminel espère t'attendrir ; N'as-tu pas en effet un trésor de clémence ? Dieu de miséricorde, il est temps de l'ouvrir. Où fuir, où me cacher, tremblante créature, Si tu viens en courroux pour compter avec moi ? Que dis-je ? Etre infini, ta grandeur me rassure, Trop heureux de n'avoir à compter qu'avec toi ! Près d'une majesté si terrible et si sainte, Que suis-je ? Un vil roseau : voudrais-tu le briser ? Hélas ! si du flambeau la clarté s'est éteinte, La mèche fume encor : voudrais-tu l'écraser ? Que l'homme soit pour l'homme un juge inexorable : Où l'esclave aurai-t-il appris à pardonner ? C'est la gloire du maître ; absoudre le coupable N'appartient qu'à celui qui peut le condamner. Tu le peux, mais souvent tu veux qu'il te désarme : Il te fait violence, il devient ton vainqueur. Le combat n'est pas long : i1 ne faut qu'une larme. Que de crimes efface une larme du cœur ! Jamais de toi, grand Dieu, tu nous l'as dit toi-même, Un cœur humble et contrit ne sera méprisé. Voilà le mien : regarde, et reconnais qu'il t'aime ; Il est digne de toi : la douleur l'a brisé. Si tu le ranimais de sa première flamme, Qu'il reprendrait bientôt sa joie et sa vigueur ! Mais non, fais plus pour moi : renouvelle mon âme, Et daigne dans mon sein créer un nouveau cœur. De mes forfaits alors je te ferai justice, Et ma reconnaissance armera ma rigueur ! Tu peux me confier le soin de mon supplice : Je serai contre moi mon juge et ton vengeur. Le châtiment au crime est toujours nécessaire ; Ma grâce est à ce prix, il faut la mériter. Je te dois, je le sais, je te veux satisfaire : Donne-moi seulement le temps de m'acquitter. Ah ! plus heureux celui que tu frappes en père ! Il connaît ton amour par ta sévérité. Ici-bas quels que soient les coups de ta colère, L'enfant que tu punis n'est pas déshérité. Coupe, brûle ce corps, prends pitié de mon âme ; Frappe, fais-moi payer tout ce que je te dois. Arme-toi, dans le temps, du fer et de la flamme, Mais dans l'éternité, Seigneur, épargne-moi. Quand j'aurais à tes lois obéi dès l'enfance, Criminel en naissant, je ne dois que pleurer. Pour retourner à toi, la route est la souffrance Loi triste, route affreuse... entrons sans murmurer. De la main de ton fils je reçois le calice ; Mais je frémis, je sens ma main prête à trembler. De ce troupeau honteux mon cœur est-il complice ? Suis-je si criminel ? Voudrais-je reculer ? Louis Racine (1692-1763) |