L'esprit de Dieu Le feu divin qui nous consume Ressemble à ces feux indiscrets Qu'un pasteur imprudent allume Aux bord de profondes forêts ; Tant qu'aucun souffle ne l'éveille, L'humble foyer couve et sommeille ; Mais s'il respire l'aquilon, Tout à coup la flamme engourdie S'enfle, déborde ; et l'incendie Embrase un immense horizon ! O mon âme, de quels rivages Viendra ce souffle inattendu ? Serait-ce un enfant des orages ? Un soupir à peine entendu ? Viendra-t-il, comme un doux zéphyre, Mollement caresser ma lyre, Ainsi qu'il caresse une fleur ? Ou sous ses ailes frémissantes, Briser ses cordes gémissantes Du cri perçant de la douleur ? Viens du couchant ou de l'aurore ! Doux ou terrible au gré du sort, Le sein généreux qui t'implore Brave la souffrance ou la mort ! Aux cœurs altérés d'harmonie Qu'importe le prix du génie ? Si c'est la mort, il faut mourir !... On dit que la bouche d'Orphée, Par les flots de l'Ebre étouffée, Rendit un immortel soupir ! Mais soit qu'un mortel vive ou meure, Toujours rebelle à nos souhaits, L'esprit ne souffle qu'à son heure, Et ne se repose jamais ! Préparons-lui des lèvres pures, Un œil chaste, un front sans souillures, Comme, aux approches du saint lieu, Des enfants, des vierges voilées, Jonchent de roses effeuillées La route où va passer un Dieu ! Fuyant des bords qui l'ont vu naître, De Jéthro l'antique berger Un jour devant lui vit paraître Un mystérieux étranger ; Dans l'ombre, ses larges prunelles Lançaient de pâles étincelles, Ses pas ébranlaient le vallon ; Le courroux gonflait sa poitrine, Et le souffle de sa narine Résonnait comme l'aquilon ! Dans un formidable silence Ils se mesurent un moment ; Soudain l'un sur l'autre s'élance, Saisi d'un même emportement : Leurs bras menaçants se replient, Leurs fronts luttent, leurs membres crient, Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ; Comme un chêne qu'on déracine Leur tronc se balance et s'incline Sur leurs genoux entrelacés ! Tous deux ils glissent dans la lutte, Et Jacob enfin terrassé Chancelle, tombe, et dans sa chute Entraîne l'ange renversé : Palpitant de crainte et de rage, Soudain le pasteur se dégage Des bras du combattant des cieux, L'abat, le presse, le surmonte, Et sur son sein gonflé de honte Pose un genou victorieux ! Mais, sur le lutteur qu'il domine, Jacob encor mal affermi, Sent à son tour sur sa poitrine Le poids du céleste ennemi !... Enfin, depuis les heures sombres Où le soir lutte avec les ombres, Tantôt vaincu, tantôt vainqueur, Contre ce rival qu'il ignore Il combattit jusqu'à l'aurore... Et c'était l'esprit du Seigneur ! Ainsi dans les ombres du doute L'homme, hélas! égaré souvent, Se trace à soi-même sa route, Et veut voguer contre le vent ; Mais dans cette lutte insensée, Bientôt notre aile terrassée Par le souffle qui la combat, Sur la terre tombe essoufflée Comme la voile désenflée Qui tombe et dort le long du mât. Attendons le souffle suprême ; Dans un repos silencieux ; Nous ne sommes rien de nous-même Qu'un instrument mélodieux ! Quand le doigt d'en haut se retire, Restons muets comme la lyre Qui recueille ses saints transports Jusqu'à ce que la main puissante Touche la corde frémissante Où dorment les divins accords ! Alphonse de Lamartine (1790-1869) (Nouvelles méditations poétiques) |