Le Repas Les épais marronniers emplissaient de nuit fraîche La cour où l'on avait fait mettre le couvert ; Les champs s'apercevaient par le portail ouvert Au lourd midi d'été tout embaumé de pêches. Ton visage riait. Nous avions, en chemin, Vu l'aube s'étirer sur les collines basses. Tu songeais. Près de nous, soufflait la chienne lasse ; La servante cueillait des fraises au jardin. Tu ne les voyais pas, mais, sur le mur de lierre, Les croix du triste enclos voisin me regardaient ; Gravement, au milieu, le clocher se levait, Précis, sur les lointains embrumés de lumière. Et soudain, te rappelles-tu la lourde voix De la cloche tombant dans notre rêverie ? L'Angelus !… Une enfant, pour saluer Marie, Passant sur le chemin, fit un signe de croix. Un sentiment profond emplit l'ombre des branches Et nous de qui le cœur n'est plus religieux, Nous avons, en rompant le pain de ce Dimanche, Senti des pleurs d'amour éclore dans nos yeux. André Lafon (1883-1915) La Maison Pauvre, Bibliothèque du Temps présent, 1911 |