Poésies d'inspiration chrétienne



Pardonne

Je ne veux plus aller vers Vous d'un pas agile
Qui court et puis s'arrête et traîne et se reprend,
Mais de celui paisible et ferme dont on sent
Qu'il fera jusqu'au bout l'étape difficile.
Il faut d'un cœur rebelle à tout autre dessein
Aller vers Vous sans se hâter, les mains croisées,
Comme le pèlerin insoucieux des plaies
De ses pieds nus, du soleil lourd et de la faim.
Aller vers Vous, gardant en soi toute fatigue,
Sans jamais, s'il se peut, déposer le fardeau,
Ne cueillir qu'en passant et la grappe et la figue,
Et ne pas s'arrêter à compter le troupeau.
Aller vers Vous obstinément, tel, vers son père,
Un enfant doux qui rentre à l'heure de la nuit,
Et qui ne souffre pas qu'une eau le désaltère
Sachant qu'un vin mielleux l'abreuvera chez lui.
Aller vers Vous de tout son cœur, la nuit venue,
Même ne voyant plus son chemin dans le noir,
En gardant malgré l'ombre et l'effroi, cet espoir
D'une lueur et de la route reconnue.
Votre demeure enfin sera prochaine, alors,
Pénétrés de l'émoi des retours, de la joie
D'apercevoir le seuil au moment où l'on ploie,
Mais déjà nous sentant indignes de ce port,
Nous nous laisserons choir à genoux à l'entrée
Au souvenir aigu de nos fautes passées,
Lourd de tant de péchés soudain retrouvés là…
Et puissiez-Vous alors, touché par le combat
Qui pliera devant Vous cette chair angoissée,
Dire par notre effort toute offense effacée,
Et les mots du pardon en nous ouvrant les bras.

André Lafon (1883-1915), La Maison Pauvre, 1911.


Retour au Sommaire des Poésies