Ce soir, mon Dieu Ce soir, mon Dieu, je viens pleurer, je viens prier Et rompre sur ta croix les reins d'un ouvrier Dont le labeur stérile a négligé ta gloire. La nuit du monde autour de ton église est noire ; Je viens puiser de l'huile à tes feux éternels, Loin de la joie humaine et des hommes charnels. Mon Dieu, je viens jeter à tes pieds cette vie, Dont chaque jour d'un clou haineux te crucifie. Je suis le plus méchant des mauvais serviteurs. O Jésus qui prêchais la sagesse aux docteurs, J'ai détourné le sens divin des paraboles ; J'ai, d'un grain vil, semé le champ de tes paroles. Malheur à moi ! Car dans les vers dont j'ai chantés La prière se mêle au cri des voluptés. J'ai baisé tes pieds nus comme une chair de femme Et posé sur ton coeur ouvert un coeur infâme. L'iniquité fut ma maîtresse. Et me voilà. Tes yeux que le Péché de l'univers scella Me brûlent de leurs pleurs de sang. Quoique tu l'aies Senti mettre ses mains cruelles dans tes plaies, O Seigneur, prends enfin en pitié ton enfant ! Son coeur comme un vitrail qu'on étoile se fend. Sois-lui clément, permets le retour du prodigue ; Rends l'eau du ciel à la citerne, et que la figue Encor pèse aux rameaux du figuier desséché ! Ah ! ne le laisse pas mourir dans son péché ; Cet errant qui s'enlace à ta croix et qui pleure, Las d'avoir tant cherché l'amour qui seul demeure. Charles Guerin (1873-1907) Le Semeur de cendres, Mercure de France |