Le Brassard de la première communion I. « Mère, c'était hier, à cette heure divine Où dans mon cœur d'enfant mon Jésus descendit ; Vous savez mon bonheur, votre âme le devine ; Votre bonheur, à vous, vos larmes me l'ont dit… A genoux sur le banc, le front près de mon cierge, Près du cierge bénit qui brûlait dans ma main, Je pleurais, je priais Jésus-Christ et la Vierge, Et je leur demandais leur ciel pour lendemain ; Quand ma tête s'incline et mon regard se penche, Je vois le brassard blanc que vos doigts m'ont brodé, Ses glands d'or suspendus à la dentelle blanche… Et je ne priais plus tant que j'ai regardé ! Mère, je fus distrait ; peut-être est-ce ma faute !… Je ne sais ; mais j'ai cru qu'il fallait m'en punir ; Et tout bas au bon Dieu qui s'était fait mon hôte J'ai dit une promesse et je veux la tenir. C'est mon secret, à moi, mais je vous le révèle : Mon âme est pour la vôtre ainsi qu'un livre ouvert ; De mon amour de fils, c'est la preuve nouvelle : Vous m'avez tant aimé, vous avez tant souffert !… J'ai promis, devant Dieu qui me voit et m'écoute, De conserver mon cœur haut et fort, pur et fier ; A la vie, à la mort, partout, quoi qu'il m'en coûte, Je veux être et rester ce que j'étais hier. Je veux garder le Christ, sa grâce et sa doctrine ; Et pour tenir ce vœu que Lui-même inspira, Mon brassard blanc posé sur ma poitrine Me dira ma parole et la garantira. Mais si j'osais, un jour, d'une faute mortelle Salir mon cœur, trahir et fausser mon serment, J'arracherais moi-même et glands d'or et dentelle, En signe de ma honte, et pour mon châtiment. J'ai douze ans, je suis faible, on dit la lutte proche, Mais vous êtes ma mère, et Jésus me défend ; Je veux vivre sans peur et mourir sans reproche ; Mère, en priant pour lui, bénissez votre enfant. Raoul, Au lendemain de ma première communion. » II. Et la mère pleura sur des pages si fières… Le temps passa, Raoul grandit, et se souvint ; Quand la guerre sanglante envahit nos frontières, Le Raoul de douze ans, alors en comptait vingt. La France l'appelait et son âme était prête ; Il partit, - cet appel suffit aux gens de cœur ; - Dans les rangs des héros que commandait Charrette, Il marcha, combattit, tomba, blessé, vainqueur. On le trouva, le soir, déchiré de trois balles ; Il respirait encore et semblait endormi ; Il s'éveilla ; la joie éclaira ses traits pâles ; Et saisissant la main d'un soldat, son ami : « Je pars, dit-il, je vais là-haut… Vive la France !… Mais je dois à ma mère un souvenir d'adieu ; Le voici : qu'à son deuil il mêle une espérance, Et lui dise : Au revoir, au rendez-vous de Dieu !… » Puis sur son cœur mourant il mit sa main blessée, Prit le brassard brodé par sa mère jadis, Et dit en le posant sur sa bouche glacée : « Va !… je ne t'ai quitté qu'au seuil du paradis… » Mais la faiblesse alors trompa son énergie, Et le brassard tomba de ses doigts hésitants : Son sang jaillit à flots ; l'étoffe en fut rougie… L'enfant portait au ciel la fleur de ses vingt ans. Victor Delaporte, S.J. Récits et légendes, Paris, Oudin, 1886 In "Le Messager du Cœur de Jésus", Juillet 1886 |