Poésies d'inspiration chrétienne



La croix de l'école

L'étude est commencée et la prière est dite ;
Les fronts blancs penchés près du pupitre noir ;
Sur l'ardoise polie ou la page érudite,
Où trente écoliers s'appliquent au devoir.

Ils sont là sur deux rangs, tout le monde a sa place,
La maîtresse, sans bruit, se promène au milieu ;
Seuls, quatre ou cinq petits, vers le fond de la classe,
Près du mur, sous un Christ qu'une guirlande enlace,
Epèlent sur leur planche ou leur « croix de par Dieu. »

Tout à coup des pas lourds piétinent à la porte ;
Les écoliers tremblants quittent leurs escabeaux…
Un homme entre, suivi d'une hideuse escorte,
Ricanant aux éclats, criant d'une voix forte,
Et se serrant les reins d'une écharpe en lambeaux.

La maîtresse effrayée essaie une parole…
« - Silence !... Et vous, marmots, apprenez vos leçons !
Je viens mettre ici l'ordre et nettoyer l'école,
Et je veux qu'on entende une mouche qui vole !...
Voyons, surveillez-moi ces petits polissons !...

A l'œuvre !... » - Un forgeron armé d'une tenaille
S'avança vers le Christ, prit et jeta les fleurs ;
Les enfants sanglotaient tout bas... - « Tais-toi, canaille !...
Dit le maire ; je veux qu'on rie et qu'on travaille... »
De tous les yeux roulaient ou ruisselaient des pleurs.

Le Christ tomba. « Pitié, Seigneur ! » dit la maîtresse.
Le maire sous son bras prit la croix en riant :
« j'interdis la prière et j'exclus la paresse !... »
Tous les pauvres petits que leur chagrin oppresse
Jetaient sur leur grand Christ un regard suppliant.

La cohorte sortit ; bientôt, pour leur salaire,
Dans un bouge voisin le vin coulait à flots...
Mais de ces cœurs d'enfants que la foi sainte éclaire
Désormais sans contrainte éclatait la colère,
Et les cris alternaient avec de longs sanglots.

Tous les yeux attachés à la muraille nue
Cherchaient encor la croix ; la croix n'était plus là !
La douleur indignée et longtemps contenue
Prêtait son éloquence à leur lèvre ingénue ;
Quand ils eurent fini, la maîtresse parla :

« Nous ne le verrons plus sur la muraille blanche ;
Non ! mais il est vivant, il garde tous ses droits ;
De son beau ciel sur nous son doux regard se penche ;
Et quand, au dernier jour, il aura sa revanche,
Personne entre ses mains ne prendra plus sa croix.

Gardons-le dans nos cœurs, et gardons sa parole !
Prions pour les méchants qui nous l'ont enlevé ;
Que Jésus leur pardonne à tous, et nous console.
Chantons : Vive la Croix ! ensemble... » Et dans l'école,
Les petits, à genoux chantaient : « O Crux, ave ! »

Victor Delaporte, S.J.

Récits et légendes, Paris, Oudin, 1886
In "Le Messager du Cœur de Jésus", Avril 1886



A propos des mesures anticléricales prises en France par le parti républicain à partir de 1879, cf. notre dossier sur le Sacré-Cœur de Jésus, annexe 5. Rappelons pour mémoire que c'est le 28 mai 1882 que fut votée la loi définissant la laïcité de l'école, et que les crucifix furent retirés des murs des écoles publiques. Paul Bert, ministre de l'Instruction publique, avait déclaré en juillet 1881 : "L'école symbolise la science, reine des temps modernes ; l'Eglise symbolise la foi, reine des temps obscurs et passés. Et le curé c'est l'homme de foi contre l'homme de science… Abandonnons donc cette pauvre école qui s'étiole à l'ombre de l'Eglise, et tournons-nous vers l'école de l'avenir, l'Eglise libre et ensoleillée". Il écrira de nouveau en 1883 : "La religion qu'il s'agit de combattre, la seule, est celle qui inscrit au registre de ses baptêmes les quatre-vingt-dix-sept centièmes des enfants de ce pays…"

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