Poésie Mariale


Pierre Corneille
Paul-Marie Verlaine
Charles Péguy
Hersart de La Villemarqué



Page 1 : Claudel, Ste Thérèse, Ch. Péguy, Félix Anizan
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Eve et Marie

Homme, qui que tu sois, regarde Eve et Marie,
Et comparant ta Mère à celle du Sauveur,
Vois laquelle des deux en est le plus chérie,
Et du Père Eternel gagne mieux la faveur.

L'une a toute sa race au démon asservie,
L'autre rompt l'esclavage où furent ses aïeux ;
Par l'une vient la mort et par l'autre la vie,
L'une ouvre les enfers et l'autre ouvre les cieux.

Cette Eve cependant qui nous engage aux flammes
Au point qu'elle est formée est sans corruption ;
Et la Vierge " bénie entre toutes les femmes "
Serait-elle moins pure en sa conception ?

Non, non, n'en croyez rien, et tous tant que nous sommes
Publions le contraire à toute heure, en tout lieu :
Ce que Dieu donne bien à la Mère des hommes,
Ne le refusons pas à la Mère de Dieu.

Pierre Corneille






Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.
Tous les autres amours sont de commandement
Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement
Pourra les allumer aux cœurs qui l'ont chérie.

C'est pour Elle qu'il faut chérir mes ennemis,
C'est par Elle que j'ai voué ce sacrifice,
Et 1a douceur de cœur et le zèle au service,
Comme je la priais, Elle les a permis.

Et comme j'étais faible et bien méchant encore,
Aux mains lâches, les yeux éblouis des chemins,
Elle baissa mes yeux et me joignit les mains,
Et m'enseigna les mots par lesquels on adore.

C'est par Elle que j'ai voulu de ces chagrins,
C'est pour Elle que j'ai mon cœur dans les Cinq Plaies,
Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies,
Comme je l'invoquais, Elle en ceignit mes reins.

Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie,
Siège de la Sagesse, et source des pardons,
Mère de France aussi, de qui nous attendons
Inébranlablement l'honneur de la Patrie.

Marie Immaculée, amour essentiel,
Logique de la foi cordiale et vivace,
En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse,
En vous aimant du seul amour, Porte du ciel ?

Paul-Marie Verlaine
(Sagesse, II, Messein.)






Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres

Etoile de la mer, voici la lourde nappe,
Et la profonde houle et l'océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape.

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.

Etoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l'océan de notre immense peine.

Un sanglot rôde et court par delà l'horizon.
A peine quelques toits font comme un archipel.
Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.
L'épaisse église semble une basse maison.

Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire.

Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tous crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite. […]

Tour de David, voici votre tour beauceronne.
C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.

C'est la gerbe et le blé qui ne périra point,
Qui ne fanera point au soleil de septembre,
Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,
C'est votre serviteur et c'est votre témoin.

C'est la tige et le blé qui ne pourrira pas,
Qui ne flétrira point aux ardeurs de l'été.
Qui ne moisira point dans un hiver gâté,
Qui ne transira point dans le commun trépas.

C'est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
La plus belle oraison qu'on ait jamais portée,
La plus droite raison qu'on ait jamais jetée,
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.

Celle qui ne mourra le jour d'aucunes morts,
Le gage et le portrait de nos arrachements,
L'image et le tracé de nos arrachements,
La laine et le fuseau des plus modestes sorts. [...]

Voici l'axe et la ligne et la géante fleur.
Voici la dure pente et le contentement.
Voici l'exactitude et le consentement.
Et la sévère larme, ô reine de douleur.

Voici la nudité, le reste est vêtement.
Voici le vêtement, tout le reste est parure.
Voici la pureté, tout le reste est souillure.
Voici la pauvreté, le reste est ornement.

Voici la seule force et le reste est faiblesse.
Voici l'arête unique et le reste est bavure.
Et la seule noblesse et le reste est ordure.
Et la seule grandeur et le reste est bassesse.

Voici la seule foi qui ne soit point parjure.
Voici le seul élan qui sache un peu monter.
Voici le seul instant qui vaille de compter.
Voici le seul propos qui s'achève et qui dure. [...]

Quand nous aurons joué nos derniers personnages,
Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages.

Quand nous retournerons en cette froide terre,
Ainsi qu'il fut prescrit pour le premier Adam,
Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan,
Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire.

Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,
Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe,
Veuillez vous rappeler, reine de la promesse,
Le long cheminement que nous faisons en Beauce.

Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde,
Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements,
Quand nous aurons râlé nos derniers râclements,
Veuillez vous rappeler votre miséricorde.

Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Que la dernière place en votre purgatoire,
Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
Et contempler de loin votre jeune splendeur.

Charles Péguy
(Tapisserie de Notre-Dame, N.R.F., 1919)






Reine du Ciel, Patronne de la France,
Prends en pitié nos cruelles douleurs :
Demande à Dieu de guérir la souffrance
De tout un peuple à ses genoux en pleurs.

Lorsque Clovis, courbant sa tête altière,
Donnait au Christ tout un peuple nouveau,
Déjà ton cœur, ô douce et tendre Mère,
Veillait du Ciel sur la France au berceau.

Du peuple franc n'es-tu pas la patronne ?
Oublieras-tu les vœux de ce grand roi
Qui te disait en t'offrant sa couronne :
" Reine du Ciel, mon royaume est à toi ! " (*)

Reine du Ciel, ce titre séculaire
Du sol français ne s'effacera pas ;
Il est gravé sur le marbre et la pierre,
Aux flancs noircis du bronze des combats.

On sent le cœur renaître à l'espérance,
Bonne Mère, en invoquant ton nom :
Oui, tu viendras, tu sauveras la France,
Et de Jésus nous aurons le pardon !

Hersart de La Villemarqué
(XIX° siècle)


(*) : voir le texte de la Consécration de la France à Marie



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