Comment le lobby de l’euthanasie a-t-il pu s’imposer sans tapage comme représentant des usagers à l’hôpital ? L’agrément officiel par le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) pour entrer dans les conseils d’administration et les commission des relations avec les usagers des hôpitaux qui vient d’être révélé [1] éclaire de façon inquiétante la stratégie du lobby de l’euthanasie. La faiblesse des pouvoirs publics est surtout confirmée. Pour les personnes attachées à ce que l’hôpital demeure un lieu de soins et de protection de la vie jusqu’à son terme, c’est le moment de se mobiliser.
Si la Loi “FIN DE VIE” du 22 avril 2005 a été votée unanimement, après la tempête médiatique suscitée par la mort de Vincent Humbert, c’est que partisans et adversaires de l’euthanasie légale y trouvaient matière à s’en satisfaire. Les premiers y voyaient une «porte ouverte» et les seconds un «coup d’arrêt». Mais aucun n’était dupe, le consensus affiché étant le résultat du rapport de force du moment. Pour les partisans de l’euthanasie légale, les notions de «directives anticipées» et de «personnes de confiance» instaurées par la loi Leonetti sont vues comme une première étape vers leur prétendu «testament de vie».
De plus, l’assimilation de l’alimentation à un traitement, dans l’exposé des motifs de la loi, ouvre déjà la porte à certaines formes d’euthanasie : une interprétation que le député UMP Pierre-Louis Fagniez n’avait pas hésité à revendiquer dans l’hémicycle, en se référant aux protocoles euthanasiques décrits dans l’État américain de l’Oregon par arrêt simultané d’alimentation et d’hydratation. Les premiers témoignages confirment d’ailleurs que l’euthanasie commence à être administrée de cette façon dans certains hôpitaux français, en application de la nouvelle loi. Le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy, eut beau affirmer dans l’hémicycle que la loi fin de vie renvoyait dos-à-dos acharnement thérapeutique et euthanasie, cette dernière est bien entrée par la petite porte, au prix d’une érosion de sa définition.
Certes, on comprend que les adversaires de l’euthanasie aient été soulagés d’avoir pu «limiter les dégâts» en 2005, tant la pression de l’affaire Humbert avait été forte. D’autant que, sur demande de Christine Boutin qui menaçait de ne plus voter la loi Leonetti, M. Douste-Blazy avait bien précisé qu’elle constituait la «troisième voie, française» par opposition aux modèles belges ou hollandais. Face au danger d’envahissement, céder un peu de terrain pour se remobiliser en retrait est une tactique éprouvée.
Mais l’adversaire ne s’est pas arrêté là. S’emparant de la loi comme d’un cheval de Troie, l’ADMD s’est aussitôt autoproclamée promotrice des nouveaux droits des patients en fin de vie, utilisant les dispositions réglementaires d’application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Sa structure militante est plus armée que celle du mouvement des soins palliatifs, tout occupé à être présent dans l’accompagnement réel des personnes hospitalisées, pour revendiquer des places dans les instances hospitalières. La complicité idéologique entre les leaders de l’ADMD et une partie du corps des directeurs d’hôpitaux chargés de choisir les représentants des usagers pour siéger dans leurs instances a fait le reste. Sans attendre l’habilitation nationale de l’ADMD, des nominations de ses membres ont été officialisées dans les commissions de relations avec les usagers et de la qualité des prises en charge (CRUQ) par des arrêtés régionaux (ils y sont même désignés ès qualité). L’agrément national de l’ADMD du 11 août 2006 ne fait que valider et encourager cette tendance. La «vitrine légale» du lobby de l’euthanasie a donc su séduire – ou embobiner ? – les membres de la Commission nationale d’agrément, en montrant des militants «formés à la défense des droits des malades» en application des lois en vigueur. Ensuite, Xavier Bertrand n’aurait fait que prendre la décision «conforme» à laquelle il se pensait tenu.
Certes, 13 autres associations sont déjà habilitées, et d’autres vont suivre… Mais l’ADMD semble mieux organisée et plus motivée que la plupart d’entre-elles pour investir l’hôpital, puisque c’est le cœur de son projet.
Au total, la «démocratie sanitaire» qu’on entend promouvoir risque de transformer les lieux de soins en champs de bataille, enjeux d’une confrontation idéologique. Une dialectique marxisante y est importée, qui menace la relation de confiance entre soignants et soignés.
Qu’une structure aux orientations transgressives cherche à parasiter les systèmes de représentation avec la complicité des pouvoirs publics n’est ni surprenant, ni inédit. C’est même tout l’art du lobbyiste d’être tour à tour, voire simultanément, celui qui conteste et qui participe, celui qui impose sa loi tout en se proposant pour la faire appliquer. Quitte à faire écran entre les «usagers du système de soins» qu’il dit représenter et les «pouvoirs médicaux» qu’il prétend réguler. Cependant, il est ici question de vie et de mort : peut-on laisser s’installer à l’hôpital aujourd’hui ceux qui, demain, entendent y organiser l’euthanasie légale ? D’autant qu’ils sont déjà en mesure d’y inciter.
[1] : L’enquête de l’ADV sur
le lobby de l’euthanasie à l’hôpital
Tugdual Derville
délégué général de l’Alliance pour les droits de la vie
Source : Fondation de Service Politique.