Les récentes déclarations de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, font craindre le pire quant à la diffusion de la pilule abortive RU-486 en France. Elle a en effet annoncé que « les médicaments nécessaires à l’IVG pourraient dorénavant être délivrés par les médecins des centres de planning familial » (
Le Parisien, 24 septembre 2007).
Rappelons quelques chiffres officiels. En 2004, selon les estimations réalisées à l’aide des systèmes d’information hospitaliers, le nombre d’IVG peut être évalué à 210 700 avec une hausse moyenne annuelle de 1,8% depuis 1995
[1]. On note également une augmentation très importante d’IVG chez les jeunes femmes de moins de 25 ans (plus 18 % par exemple entre 2002 et 2005 chez les jeunes de 15 à 25 ans dans la région PACA
[2]).
La diminution du nombre de grossesses non prévues (qui représentaient 46 % en 1975 contre 33 % aujourd’hui) n’y change rien : en effet, parmi ces conceptions non prévues, si 4 grossesses sur 10 se terminaient par un avortement en 1980 (41%), ce sont aujourd’hui 6 grossesses sur 10 (62 % en 2004). On peut donc conclure à une propension toujours plus forte à recourir à l’avortement en cas de grossesse « non planifiée ».
L’explosion de l’IVG médicamenteuse
L’avortement chimique représente 42 % du total (plus de 90 000 actes recensés), le reste étant couvert par l’avortement chirurgical, utilisant un curetage et/ou une aspiration. Cette augmentation de « l’IVG dite médicamenteuse », avec une multiplication par deux de cette pratique depuis 1998, est une tendance lourde de ces dernières années.
Confinée tout d’abord dans les établissements publics ou privés ayant un agrément, elle peut être à présent pratiquée dans le cadre de la médecine de ville.
C’est Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, qui avait ordonné en juillet 2004 la publication de tous les textes nécessaires pour rendre légal l’avortement en dehors des établissements de santé. Il s’agissait initialement d’une disposition inscrite dans la loi Aubry du 4 juillet 2001, réformant la loi Veil. Cette mesure réglementaire avait été complètement occultée à l’époque car le débat s’était focalisé sur l’allongement du délai légal de l’IVG de 10 à 12 semaines.
Avant 2004, l’avortement chimique n’était donc possible qu’en établissement public ou privé habilité à délivrer les produits en question. Le jour de la prise de la seconde substance qui déclenche l’avortement, la patiente devait être hospitalisée pendant plusieurs heures. Le décret du 1er juillet 2004 et l’arrêté du 23 juillet 2004 ont permis la mise en place de ce que l’on appelle l’avortement à domicile. En effet, un médecin de ville, généraliste ou gynécologue, peut délivrer lui-même les molécules nécessaires à la réalisation de « l’IVG à la maison ». Le geste d’auto-administration par la femme du produit abortif est donc dépénalisé hors établissements de santé.
Concrètement, quel est le dispositif prévu ?
La femme ne doit pas avoir dépassé 5 semaines de grossesse, soit 7 semaines d’aménorrhée. Le médecin de ville doit être signataire d’une convention ad hoc avec une structure publique ou privée afin que leurs patientes puissent y être accueillies en cas de complications. Cinq consultations sont prévues. La première afin que le praticien explique le déroulement de la technique en lui proposant éventuellement d’avoir recours à un entretien social. La seconde est requise pour que la femme donne son consentement et reçoive le protocole précis de la prise des produits. C’est lors du troisième rendez-vous qu’elle prend devant son médecin le comprimé de Mifégyne (RU 486) qui stoppe la grossesse.
Deux jours plus tard vient la quatrième consultation où la femme absorbe les deux comprimés de Gymiso (misoprostol), une puissante prostaglandine entraînant l’expulsion de l’embryon. Si les produits doivent être absorbés obligatoirement au cabinet en présence du médecin, c’est chez elle, bien souvent dans la souffrance et la solitude, que la femme vivra ce moment douloureux. Dans 60% des cas, l’avortement a lieu dans les quatre heures qui suivent la prise de Gymiso et dans 40% des cas dans les 24 à 72 heures. Enfin, entre le 14e et le 21e jour la patiente subit sa dernière consultation pour vérifier que l’avortement est complet et ne nécessite pas un curetage complémentaire.
Comment le médecin de ville se procure-il les produits ?
Le médecin passe une commande à usage professionnel à la pharmacie de son choix, en indiquant le nom de l’établissement avec lequel il a conclu une convention. C’est lui qui achète directement les boîtes de comprimés (coût de la Mifégyne : 76,37 euros ; Gymiso, 15,37 euros). Le médecin se rembourse par le biais du forfait IVG médicamenteuse qu’il facture à sa cliente (191,74 euros), remboursés à 70% par la Sécurité sociale. On notera d’ailleurs que tous les forfaits IVG ont été revalorisés de 29% par le décret de juillet 2004 afin d’endiguer l’abandon de ces pratiques par des établissements qui les jugent de plus en plus non rentables. Enfin, dès lors que la commande comprend l’ensemble des indications requises, le pharmacien se doit de les lui délivrer.
Présentée comme un acte anodin, non traumatisant, l’« IVG médicamenteuse » - selon la terminologie officielle - est en passe de devenir l’emblème de la nouvelle politique de santé publique de la France en matière de « droits des femmes ».
En effet, l’actuelle ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, veut étendre l’autorisation de l’avortement chimique aux médecins des centres de planification et d’éducation familiale sur l’ensemble du territoire. Le 24 septembre 2007, le ministre a fait savoir que cette mesure entrait dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec les aménagements du Code de la santé publique qui s’ensuivaient. Roselyne Bachelot donne satisfaction à une revendication récurrente du Mouvement français pour le planning familial dont la présidente s’est d’ailleurs aussitôt félicité : « Alors que nous avons des médecins qui, par la force des choses, sont parmi les plus motivés, nous n’avions pas le droit de proposer des IVG médicamenteuses […]. Les médecins de ville, surtout les généralistes, ne se sont pas précipités pour demander des agréments » (
AFP, 24 septembre 2007).
Les chiffres indiquent de fait que l’avortement « domestique » ne représente que 16,5% des IVG médicamenteuses. Il s’agit donc, suivant d’ailleurs l’exemple pilote de la Seine-Saint-Denis qui a expérimenté cette mesure depuis juillet 2005 avec 800 avortements pratiqués selon cette méthode, de s’appuyer sur les médecins les plus convaincus pour augmenter les statistiques, jugées peu satisfaisantes du fait d’une hostilité plus ou moins affichée par de nombreux praticiens, en particulier généralistes.
La liberté de conscience menacée
Dernier point très controversé de la proposition de la ministre : ce sera au président du Conseil général de son département d’assurer l’organisation au sein des centres de planning de la pratique de l’IVG médicamenteuse. Nous avons donc à faire à une politique volontariste de rationalisation de l’avortement chimique qui nécessite de s’adjoindre la participation et la complicité pratique de nombreux acteurs dont la clause de conscience est totalement absente des textes, entamant de manière drastique le droit à l’objection de conscience. Le chef d’un service d’obstétrique ne peut plus le faire valoir depuis la loi Aubry ; quant aux infirmières, elles peuvent demander une mutation mais au prix de nombreuses difficultés. Les pharmaciens sont eux totalement exclus. Enfin, avec le dispositif de Madame Bachelot se pose la question de la coopération d’élus locaux qui sont missionnés pour veiller à la bonne marche de ce nouveau procédé abortif.
Enfin, selon Tugdual Derville, délégué général de l’Alliance pour les droits de a Vie (ADV), nous sommes victimes d’une contradiction de plus de la part des zélotes de l’avortement : la vieille méthode chirurgicale est de plus en plus présentée comme un repoussoir tandis que l’IVG médicamenteuse serait indolore et sans conséquences (
France catholique, 5 octobre 2007). Inutile de s’étendre sur la manipulation sémantique à l’œuvre ici où on laisse croire que la grossesse est une pathologie dont il faudrait guérir en utilisant les médicaments adéquats.
La France terroriste
La France se trouve malheureusement aux avant-postes de la diffusion de cette pratique. Le RU-486 est lui-même une découverte française. Longtemps attribuée au professeur Etienne-Emile Beaulieu, qui en a fait une promotion féroce à travers le monde en inventant le terme de contragestion pour qualifier son mode d’action, cette molécule est en fait l’invention d’une équipe de scientifiques qui travaillaient sous l’égide de l’industriel pharmaceutique français Roussel-Uclaf. Après plusieurs phases d’expérimentation menées notamment en Suisse et en Suède, le RU-486, associé aux prostaglandines, a obtenu son autorisation de mise sur le marché en 1998, devenant l’emblème de la recherche française en matière de nouveaux produits abortifs.
On l’a vu, l’emploi de la Mifégyne demande un minimum de compétences de la part du médecin. Sa délivrance via les structures particulièrement accessibles que représentent les centres de planification devrait lui assurer une progression inédite, laissant complètement démunies les femmes livrées à leurs prescriptions.
D’autre part, ce produit pourrait devenir rapidement à usage universel au service des concepts de
birth control (contrôle des naissances) et de
safe abortion (avortement pratiqué dans de bonnes conditions de sécurité) véhiculés par les agences onusiennes internationales. On sait que ces dernières conditionnent leurs programmes d’aide aux pays en voie de développement en échange de leur bonne volonté à se plier aux normes de « santé reproductive » en vigueur
[3]. L’expansion de l’emploi du Norlevo, la pilule du lendemain, qui a un effet potentiellement abortif en empêchant la nidation du jeune embryon selon la période du cycle féminin où elle est prise, serait alors le complément idéal du RU-486, pour aboutir à des politiques nationales et internationales très efficaces pour stopper les grossesses dans les phases initiales et éviter de recourir aux avortements chirurgicaux ainsi qu’à la contraception classique jugée trop contraignante par sa prise quotidienne.
Avec l’avortement en comprimés, c’est le triomphe du « terrorisme à visage humain »
[4].
Pierre-Olivier Arduin,
responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
Auteur de "La Bioéthique et l'Embryon", aux Editions de l'Emmanuel (à commander chez notre partenaire :
La Librairie Catholique.)
[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ministère de la Santé,
Les Interruptions volontaires de grossesse en 2004, étude n. 522, septembre 2006.
[2] Observatoire régional de la santé PACA,
Sexualité, Contraception et IVG chez les jeunes de 15-25 ans en PACS, octobre 2006.
[3] Cf. les récentes déclarations d’évêques de pays en voie de développement : Mgr Kouassivi Vieira, évêque de Djougou au Bénin (www.zenit.org , 1er octobre 2007), Mgr Benito Ramon de la Rosa, archevêque de Santiago, Saint-Domingue (
Libertepolitique.com, 12 octobre 2007).
[4] Selon l’expression de Michel Schooyans,
Le Terrorisme à visage humain, François-Xavier de Guibert, Paris, 2006.
Source : Fondation de Service Politique