Défense du Catholicisme

21 décembre 2007





Nicolas Sarkozy à Rome : le “discours du Latran”, une rupture incontestable

Il existe décidément plusieurs Nicolas Sarkozy. Le Nicolas Sarkozy « strass et paillettes » dont les photos avec Carla Bruni remplissent les magazines people. L’homme de la rupture au pas de charge, le « Président 2000 volts » qui concentre le pouvoir à l’Élysée et épuise collaborateurs, médias et même les syndicats. Enfin le chef de l’État français aux accents gaulliens. Le discours qu’il a prononcé jeudi à l’occasion de son installation comme chanoine d’honneur du Latran est de cette veine.

Quoiqu'on pense de l’homme, ce discours du Latran constitue une rupture. La gauche ne s'y est pas trompée qui s'étrangle qu'on puisse reprocher à la laïcité d'avoir « combattu les religions » (Fr. Hollande). Le Monde y voit un « acte politique » d’une autre ampleur que la prise de possession – toute symbolique – du siège de chanoine d'honneur de la basilique romaine ». En quelques phrases, Nicolas Sarkozy ré-enracine la France dans son passé chrétien, (« J'assume pleinement le passé de la France et ce lien particulier qui a si longtemps uni notre nation à l'Église »), évoque les « souffrances » infligées au clergé en 1905, se livre à une critique à peine voilée de l'interprétation consensuelle de la loi de séparation des Églises et de l'État (une « reconstruction rétrospective ») et d’une laïcité « épuisée », guettée par le « fanatisme ». Et le président achève en appelant les chrétiens à parler haut et fort dans le débat public, en raison même de leur liberté spirituelle. Gonflé !

Ce discours aurait pu être signé par le cardinal Poupard, l’ancien préfet du Conseil pontifical pour la culture et du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Certes, un discours est un discours. À l’occasion de sa visite d’État au Saint-Siège, Jacques Chirac n’avait pas tari d’éloge sur « la force et la richesse du lien tissé au long des siècles entre la France et le Trône de Pierre » et souhaité que la France demeurât « fidèle à son héritage chrétien » (20 janvier 1996), avant de revenir à ses démons laïcistes et de reconnaître à la France des racines autant musulmanes que chrétiennes. Mais l’approche de Nicolas Sarkozy n’est pas seulement historique et théorique : elle ouvre la porte à une autre pratique de la laïcité. Voici les principaux passages du discours du Latran :
« L’audience que le Saint-Père m’a accordée ce matin a été pour moi un moment d’émotion et de très grand intérêt. Je renouvelle au Saint-Père l’attachement que je porte à son projet de déplacement en France au deuxième semestre de l’année 2008. En tant que président de tous les Français, je suis comptable des espoirs que cette perspective suscite chez mes concitoyens catholiques et dans de nombreux diocèses. Quelles que soient les étapes de son séjour, Benoît XVI sera le bienvenu en France.
En me rendant ce soir à Saint-Jean de Latran, en acceptant le titre de chanoine d’honneur de cette basilique, qui fut conféré pour la première fois à Henri IV et qui s’est transmis depuis lors à presque tous les chefs d’État français, j’assume pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Eglise.
C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l‘Eglise. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe. A de multiples reprises ensuite, tout au long de son histoire, les souverains français ont eu l’occasion de manifester la profondeur de l’attachement qui les liait à l’Eglise et aux successeurs de Pierre. Ce fut le cas de la conquête par Pépin le Bref des premiers Etats pontificaux ou de la création auprès du Pape de notre plus ancienne représentation diplomatique.
Au-delà de ces faits historiques, c’est surtout parce que la foi chrétienne a pénétré en profondeur la société française, sa culture, ses paysages, sa façon de vivre, son architecture, sa littérature, que la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière. Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes.
Et la France a apporté au rayonnement du christianisme une contribution exceptionnelle. Contribution spirituelle et morale par le foisonnement de saints et de saintes de portée universelle : saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, saint Vincent de Paul, sainte Bernadette de Lourdes, sainte Thérèse de Lisieux, saint Jean-Marie Vianney, Frédéric Ozanam, Charles de Foucauld… Contribution littéraire et artistique : de Couperin à Péguy, de Claudel à Bernanos, Vierne, Poulenc, Duruflé, Mauriac ou encore Messiaen. Contribution intellectuelle, si chère à Benoît XVI, Blaise Pascal, Jacques Bénigne Bossuet, Jacques Maritain, Emmanuel Mounier, Henri de Lubac, René Girard… Qu’il me soit permis de mentionner également l’apport déterminant de la France à l’archéologie biblique et ecclésiale, ici à Rome, mais aussi en Terre sainte, ainsi qu’à l’exégèse biblique, avec en particulier l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem…. »
Après avoir évoqué la figure du cardinal Jean-Marie Lustiger, il poursuit :
« Cette profondeur de l’inscription du christianisme dans notre histoire et dans notre culture, se manifeste ici à Rome par la présence jamais interrompue de Français au sein de la Curie, aux responsabilités les plus éminentes. Je veux saluer ce soir le cardinal Etchegaray, le cardinal Poupard, le cardinal Tauran, Monseigneur Mamberti, dont l’action honore la France.
Les racines chrétiennes de la France sont aussi visibles dans ces symboles que sont les Pieux établissements, la messe annuelle de la Sainte-Lucie et celle de la chapelle Sainte-Pétronille. Et puis il y a bien sûr cette tradition qui fait du Président de la République française le chanoine d’honneur de Saint-Jean de Latran. Saint-Jean de Latran, ce n’est pas rien. C’est la cathédrale du Pape, c’est la “tête et la mère de toutes les églises de Rome et du monde”, c’est une église chère au cœur des Romains. Que la France soit liée à l’Église catholique par ce titre symbolique, c’est la trace de cette histoire commune où le christianisme a beaucoup compté pour la France et la France beaucoup compté pour le christianisme. Et c’est donc tout naturellement, comme le Général de Gaulle, comme Valéry Giscard d’Estaing, et plus récemment Jacques Chirac, que je suis venu m’inscrire avec bonheur dans cette tradition. »
Puis le Président en vient à la question aux lois de 1905, à la séparation de l’Eglise et de l’état et à la laïcité :
« La France a beaucoup changé. Les Français ont des convictions plus diverses qu’autrefois. Dès lors la laïcité s’affirme comme une nécessité et une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. Et c’est pourquoi le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l’interdiction des signes ostentatoires à l’école.
Cela étant, la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire.
C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité. Voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean de Latran. »
Suit un commentaire de la dernière encyclique de Benoît XVI sur l’espérance :
« Je partage l’avis du pape quand il considère, dans sa dernière encyclique, que l’espérance est l’une des questions les plus importantes de notre temps… Or, longtemps la République laïque a sous-estimé l’importance de l’aspiration spirituelle… Aujourd’hui encore, la République maintient les congrégations sous une forme de tutelle, refuse de reconnaître un caractère cultuel à l’action caritative ou aux moyens de communication des Eglises, répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la Convention de Bologne le prévoit, n’accorde aucune valeur aux diplômes de théologie.
Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays. Bien sûr, ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d’intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence. »
Enfin, le chef de l’État évoque la question morale :
« Et puis je veux dire également que, s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. Comme l’écrivait Joseph Ratzinger dans son ouvrage sur l‘Europe, “le principe qui a cours maintenant est que la capacité de l’homme soit la mesure de son action. Ce que l’on sait faire, on peut également le faire”. À terme, le danger est que le critère de l’éthique ne soit plus d’essayer de faire ce que l’on doit faire, mais de faire ce que l’on peut faire. C’est une très grande question.
Dans la République laïque, l’homme politique que je suis n’a pas à décider en fonction de considérations religieuses. Mais il importe que sa réflexion et sa conscience soient éclairées notamment par des avis qui font référence à des normes et à des convictions libres des contingences immédiates. Toutes les intelligences, toutes les spiritualités qui existent dans notre pays doivent y prendre part. Nous serons plus sages si nous conjuguons la richesse de nos différentes traditions.
C’est pourquoi j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. »
Et Nicolas Sarkozy termine en disant l’importance qu’il attache en tant que président de la République à l’exemple donné par la vie consacrée et par le sacerdoce.
« En donnant en France et dans le monde le témoignage d’une vie donnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créez de l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles. C’est une chance pour notre pays, et le Président que je suis le considère avec beaucoup d’attention. Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »

À propos de la Turquie
(en réponse à une question de l’Osservatore romano)

Nicolas Sarkozy.— La Turquie n’est pas en Europe. C’est une réalité géographique, la Turquie est en Asie Mineure. Donc il faut des liens très étroits entre la Turquie et l’Europe, la Turquie c’est une grande civilisation, c’est un grand Etat, c’est un grand peuple mais qui n’est pas en Europe. Nous avons encore en Europe les Balkans, c’est l’Europe, et par ailleurs, la Turquie est méditerranéenne. Alors je veux un accord de partenariat entre la Turquie et l’Europe le plus intense possible qui n’est pas une adhésion et bien sûr la Turquie, dans le cadre de l’Union de la Méditerranée, a toute sa place. C’est une grande puissance méditerranéenne, en tous cas à ma connaissance, mais ça ne veut pas dire que parce qu’elle est dans l’Union de la Méditerranée elle ne doit pas être en Europe. Elle ne doit pas être en Europe de mon point de vue parce qu’elle n’est pas européenne.

Source : Fondation de service politique - Décryptage



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Une nouvelle laïcité par Gérard Leclerc, sur France Catholique

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