La polémique qui s'est développée — parce que la majorité de gauche du conseil municipal de Paris a pris la décision d'ajouter le nom de Jean-Paul II à celui du Parvis Notre-Dame — n'aurait qu'un intérêt secondaire si elle n'était caractéristique d'une
manipulation de l'Histoire.
Cette manipulation est apparue sous un jour encore plus odieux, dimanche 3 septembre, lorsque 200 manifestants ont voulu troubler la cérémonie d'inauguration en scandant des
slogans révoltants. Imputer à Jean-Paul II les morts du Sida, crier que Bertrand Delanoë
“honore un assassin", ou encore que
“25 millions de morts du sida, Delanoë a oublié", n'offense pas seulement le sens commun. C'est la manifestation d'un processus de type totalitaire qui consiste à imposer aux consciences des contre-vérités afin de déshonorer celui qu'on a choisi pour cible et le transformer en objet de haine.
Les principaux régimes criminels du XXe siècle ont utilisé ces
méthodes de diffamation, en recourant aux effets amplificateurs de la propagande. De Goebbels à Mao-Tsé-Toung, des chemises brunes aux gardes rouges, ce sont des procédés identiques, pour humilier et injurier
“l'adversaire du peuple", le désigner au lynchage d'abord moral, puis à l'exécution publique. C'est ainsi qu'on fanatise les jeunes et qu'on en fait les exécutants des pires infamies.
Fort heureusement, nous avons la chance, d'être dans un État de droit où ces procédés seraient sanctionnés par la loi comme des délits et des crimes. La liberté d'expression des régimes démocratiques interdit les procès publics unilatéraux et il est toujours possible de répondre à la manipulation mentale par une argumentation rationnelle. Les socialistes du conseil municipal n'ont pas accepté la surenchère idéologique des Verts et Bertrand Delanoë, malgré ses engagements et ses convictions, n'a pas craint de braver une partie de sa majorité pour honorer
“une figure essentielle de notre temps",
“une sentinelle majeure des temps modernes". Voilà qui compensait largement les invectives des militants d'Act-up et le laïcisme agressif de quelques-uns de ses adjoints.
Sans doute y a-t-il un motif à la déraison des slogans de dimanche. L'épidémie du Sida, qui a fait des millions de morts dans le monde, endeuillé bien des familles, a meurtri les homosexuels de la façon la plus cruelle. La démesure de la souffrance peut expliquer la démesure d'un ressentiment qui recherche son bouc émissaire. On veut des responsables à une telle catastrophe.
Certains croient avoir trouvé en Jean-Paul II une cible particulièrement visible, et d'autant plus détestable qu'elle incarne symboliquement l'injonction morale et donc la culpabilisation intolérable aussi bien aux malades qu'à ceux qui se sont dépensés à leur service avec un dévouement — il faut le dire — admirable. Et c'est sans doute parce que Jean-Paul II n'a jamais condamné, qu'il est insupportable. Son silence est encore plus culpabilisant que des condamnations qui eussent parues insoutenables.
Est-il permis de souhaiter qu'on se souvienne de l'homme de compassion qu'était Jean-Paul II, lui qui proclamait, à Lyon, avec les mots de Bernanos, que
“les saints ont le génie de l'amour" et que le souci de l'Église n'est pas de condamner mais de se porter au secours de ceux qui souffrent en leur proposant le réconfort de l'humaine tendresse à la ressemblance de la charité d'un Dieu vivant.
Gérard Leclerc
Editorial à paraître dans le prochain n° de
France catholique
Source : Fondation de service politique