Défense du Catholicisme

6 octobre 2007





Nuit blanche 2007 : l'art officiel dans nos églises. Où de nombreux curés semblent avoir oublié "Sacrosanctum Concilium"...

Comme chaque année, la « Nuit blanche » (ce samedi 6 octobre) nous réserve son lot de surprises standardisées. On connaît le principe : douze heures de promenade dans les sites les plus prestigieux de la capitale pour découvrir des œuvres d’art contemporaines, « d’artistes confirmés en artistes émergents ». La règle générale étant la transgression, on ne s’étonne pas de trouver des “installations” toutes plus ou moins saugrenues, destinées à « faire penser » le bourgeois (qui vibre ou s’indigne, c’est selon). Les surprises sont donc bien… conformes.

Faisons notre petit parcours habituel, en écho à notre promenade parisienne de l’an passé, mais aussi à Versailles « Off », dont tout le monde se souvient des mannequins masqués de Christian Lacroix, en robe de mariée dans la chapelle royale.

Pour les églises de Paris qui sont de la partie, il s’agit d’accueillir les artistes et de rencontrer un public nouveau. À leur initiative — « ou à la demande de la Ville » explique Isabelle Renaud-Chamska, présidente d’Art-Culture et Foi, les paroisses mobilisées offrent « l’occasion de découvrir une oeuvre qui parle à leur sensibilité dans un contexte spirituel ». « L’église, dit-elle, apparaît alors non plus comme un enclos séparé et vaguement étranger ou interdit, mais comme un lieu vivant où quelque chose d’une présence à soi et à l’autre est à découvrir. » C’est ainsi que l’année dernière, on a pu admirer de Philippe Perrin, Heaven, une couronne d’épine géante en aluminium posée dans le choeur de l’église de Saint-Eustache ou le crâne monumental de Subodh Gupta à Saint-Bernard-de-la-Chapelle…


Le meilleur et l’extravagant

Cette année, seize « manifestations artistiques » sont proposées : si l’on en juge le programme, le meilleur y côtoie le plus extravagant. Le meilleur tient aux choix maîtrisés des communautés paroissiales et de leurs pasteurs, qui n’attendent rien des commandes publiques et des offres municipales, et surtout pas qu’on leur impose ce qu’ils exposent. L’extravagant, à n’en pas douter, vient d’ailleurs, et du gigantisme décalé de certaines œuvres.

Pour le meilleur, et sous réserve de l’annonce elle-même, on citera entre Notre-Dame de l’Assomption et Saint-Germain-l’Auxerrois (1er), Virginal Songs par Francesca Stradivarius, une procession avec une « station » dans chaque église d’une heure environ : une voix humaine se demande ce qu’est la grâce qui l’habite. L’église de la Madeleine propose Les Souffleurs, un « commando poétique » (sic) qui chuchote à l’oreille des passants des paroles sacrées ; c’est « tendre et jubilatoire », on veut bien le croire ! À Notre-Dame de Paris, Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux (IVe) ou Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts (XIIe), la musique rythme et nourrit la visite des lieux. Plus loin, ce sont des jeux de lumière qui transfigurent les édifices sacrés, ou des comédiens qui interpellent les badauds.

L’extravagant ? On a beau être prévenu, les programmations de Saint-Eustache (Ier) laissent toujours pantois (ce sont des « projets officiels » présentés par la mairie de Paris): Astral Body Church par Pleix, est la projection sur la façade de l’église d’un triptyque humoristique et grinçant sur le culte du corps et la tentation de la vie éternelle. Des images de bodybuilders aux visages de vieillard enchaînent lentement des poses de fitness. De l’art ou de l’esprit ? Il s’agit, dit-on, « d’une démonstration subversive mais avec beaucoup d’humour du déplacement du culte de l’esprit vers celui du corps ». Tâchons d’en rire, donc.

Dans la nef, vous découvrirez Real freedoms that people enjoy — « Des libertés réelles dont jouissent les hommes » par Lydia Dambassina, une artiste grecque. L’installation comprend des tapis et des chaussures « pour que l’homme prenne la liberté et le temps d’habiter le monde qui lui est donné ». Vibrera qui pourra.

Ailleurs, vous trouverez encore matière à songer. À Saint-Paul-Saint-Louis (IVe), Robert Stadler présente dans « le volume du chœur » une installation de ballons lumineux : ce « procédé d’anamorphose provoque l’interrogation et l’interrogation sur l’interrogation ». Et à Saint-Roch (Ier) à l’entrée de l’église, c’est une « sculpture étrange » qui s’offre à vos yeux : Sans titre par Vincent Beaurin. Commentaire officiel : « Mais qu’est-ce que l’étrange ? Chacun de nous n’est-il pas étranger à lui-même ? » À creuser sur place, dans l’abîme des profondeurs.

Heureusement, nous sommes prévenus : « Beaucoup d’entre nous éprouvent des difficultés à comprendre et à aimer ces œuvres », avertit Isabelle Renaud-Chamska. Mais « il n’est pas inutile que nous fassions un effort pour entrer dans l’intelligence de ces formes et dans le travail de ces artistes qui nous rendent visite aujourd’hui. Peut-être le plaisir esthétique sera-t-il au rendez-vous en même temps que la joie de la rencontre. » Peut-être…


Versailles Off : calamité cosmique

Quittons les rives de la Seine pour les bords du Grand Canal, à Versailles, où « le site est investi », c’est le cas de le dire, « par une dizaine d’artistes et de créateurs issus de toutes les disciplines ». L’opération Nuit blanche peut nous valoir le plaisir inestimable de parcourir sans limite les jardins royaux, mais il faudra s’accrocher, sans perdre son humour, pour penser l’incongru des oeuvres sélectionnées, qui permettent au château, selon l’expression consacrée, de « renouer avec la création de son temps ».

Pas d’information sur la chapelle, qui sera peut-être épargnée, mais la salle de bal sera transformée en un music hall à ciel ouvert tandis que Philippe Parreno et Douglas Gordon projetteront leur film événement Zidane, un portrait du XXIe siècle sur la façade du Château entre les deux inscriptions « À toutes les gloires de la France »… Il fallait y penser. La palme sera sans doute pour Calamita Cosmica, de Gino De Dominicis, un squelette humain géant au nez d’oiseau, étendu devant le château, entre les bassins du parterre d’eau. La grande et terrifiante sculpture, dont la genèse est toujours restée mystérieuse, fut exposée pour la première fois en 1990 au musée d'Art contemporain de Grenoble ; elle connut aussi les honneurs du palais royal de Milan, place du Dôme, au pied de la majestueuse cathédrale.


Éventer le piège

Que retenir de cette programmation ? Rien de plus qu’un rappel : l'art des Nuits blanches est de l'art officiel financé par l'État. Comment l’Église peut-elle se protéger des transgressions artistiques qui défigurent les sanctuaires ? Interrogée par Liberté politique, Aude de Kerros, graveur et peintre, auteur de L’Art caché, les dissidents de l’art contemporain (à paraître chez Eyrolles le 11 octobre) observe que la seule chose que pourraient faire les évêques sans intervenir dans les affaires publiques, serait de réserver les églises à la pratique du culte : « Il suffirait, dit-elle, sans discours moralisateur, de suivre les instructions du Magistère codifiant l'usage des lieux de culte (cf. encadré ci-dessous). Cela gênerait beaucoup la pratique conceptuelle car ces lieux offrent les dernières possibilités de pratiquer la transgression qui lui est essentielle. » Que faire pour enrayer le conformisme de l’art officiel ?
« Certains prennent l’art contemporain à son propre jeu, comme Pinoncelli qui, en fendant l’Urinoir de Duchamp à coups de marteau, complète et annule son “œuvre”, en entraînant de multiples conséquences juridiques et tout un écho médiatique libre sur l’absurdité de l’art conceptuel.
Plus généralement, il faut éventer le piège : l'Art contemporain vit de l’indignation des braves gens pour exister. Plus une œuvre est scandaleuse, plus elle cote au marché de l’art. Sa valeur, c’est le poids de sa provocation. Les manifestations publiques et les condamnations lui sont donc d’une certaine manière une aubaine : avant tout, ne soyons pas complices de la transgression, relayons plutôt les oeuvres d’“art caché”, où le “grand art” classique, porté par aucun style particulier, côtoie l’art amateur à la recherche du beau, tout simplement… »

De Vatican II, constitution Sacrosanctum Concilium

L'ART SACRÉ ET LE CULTE

123. L'Église n'a jamais considéré aucun style artistique comme lui appartenant en propre, mais selon le caractère et les conditions des peuples, et selon les nécessités des divers rites, elle a admis les genres de chaque époque, produisant au cours des siècles un trésor artistique qu'il faut conserver avec tout le soin possible. Que l'art de notre époque et celui de tous les peuples, et de toutes les régions ait lui aussi, dans l'Église, liberté de s'exercer, pourvu qu'il serve les édifices et les rites sacrés avec le respect et l'honneur qui leur sont dus, si bien qu'il soit à même de joindre sa voix à cet admirable concert de gloire que les plus grands hommes ont chanté en l'honneur de la foi catholique au cours des siècles passés.

Des œuvres belles, appropriées aux lieux saints

124. Les Ordinaires veilleront à ce que, en promouvant et favorisant un art véritablement sacré, ils aient en vue une noble beauté plutôt que la seule somptuosité. Ce que l'on doit entendre aussi des vêtements et des ornements sacrés.

Les évêques aussi veilleront à ce que les œuvres artistiques qui sont inconciliables avec la foi et les mœurs ainsi qu'avec la piété chrétienne, qui blessent le sens vraiment religieux, ou par la dépravation des formes, ou par l'insuffisance, la médiocrité ou le mensonge de leur art, soient nettement écartées des maisons de Dieu et des autres lieux sacrés.

Dans la construction des édifices sacrés, on veillera soigneusement à ce que ceux-ci se prêtent à l'accomplissement des actions liturgiques et favorisent la participation active des fidèles.

Philippe de Saint-Germain

Source : Fondation de Service Politique



Nuit blanche 2007 (II) : “l’Art qui lutte contre ce qui est”

Pour ce nouveau rendez-vous avec la nuit, la fête et l’art contemporain, les églises parisiennes ont été une fois de plus sollicitées, comme ci leur ouverture allait de soi (ce 6 octobre). Certes, dans l’ensemble des manifestations de cette Nuit Blanche, on a trouvé des concerts de musiques sacrées, improvisations à l’orgue et autres récitals de poésie qui ne sauraient poser question en soi. Mais dès que l’on aborde l’“Art contemporain”, non plus au sens de l’art de nos contemporains, mais dans son acception de label, d’art officiel, conceptuel et duchampien, un discernement s’impose. Rappelons qu’un philosophe de l’art a défini le contemporain comme « ce qui lutte contre ce qui est » ; nos vicaires ne devraient-ils pas se montrer prudents avant d’ouvrir leur bergerie aux « lutteurs », déjà largement subventionnés par les institutions officielles (les églises offrant un lieu de prestige gratis à un art outrageusement mercantile) ?

Des corps musculeux de « lutteurs », on pouvait en voir sur l’église Saint-Eustache. Sous forme de projections, Pleix agrémentait la façade d’un Astral Body Church. Ce « triptyque humoristique et grinçant » montre des corps de culturistes avec des visages de vieillards. C’est, nous dit-on, une critique du déplacement du culte de l’esprit au culte du corps, ce qui justifierait sa présence en ce lieu. Soit, mettons qu’il se trouve parmi les noctambules quelques culturistes acharnés, en quoi cette œuvre leur suggère-t-elle l’excellence du culte de l’esprit par rapport à celui du corps ? Car ces images peuvent apparaître bien kitsch et complaisantes. En fait, l’œuvre conceptuelle existe avant tout par le discours ; changez le discours et vous changez le sens de l’œuvre. Ainsi, nous pouvons voir dans ces vieux-jeunes bodybuilders, un autoportrait de cet art dit contemporain, surdimentionné par ses ambitions conceptuelles, gonflé artificiellement par le système étatico-médiatique. Un art officiel et sénile qui rabâche la transgression jusqu’au gâtisme.

À Saint-Paul Saint-Louis, de bien bénins ballons lumineux prennent possession du chœur. Telles les boules japonaises qui parent nombre d’appartements, l’esthétique de la sphère lumineuse peut se marier avec l’apparat religieux. Fort bien. Ces sphères par anamorphose constituent un point d’interrogation. Pourquoi pas.

Mais que signifie cette interrogation ? Tout ce que vous voudrez : depuis les interrogations métaphysiques les plus hautes, jusqu’aux plus prosaïques (combien ça coûte par exemple). Tout le subjectivisme et le relativisme de notre époque peuvent tenir sur un point d’interrogation. Ces ballons lumineux ont l’air d’accueillir charitablement toutes vos questions, mais en réalité ils vous refusent toutes les réponses. À l’image de cet art dit contemporain qui, très libéral, permet toutes les transgressions possibles…mais rien que les transgressions. D’où l’on voit qu’en faisant mine de respecter notre liberté, la vacuité conceptuelle peut fort bien déboucher sur une négativité sournoise ( toujours se rappeler que ce contemporain-là est celui « qui lutte contre ce qui est »).


Occuper la place

L’art dit contemporain (qu’on peut abréger en AC pour bien marquer sa spécificité) excelle dans le détournement, la remise en cause du contexte qui l’accueille. Alors que veulent-ils, ce point d’interrogation, ces bodybuilders ? Occuper la place. Et occuper les têtes jusqu’à la stupéfaction (qui signifie, au sens fort, rendre stupide). Car on lit sur la page Nuit blanche du site Internet du diocèse de Paris que ce “?” « porte l’interrogation sur…l’interrogation » ! L’AC adore ce genre d’entortillage de neurones, c’est même une figure imposée de cet art conceptuel qui répond à l’appellation consacrée de « mise en abîme ».

Qu’est-ce qui nous sauvera : la nuit noire (sans fêtard ni lampion) où le Christ nous demandera : « Et pour vous, qui suis-je ? » La fameuse mise en abîme ? Ou notre pauvre réponse si balbutiante quelle soit ?

La présentation de la commission Art-Culture et Foi du diocèse invoque l’accueil, l’hospitalité chrétienne qui s’exerce à la rencontre de l’AC et son public. N’est-on pas en train de jouer la logique de l’accueil contre celle du témoignage ? Le Christ n’a pas envoyer ces apôtres accueillir tout et n’importe quoi ; il les a envoyé témoigner. L’accueil de l’AC renverse la priorité : on accueille à tour de bras, on ne sait plus très bien à quoi. Prenez l’église la plus austère, transformez la en cinéma interactif ou en boîte de nuit et vous aurez du monde, attiré par la cocasserie de la situation. Et après ? Que veut dire rencontrer, sensibiliser « un public qui ne pousse jamais la porte des églises » ? Sensibiliser à quoi ? À l’humour grinçant, au divertissement, à l’entortillage de neurone ?

Certains répondront qu’il est à Saint-Eustache des œuvres plus gênantes que celles de la Nuit Blanche ; mais c’est oublier que le permanent arrive souvent dans les bagages de l’éphémère…

Et justement, dans cette église trôna durant septembre une brosse géante, une herse majuscule : une œuvre d’AC qui se souvient lointainement des pénétrables de Soto…pour mieux être impénétrable : située juste à l’entrée, elle bouchait la vue et le passage. En accueillant l’AC, l’église, cette fois, repousse concrètement les visiteurs ! L’objet qui n’a rien de dérangeant en soi (dans les années 60, la galerie Denise-René en montrait déjà), mais il est tout simplement déplacé puisqu’il perturbe la liturgie. Le cortège de mariage se réduit à la portion congrue, la mariée doit s’effacer ; l’humain doit laisser la préséance au métal, à l‘artefact industriel. Fabuleuse leçon d’humanisme que nous donne Saint-Eustache ! Ces tiges qui s’alignent dru et systématiquement ne concrétisent elles pas l’esprit de géométrie, celui qui s’oppose à l’esprit de finesse ?

L’AC doit bien rire ; il obtient ce qu’il réclame : occuper le terrain.

Christine Sourgins
(qui a reçu le Prix de l’humanisme chrétien 2007, décerné par l’Académie d’études sociales, pour son livre Les Mirages de l’art contemporain, La Table Ronde 2006)

Source : Fondation de Service Politique



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