« ... Après avoir changé enfin votre volonté et réduit votre corps en servitude, après avoir tari la source du mal et soigneusement bouché toutes les ouvertures par lesquelles il pénétrait, il vous reste une troisième chose à faire, et ce n'est pas la moins difficile, il s'agit de purifier votre mémoire, de nettoyer ce cloaque infect. Comment, direz-vous, effacer de ma mémoire, l'impression qu'elle conserve de toute ma vie passée ? Le frêle et mince tissu sur lequel elle est écrite a bu l'encre et s'en est imprégné, comment l'effacer à présent ? Elle ne s'est pas arrêtée à la superficie seulement, mais elle a pénétré le tissu tout entier ; c'est en vain que je voudrais l'effacer maintenant, je détruirais le papier plutôt que d'en faire disparaître les caractères qui y sont gravés. Il en est de même de ma mémoire, il faudrait que l'oubli allât jusqu'à la détruire, comme cela arriverait, par exemple, si je venais à perdre l'esprit ; alors je ne conserverais plus aucun souvenir de mes actions. Autrement quel grattoir employer pour effacer les souillures de ma mémoire et la conserver intacte elle-même. Pas d'autre que cette parole pleine de vie et d'efficacité et plus pénétrante qu'un glaive à deux tranchants : "Vos péchés vous sont remis (Mc II, 5)." Laisser le Pharisien murmurer et dire : "Qui peut remettre les péchés si ce n'est Dieu ? (Ibid., 7)" Car c'est précisément Dieu même qui vous adresse ces paroles : "Or nul ne saurait se comparer à lui, il connaît le secret de toute science et il l'a révélé à Jacob son fils et à Israël son bien-aimé ; plus tard, il s'est fait voir lui-même sur la terre et il a conversé avec les hommes (Baruch III, 36,37,38)." C'est sa miséricorde qui efface le péché, non en en faisant perdre le souvenir à la mémoire, mais en faisant que ce dont le souvenir était en elle et la souillait, y soit encore et ne la souille plus. Et en effet, nous nous rappelons en ce moment une foule de péchés qui ont été commis ou par nous ou par d'autres ; or il n'y a que les nôtres qui nous souillent, ceux d'autrui ne sont pas une tache pour nous. D'où vient cela ? C'est qu'il n'y a que les nôtres qui nous fassent rougir et que nous craignions de nous voir reprocher. Otez la pensée du reproche, ôtez la crainte, ôtez la honte, c'est ce que fait la rémission du péché, et non seulement nos péchés ne font plus d'obstacle à notre salut, mais même ils peuvent y coopérer en nous excitant à rendre de vives actions de grâces à celui qui nous les a remis. » Saint Bernard (1091-1153), Sermon ou Livre de Saint Bernard, Abbé aux prêtres, sur la conversion (ch.XV,28), in Oeuvres Complètes de Saint Bernard (Tome II), Traduction nouvelle par M. l'Abbé Charpentier, Paris, Librairie Louis Vivès, 1866. (Source : Abbaye Saint-Benoît) |