« Nombreux sont les chrétiens qui, après des années de générosité vécues dans la ferveur, se retrouvent subitement dans la nuit : Dieu leur semble lointain, indifférent à ce qu'ils vivent et ils se demandent pourquoi Dieu leur enlève tout à coup la joie de la prière. Ils sont tentés d'y voir eux aussi une punition du ciel : ils se demandent ce qu'ils ont pu faire de mal pour en arriver à une telle désolation. Ils ont alors besoin qu'un accompagnateur spirituel les rassure et leur explique à partir de l'expérience spirituelle de tous les saints que cette façon d'agir de Dieu est tout à fait "classique". Après une certaine "lune de miel" que le Seigneur fait goûter à ceux et celles qui viennent de le découvrir, Il leur fait subir un sevrage plus ou moins sévère, non pas pour les punir, mais afin de purifier leur amour, pour les inviter en quelque sorte à aller vers Lui non pas pour les consolations qu'ils en retiraient jusque-là mais pour Lui seul, pour Lui manifester un amour plus désintéressé. Elle est vraiment terrible, la tentation de découragement que connaissent les âmes plongées dans cette nuit. Après avoir connu l'ivresse de prier de longues heures devant le Très Saint Sacrement, elles n'ont plus aucun goût à prier, ni même à participer à l'Eucharistie. Elles y vont par pur devoir, sans éprouver la moindre ferveur. Ce n'est pas seulement la zone affective de leur être qui est sevrée de toute consolation sensible ; c'est leur coeur profond... Il est évident que cette impression ne correspond pas à la réalité. Leur coeur est bien là et le Seigneur en a pris possession. Il veut même faire participer cette âme au mystère de sa divine agonie, lui faire éprouver quelque chose de ce qu'il a connu au jardin des Oliviers : son accablement face au péché du monde. C'est d'ailleurs ce qu'elles finissent par dire quand elles arrivent à verbaliser quelque peu leur terrible crise : "C'est comme si Jésus souffrait en moi !" Comme c'est vrai et comme elles ont alors besoin de l'appui d'un père spirituel qui les réconforte en leur certifiant qu'elles ne sont nullement coupables de cette aridité, que Dieu les aime plus que jamais ! » P. Pierre Descouvemont, Gagner le combat spirituel, Editions de l'Emmanuel, 2006. |
« Quelle attitude adopter au coeur de cette crise ? Les anciens Pères donnent tous un même conseil : persévère, ne cède pas... Plus d'un demandera sans doute : devant une crise aussi profonde, de quel droit peut-on, envers et contre tout, insister sur la persévérance ? La réponse est simple, selon Evagre : c'est que la suite ne fait aucun doute. Quand la détrese atteint son point extrême, la grâce de Dieu vient demeurer dans cet homme qui, ne sachant plus à quel saint se vouer, ne désespère cependant pas : "Sois sans crainte et n'essaie pas d'éviter cette période de lutte, et tu verras les grandes oeuvres de Dieu : son assistance, son souci de toi et toute plénitude en vue de ton salut" (Hypotypôsis VI). Celui qui persévère dans la solitude, par amour de Jésus, verra un "état de paix et de joie inexprimables dans l'âme succéder au démon de l'akèdia" (Praktikos 12). Il suffit de "croire en Dieu", de "se confier à lui", de "compter sur lui", de "persévérer dans la confiance en Dieu", de "rester tranquille, seul et silencieux", pour ne pas perdre Dieu (Antirrhètikos VI,12,12,40,41). Tout comme Job, dont la silouhette humble et patiente transparît en maint passage d'Evagre : "C'est Dieu qui meurtrit, c'est lui aussi qui guérit de sa main" (Jb 5,17-19, cité dans Antirrhètikos VI,31). [...] Pourquoi Dieu permet-il à la crise de nous secouer si impitoyablement ? Serait-ce pour lui la seule manière de nous ouvrir à la grâce ? Et Macaire de continuer : "Finalement, le Dieu bienveillant lui ouvre les yeux du coeur afin qu'il comprenne que c'est lui qui donne la force. C'est alors que cet homme est capable de louer Dieu en toute vérité et humilité ; comme disait David : mon sacrifice est un esprit brisé, un coeur contrit (Ps 50,19). C'est de ce dur combat que proviennent l'humilité, le brisement du coeur, la bienveillance et la douceur." » André Louf, Au gré de sa grâce - Propos sur la prière, DDB, 1989. |
« Il faut que notre coeur soit embrasé de l'amour de Dieu, que souvent nous parlions de Lui, que nous écoutions dans notre âme ses paroles aimantes, que nous agissions en Lui, que nous recevions tout de Lui, que Lui seul préoccupe notre esprit. Nos yeux doivent fixer son visage aimable ; nos oreilles, nos sens, notre esprit, l'embrasser avec amour. Si nous l'avons irrité, implorons-Le ; s'Il se cache, cherchons l'Amour aimé sans jamais nous lasser jusqu'à ce que nous L'ayons retrouvé. Quand nous Le possédons de nouveau, gardons-Le dans une âme pleine de tendresse et de respect. Que nous reposions, que nous allions, que nous mangions, que nous buvions, toujours le sceau divin doit être imprimé sur notre coeur. Si nous pouvons le faire réellement, qu'au moins nos yeux (attentifs à Lui) le gravent dans le fond de notre âme ; son Nom si doux doit sans cesse revenir sur nos lèvres et notre esprit doit être tellement absorbé par Lui pendant la journée, que la nuit nous en rêvions encore. » Henri Suso, Lettre IIe du Petit traité des Lettres, cité par Dom Idesblad Van Houtryve, La vie dans la paix (tome 2), Editions de l'Abbaye du Mont César, 1944. |