« Si nous nous représentons l'affreux tourbillon de misères, le fardeau énorme de douleur et le surcroît de peines surnaturelles que Marie avait à endurer, et comment tout pesait d'une force irrésistible sur son coeur solitaire, c'est avec étonnement que nous verrons tout cela se briser contre sa tranquillité, comme la vague vient se briser en écumant contre un énorme promontoire, qui fait rejaillir les vagues furieuses et terribles sur la base frémissante sans être renversé. Ainsi en était-il de Marie. Elle n'était pas insensible comme le froid granit. Au contraire, la tempête la pénétrait, s'insinuait dans chaque repli de cette vaste nature, remplissait jusqu'à les faire déborder toutes les puissances qu'elle possédait pour la souffrance, et abreuvait d'amertume toutes ses facultés et toutes ses affections. Cependant rien ne put troubler la tranquillité de Marie. Sa paix intérieure était semblable au calme des profondeurs de l'Océan, lorsque la tempête en bouleverse la surface. Mais cette tranquillité n'était pas pour Marie un refuge contre l'insensibilité de la souffrance. Elle la rendait plutôt apte à souffrir davantage. Le calme permettait à la douleur de pénétrer plus irrésistiblement dans chaque partie de son être. Et il n'y avait chez Marie ni éclats, ni soupirs bruyants, ni sanglots entrecoupés, ni de vaines paroles pour exprimer la plainte. [...] Marie se tenait debout au pied de la croix ; voilà le tableau si grand dans sa simplicité que nous trouvons dans l'Ecriture, voilà l'exacte vérité, et le peintre est le propre époux de Marie, le Saint-Esprit. Et c'était l'image de cette femme debout et calme que l'un de ses enfants les plus tendres, saint Bernard, contemplait dans une amoureuse admiration. C'est là ce qu'il y a d'attrayant dans les apparitions que nous font connaître les révélations de Marie d'Agréda et dans le portrait que nous ont tracé les visions de la soeur Emmerich. Les instincts de la religieuse espagnole étaient même plus vrais que ceux de l'âme artistique de l'extatique Allemande. Nous ne devons donc jamais éloigner de notre esprit la pensée de cette tranquillité de Marie au milieu de ses douleurs. Il n'y avait chez elle rien d'extravagant, rien de désordonné, rien de dramatique, rien de passionné, rien de démonstratif, rien d'excessif ; elle gardait la dignité la plus calme, la plus royale, la plus tranquille, [...] ; elle demeurait tranquille selon son rang et son degré de perfection, comme la nature divine de Notre-Seigneur, pendant que les tourments de la passion foulaient aux pieds sa nature humaine et allaient la faire mourir. La tranquillité de Marie était comme le reflet de celle de Jésus. C'était une des nombreuses participations à sa personne que Jésus accordait à Marie dans ses heures ténébreuses. » R.P. F.W. Faber (1814-1863), Le pied de la Croix ou les douleurs de Marie (chapitre 1, IV), Quatrième édition, Paris, Ambroise Bray, 1862. |