Pour provoquer Dieu
« Quand bien même les montagnes
s’écrouleraient dans les océans,
Quand la terre s’ouvrirait
pour engloutir des villes entières,
Quand les torrents en furie
emporteraient sur leur passage
les maisons, les jardins, les fleurs et les berceaux,
Quand il ne resterait plus pierre sur pierre
de tout cela qui fut bâti avec amour,
Quand la terreur, la violence et les guerres
feraient mourir des millions d’innocents,
Quand tous les buildings du monde
s’écrouleraient d’un coup
comme châteaux de cartes
sous les frappes d’avions-suicides en folie,
Moi, je me lèverais devant toi,
je dresserais devant ta face l’image de toi que je suis,
Moi, je te provoquerais à la miséricorde
en t’appelant encore de ton nom de Père !
*
Quand bien même je serais cerné
de miradors et de barbelés,
Quand tu me coucherais
dans la poussière de la mort,
Quand tes vagues et tes flots
passeraient sur moi,
Quand tu m’écraserais de ta main
sous le poids de ma faute,
Quand je ne serais plus
que puanteur et pourriture
sur ma cendre et le fumier de mes ordures,
Quand tu éloignerais de moi amis et proches,
quand je n’aurais plus de compagne
que la ténèbre,
Moi, avec le dernier souffle que tu m’as donné
pour que je crie,
je retournerais contre toi
les paroles de ta bouche,
Moi, je te provoquerais à la miséricorde
en t’appelant encore de ton nom de Père ! »
Didier Rimaud s.j. (1922-2003),
in "Des grillons et des anges", Desclée, Paris, 1979.