« Le don surnaturel qu'avait reçu M. Vianney de voir à distance ou de lire dans les cœurs valut à certaines personnes de courtes hontes. C'est ainsi qu'en distribuant la communion pendant sa messe, il passa par deux fois une dame pieusement agenouillée à la sainte table. Voyant le serviteur de Dieu revenir une troisième fois près d'elle : « Mon Père, dit-elle toute rougissante, vous ne m'avez pas donné la communion. — Non, mon enfant, répondit le saint penché au-dessus d'elle ; vous avez pris quelque chose ce matin. » Elle se souvint qu'en effet, elle avait, à son lever, mangé par inadvertance un peu de pain. (1) |
A la même place, quelque chose d'assez peu différent arriva à une demoiselle Étiennette Poignard, qui habitait le gracieux pays de Blacé, au delà de Villefranche-sur-Saône. Un beau matin de 1845, de très bonne heure, de joyeuses compagnes vinrent frapper à ses volets clos. « Allons, criaient-elles, en route, les pèlerins d'Ars, en route ! ». Etiennette ne se fit pas prier. En hâte, elle se leva et sauta dans la voiture où on l'attendait. La jeune fille était sincèrement pieuse ; elle communiait souvent et bénéficiait même des directions de M. Vianney. L'idée de revoir ce bon Père la transportant d'allégresse, elle ne fit que chanter elle-même, babiller et rire tout le temps du voyage. On pénétra dans Ars un peu avant sept heures, précisément pendant que la cloche annonçait la messe de M. le Curé. Etiennette tenta de se recueillir, y parvint à grand'peine et, le moment venu de la communion, elle alla, seule de ses compagnes, s'agenouiller à la sainte table. Le célébrant, arrivé à sa jeune pénitente, commença la formule rituelle : Corpus Domini nostri... mais il ne l'acheva pas ; il demeurait là, immobile, tenant l'hostie entre ses doigts. Mlle Poignard levant les yeux, aperçut un visage sévère. Interdite, elle se mit à réciter mentalement les actes de foi, d'espérance et de charité par lesquels elle avait coutume de clore chaque matin sa prière... Alors seulement, le saint Curé la communia. Etiennette se retira ; mais une angoisse subsistait en elle. Avait-elle donc péché assez gravement pendant ce voyage ? Elle voulut en avoir le cœur net. Vers midi, elle joua si bien des coudes qu'elle eut la chance de se trouver, entre l'église et la cure, sur le passage de M. Vianney. Celui-ci savait à qui il avait affaire et que la leçon serait féconde. « Quand on n'a pas fait sa prière du matin, lui dit-il discrètement et avec bonté, quand on a été dissipée tout le long de la route, on n'est pas trop disposée à faire la sainte communion. » Etiennette Poignard comprit et ne recommença plus. (2) » 1. Rapporté par M. André Thèbre, lors du Procès apostolique inchoatif (folio 1118). 2. Les détails de ce récit proviennent de Mlle Maria Brizard, domiciliée à Ars et amie intime de Mlle Poignard (Documents Ball, N° 18). Chanoine Francis Trochu, Les Intuitions du Curé d'Ars, Première Série (Troisième Partie, Ch. XX : En distribuant la communion), Librairie Catholique Emmanuel Vitte, Lyon - Paris, 1931. |