« C'est dès le matin qu'il faut prendre un parti décidé et affirmer par un premier acte l'acceptation du devoir. Le matin est un départ, le matin est une naissance. Quand je me réveille, je sors, comme par une création nouvelle, du néant relatif du sommeil. J'étais, mais je ne le savais pas, et c'était comme si je n'étais pas. Maintenant, je renais et je rentre en moi-même comme dans une demeure qu'on avait quittée. Je suis ; j'inaugure l'existence diurne ; je prends essor comme l'astre sur sa couche d'horizon. Où vais-je ? Quelle trajectoire correcte ou vacillante vais-je suivre ? Quand je vois par ma fenêtre la lueur du matin, que les liturgistes ont chantée mieux que tous les poètes ; quand le coq dressé et tout vibrant lance son hymne, dont saint Ambroise a formé le sien ; quand les bruits du travail renaissent, fleurs du silence qui pullulent peu à peu sur ses calmes eaux, et que, poussée par la lumière vers une autre nuit, la vie infatigable s'élance, mon âme aussi s'élance et transpose au surnaturel, en priant, le mystérieux départ du réveil. L'aurore, ne serait-ce point la lumière de la foi ? « VOUS ETIEZ AUTREFOIS TENEBRES, dit saint Paul, VOUS ETES MAINTENANT LUMIERE DANS LE CHRIST » (Eph V, 8). Le coq, conscience sonore sonore de saint Pierre lors du reniement, ne réveille-t-il pas toujours les âmes pécheresses ou indifférentes ? Les bruits qui passent dans la trame de mon oraison disent la continuité de l'effort pour le bien. La reprise de vie dont tout rend témoignage à mes sens marque une étape vers les réalités éternelles. Le matin, c'est l'Eden. Je suis Adam sur son tertre, comme dans la fresque de Michel-Ange. Dieu apparaît, car j'ai dit : « AU NOM DU PERE, ET DU FILS, ET DU SAINT-ESPRIT ». La Trinité ineffable est mon horizon : elle s'enveloppe dans les brumes intérieures comme dans la draperie de la Sixtine. « ME VOICI, SEIGNEUR », semble dire le colosse enfant de Buonarotti soulevant sa poitrine large et la fine pesanteur de sa tête ; - me voici, dit le chrétien au réveil : que voulez-vous de moi, Seigneur, aujourd'hui ? » Abbé Sertillanges O.P. (1863-1948), La prière, Librairie de l'Art Catholique, Paris, 1917. |