« C'est tâcher en toute rencontre d'élever son coeur au Ciel, et d'accomplir la divine volonté ; ce qui consiste en trois choses. Le première est de marcher en la présence de Dieu, sans jamais le perdre de vue, suivant ce que dit le Saint Esprit par la bouche de ses Prophètes : Cherchez le Seigneur pendant qu'on le peut trouver ; cherchez continuellement sa face (Is 55.6 & Ps 104, 4). Celui-là cherche la face du Seigneur, qui dans toutes ses actions se souvient de lui, qui s'oublie soi-même, et oublie toutes les créatures. Les âmes lâches n'aiment pas à se souvenir de Dieu, elles craignent ses inspirations et ses lumières, parce qu'elles appréhendent d'être obligées de changer de vie. Ceux au contraire qui veulent être fidèles à la grâce ont toujours Dieu présent à l'esprit ; ils le conjurent sans cesse de les gouverner, de les soutenir, de les aider à pratiquer la vertu. Et sitôt que ce secours vient à leur manquer, sitôt qu'ils commencent à perdre le goût de Dieu, ils sont dans de continuelles inquiétudes, jusqu'à ce qu'ils l'aient recouvert : tous leurs soins, tous leurs efforts vont à rappeler dans leur mémoire la douce idée de celui qui faisait lui seul tous leurs délices, et qui seul peut les conduire à la perfection. Ils ne sont pas comme les tièdes et les imparfaits, qui souffrent tranquillement la privation de la lumière divine, et ne sentent point leur malheur. Ils crient, ils gémissent, ils ne cessent de réclamer le Seigneur, jusqu'à ce qu'ils l'aient enfin retrouvé ; et voilà le fruit d'une sainte simplicité qui ne regarde purement que Dieu. Le second moyen de chercher Dieu, c'est d'avoir toujours l'intention droite ; c'est de mettre tout en oeuvre pour le trouver ; c'est de faire en toute rencontre ce qui lui plait davantage ; c'est d'étouffer dans son coeur tout ce qui inspire le respect humain et la vaine gloire ; c'est en un mot de ne songer qu'à honorer Dieu et à le servir. Quiconque en use autrement se cherche lui-même, et non Jésus-Christ. La simplicité fait cela, parce qu'elle n'a qu'un seul but, et qu'elle détourne la vue de tout le reste. Il n'y a en effet qu'une seule route pour une âme simple, au lieu qu'il y en a mille pour celle qui prend des détours, et qui se jette à l'écart. Le droit chemin est unique, et ceux qui le suivent n'ont en vue que de faire ce que Dieu désire d'eux. Quand on a peu d'amour pour Dieu, et peu de zèle pour son service, on s'attache à tout ce qui s'offre d'agréable aux sens ; mais quand on l'aime tout de bon, on ne veut que ce qui lui plait, et c'est proprement ce qu'on appelle chercher Dieu ; c'est ce que notre Seigneur nous recommande, lorsqu'il veut que nous cherchions son Royaume avant toute chose (Mt 6, 33). Mais Dieu se plaint avec raison en plusieurs endroits de l'Ecriture, qu'il n'y a personne qui le cherche (Ps 51, 3), et qui aille à lui, par une intention pure et efficace de lui plaire. Le troisième moyen de le chercher, est de faire tout ce qu'on peut pour se remettre dans le bon chemin, dès qu'on s'aperçoit qu'on l'a quitté. Si donc vous reconnaissez que vous vous êtes trop épanché au dehors, trop dissipé, trop laissé aller à des divertissements et à des conversations du monde, si vous sentez que votre âme est appesantie par la recherche des biens périssables, ou relachée par la paresse et par la tiédeur, rentrez incontinent en vous-même ; fortifiez-vous par l'oraison ; ayez soin de bien régler votre intérieur. Car ceux qui mettent leur béatitude dans les voluptés sensuelles, et dans les plaisirs du monde, y trouvent enfin leur dernier malheur. Pour ce qui est des âmes pures et fidèles, rien ne leur fait plus de peine que le relachement où elles croient être. Elles sont dans l'impatience de rallumer le premier feu de leur dévotion, de s'unir à notre Seigneur plus fortement que jamais, de renouveler leur vigilance et leur ferveur, soit dans leurs prières, soit dans leurs oeuvres. De cette sorte elles cherchent Dieu, et font tant qu'à la fin elles le trouvent. » Jean-Joseph Surin s.j. (1600-1665), Les fondements de la vie spirituelle tirés du Livre de l'Imitation de Jésus-Christ (Livre II, ch. VII), Nouvelle édition revue et corrigée par le P. Brignon s.j., A Paris, Chez la Veuve Le Mercier, 1737. |